Plus de détails
Dijon. Auditorium. 21-III-2025. Georges Bizet (1838-1875) : Les Pêcheurs de perles, opéra en trois actes sur un livret d’Eugène Cormon et Michel Carré. Mise en scène : Mirabelle Ordinaire. Scénographie : Philippine Ordinaire. Costumes : Françoise Raybaud. Lumières : Nathalie Perrier. Chorégraphie : Sandrine Chapuis. Vidéo: Etienne Guiol. Avec : Hélène Carpentier, soprano (Leïla) ; Julien Dran, ténor (Nadir) ; Philippe-Nicolas Martin, baryton (Zurga) ; Nathanaël Tavernier, basse (Nourabad). Chœur (chef de chœur : Anass Ismat) de l’Opéra de Dijon et Orchestre Dijon Bourgogne, direction : Pierre Dumoussaud
On saura gré à Mirabelle Ordinaire d'avoir voulu contourner le piètre livret du premier opéra de Georges Bizet. Beaucoup moins de ne pas avoir exploité la belle idée sur laquelle elle a échafaudé sa première grande mise en scène d'opéra. Reste le trait de plume vraiment délicat du futur auteur de Carmen.
Échafaudages à tous les étages : si la fenêtre de Bizet composant, en 1863, l'opéra qui allait le révéler avait donné sur l'actuelle Avenue de l'Opéra, le jeune compositeur aurait eu sous les yeux le chantier, commencé en 1861, du futur Palais Garnier. Voilà ce que s'est dit Mirabelle Ordinaire. Bien que toute autre fut l'adresse du récent vainqueur du Prix de Rome, c'est dans cette temporalité parisienne du Second Empire que la metteuse en scène de ces nouveaux Pêcheurs de perles a donc bâti sa production. Le livret que les pourtant expérimentés Michel Carré et Eugène Cormon avaient élaboré pour le jeune Bizet est si tarabiscoté (on dit que les deux hommes, éblouis par la qualité de la musique, s'en excusèrent après coup auprès du compositeur lui-même) que l'on se réjouit d'abord d'échapper aux chromos d'un opéra orientaliste vu du 9ème arrondissement (Bizet n'est jamais allé en Inde) contant une amitié virile contrariée par une vierge sous emprise religieuse.
Un fascinant rideau marin en mouvement sonorisé d'intrigants bruits de chantier met longuement le public en condition. Sur deux niveaux, le premier plan de la scénographie de Philippine Ordinaire montre ensuite Bizet à sa table de travail entre piano et poêle bohémien, le cadre de sa fenêtre donnant en arrière-plan sur le décor unique d'un vertigineux échafaudage orné d'une publicité pour un Thé de Ceylan facétieusement baptisé Perles de la mer. Les membres du chœur, vêtus de blanc, sont les ouvriers du chantier, Nadir un des artisans. Leïla (silhouette impavide sortie de l'affiche publicitaire) et Nourrabad (gesticulant comme dans un film muet) semblent quant à eux avoir été débauchés des Pêcheurs de la tradition. Bizet est Zurba. Les questions affluent : le compositeur en pincerait-il pour la chanteuse incarnant la Vestale, laquelle se pâmerait pour le ténor censé incarner Nadir ? Tout en se promettant d'enquêter quant à une éventuelle passion avérée de Bizet pour son interprète féminine, on ne voit guère que cet alibi pour justifier le propos de Mirabelle Ordinaire, perdu que l'on est dans les incessantes interpénétrations entre les deux niveaux d'une narration des plus insaisissables, qui voit Leïla et Nadir faire régulièrement irruption dans l'intérieur du compositeur sans qu'il s'y passe quoi que ce soit de signifiant entre eux trois.
Davantage balisée, la partie musicale captive par une interprétation sans réel maillon faible, même si le Nourabad de Nathanaël Tavernier manque un peu de projection et semble se débattre avec la caricature à laquelle son personnage est condamné. Hélène Carpentier, merveilleuses Despina à Nice et Marzelline à La Seine Musicale, force un peu le trait en Leïla, à laquelle elle confère une présence vocale tout sauf éthérée, comme pour s'extirper elle aussi de l'image pieuse intimée par une direction d'acteurs peu inspirée. On connaît le Zurga intense et stylé de Philippe-Nicolas Martin : ne quittant quasiment jamais le plateau, le jeune chanteur français éblouit une nouvelle fois par la noblesse de sa projection et la clarté de sa diction. Au-delà d'un ineffable Je crois entendre encore, Julien Dran est de bout en bout un Nadir des plus gracieux. Le Chœur, lui aussi très gâté par la partition, est galvanisant. Pierre Dumoussaud donne sans entracte une version pleine de fièvre des Pêcheurs, de surcroît parmi les plus courtes : une heure trois-quarts.
Bien que pressé vers la sortie par le personnel du lieu, mais trop occupé à échanger son analyse de ce que la metteuse en scène a voulu lui raconter, le public ne se presse pas pour évacuer l'Auditorium. Vaine prise de tête, ainsi qu'il l'apprendra à la lecture a posteriori de la note d'intention de la metteuse en scène. Les Pêcheurs de perles selon Mirabelle Ordinaire, c'est : Bizet compose un opéra tandis que le Second Empire construit un Opéra. Soit deux opéras en chantier. C'est tout ? C'est tout ! Les spectateurs les plus curieux (et proches de la scène) avaient effectivement pu déchiffrer dans la pénombre trois panneaux sous-éclairés dont l'assemblage à venir (mais non mis en scène) étaient appelés à former l'enseigne Académie Impériale de Musique, soit la prime appellation de la future Grande Boutique. Ces nouveaux Pêcheurs de perles allongent hélas la liste des productions frappées par la malédiction de la montagne de la note d'intention accouchant de la souris de la réalisation. Ce qui fait qu'au final, contrairement à l'opéra de Bizet, contrairement à l'édifice de Garnier, Les Pêcheurs de perles version Ordinaire resteront, dans la mémoire de ses spectateurs, un spectacle en chantier.
Crédits photographiques : © Mirco Magliocca
Plus de détails
Dijon. Auditorium. 21-III-2025. Georges Bizet (1838-1875) : Les Pêcheurs de perles, opéra en trois actes sur un livret d’Eugène Cormon et Michel Carré. Mise en scène : Mirabelle Ordinaire. Scénographie : Philippine Ordinaire. Costumes : Françoise Raybaud. Lumières : Nathalie Perrier. Chorégraphie : Sandrine Chapuis. Vidéo: Etienne Guiol. Avec : Hélène Carpentier, soprano (Leïla) ; Julien Dran, ténor (Nadir) ; Philippe-Nicolas Martin, baryton (Zurga) ; Nathanaël Tavernier, basse (Nourabad). Chœur (chef de chœur : Anass Ismat) de l’Opéra de Dijon et Orchestre Dijon Bourgogne, direction : Pierre Dumoussaud
Je ne comprends pas les critiques qui viennent voir l’opéra (gratuitement) juste pour dénigrer un beau spectacle. Cette critique ne parle pas beaucoup de la musique, mais elle se concentre sur des aspects négatifs de la mise en scène et du travail des sœurs, ce qui est injuste.
Concernant cette mise en scène, il n’y a rien à redire et rien à regretter. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas vu un spectacle aussi beau, touchant et poétique sur la scène de l’opéra de Dijon.
Le travail de la mise en scène est tout simplement impeccable et très bien soigné.