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A Rome, la toujours superbe Alcina par Pierre Audi

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Rome. Teatro Costanzi. 18-III-2025. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Alcina, drame musical en trois actes, sur un livret de anonyme tiré L’isola di Alcina d’Antonio Fanzaglia. Mis en musique par Riccardo Broschi (d’après Ludovico Ariosto). Mise en scène : Pierre Audi. Décors et costumes : Patrick Kinmonth. Lumière : Matthew Richardson. Avec : Mariangela Sicilia, Alcina ; Carlo Vistoli , Ruggiero ; Caterina Piva, Bradamante ; Anthony Gregory, Oronte ; Mary Bevan, Morgana ; Silvia Frigato, Oberto ; Francesco Salvadori, Melisso. Orchestre et choeur du Teatro dell’Opera di Roma (chef de choeur : Ciro Visco), direction : Rinaldo Alessandrini

Au Teatro dell'Opera di Roma, l'enchantement d'Alcina de Haendel sous la direction de et dans la mise en scène de .

Début parfait, quoique tardif, d'Alcina de Georg Friedrich Händel au Teatro dell'Opera di Roma, 290 ans après sa création au Covent Garden de Londres, où le compositeur saxon, naturalisé anglais depuis huit ans, prenait sa revanche sur ses rivaux de l'Opera of the Nobility. Le spectacle, fruit d'une collaboration avec De Nationale Opera à Amsterdam, est une nouvelle adaptation de celle créée à Drottningholm, dans le théâtre de la cour du palais royal suédois en 2000, et reprise à Amsterdam et au Théâtre de La Monnaie à Bruxelles en 2015 (DVD Clef ResMusica).

A l'émerveillement du livret et de la partition s'ajoute l'élégance abstraite mais pleine de vie de la mise en scène, où une chaise suffit à créer la dramaturgie. Comme si , libéré de toute contrainte, s'abandonnait à la valse des sentiments amoureux et aux infinies variations du thème (amour rêvé, poursuivi, enlevé, conquis, mais aussi amour déçu, rejeté, trahi) pour construire un spectacle où chaque geste, chaque infime détail des corps correspond aux notes, jusqu'à créer une unité d'une extraordinaire beauté. Une mise en scène qui ne prétend pas dominer l'œuvre d'un génie du passé, mais s'incline pour la servir, avec l'extrême élégance d'une humilité assumée.

Dès le début, la magie opère, les personnages entrant sur scène presque sur la pointe des pieds, immergés dans le décor enchanteur de la grotte de l'île d'Alcina, au milieu d'une reconstitution d'arbres et d'arbustes créée par le scénographe et costumier Patrick Kinmonth. Les costumes de style XVIIIe siècle, se parent de tons pastel allant du rose au bleu clair, puis vers le gris au fur et à mesure que le drame se déroule. De larges redingotes pour les chevaliers et de luxueuses manches bouffantes pour les dames rappellent la peinture vénitienne de Gimbattista Tiepolo. Les chanteurs agissent au centre de la scène, éclairés par les vibrantes et ingénieuses lumières de Matthew Richardson qui évoquent l'irréalité dans l'esthétique baroque. Ils chantent, ils dansent, se déplaçant à l'unisson selon un ordonnancement parfait des corps. Mais dans cette direction d'acteurs impeccable trouve aussi une place pour l'ironie, pour le conte réaliste, pour le coup salace, comme lorsque Morgane, par exemple, éperdue d'amour pour Ricciardo, alias Bradamante, s'accroche à lui en étendant ses mains entre ses jambes. Autre moment fort, très apprécié, à la fin du troisième acte, les ombres pâles du chœur sortant de l'Hadès, errant cachées dans des voiles blancs. Le drame s'achève entre les murs nus des coulisses, au milieu des accessoires et des loges, ultime hommage à la puissance de l'illusion théâtrale.

La nouveauté de l'édition romaine réside dans les voix italiennes de la distribution. A commencer par la remarquable prise de rôle de la soprano qui prête sa virtuosité à l'enchanteresse Alcina, passant habilement de la séduction à la consternation, de l'incrédulité à la colère. Le contre-ténor , qui incarne Ruggiero, prisonnier de la magicienne éprise, est très convaincant lui aussi, séduisant autant par la couleur de sa voix que par son expressivité et sa présence scénique. La contralto Caterina Piva, qui joue Bradamante en travesti comme son frère Ruggiero déploie une belle sensibilité. Dans cette distribution italienne, nous trouvons deux Britanniques : en Morgana qui compense par sa présence scénique ses capacités vocales inégales, tandis que le ténor , dans le rôle de son amant trahi, Oronte, convainc, comme à Aix en 2023, malgré une diction perfectible. Pour compléter cette distribution, Oberto, le fils d'Astolfo rejeté par Alcina, est interprété par la soprano et Melisso, le conseiller de Bradamante, par la basse . Grâce à la virtuosité du chant dans toutes ses nuances avec une attention apportée aux tempi, aux pauses du pianissimo, à la fureur de l'allegro, le chef-d'œuvre de Händel, qui s'est battu toute sa vie pour le mélodrame italien, brille ici de sa veine méditerranéenne.

Le spectacle, peut-être le meilleur de la saison romaine, doit beaucoup à la direction impeccable du chef , grand connaisseur du répertoire baroque, qui avait déjà dirigé l'Orchestre Costanzi en octobre 2023 dans Giulio Cesare, autre chef-d'œuvre de Händel, dans la mise en scène de Damiano Michieletto. Il reconquiert cette année le public romain grâce à sa lecture sublimant encore la stupéfiante mise en scène de Pierre Audi.

Crédits photographiques : © Teatro dell'Opera di Roma

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Rome. Teatro Costanzi. 18-III-2025. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Alcina, drame musical en trois actes, sur un livret de anonyme tiré L’isola di Alcina d’Antonio Fanzaglia. Mis en musique par Riccardo Broschi (d’après Ludovico Ariosto). Mise en scène : Pierre Audi. Décors et costumes : Patrick Kinmonth. Lumière : Matthew Richardson. Avec : Mariangela Sicilia, Alcina ; Carlo Vistoli , Ruggiero ; Caterina Piva, Bradamante ; Anthony Gregory, Oronte ; Mary Bevan, Morgana ; Silvia Frigato, Oberto ; Francesco Salvadori, Melisso. Orchestre et choeur du Teatro dell’Opera di Roma (chef de choeur : Ciro Visco), direction : Rinaldo Alessandrini

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