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Zad Moultaka à l’honneur au festival Aspects de Caen

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Caen. Festival Aspects. 16-III-2025.
11h : Studio 24. Ivo Malec (1925-2019) : Sonate pour piano ; Zad Moultaka (né en 1967) : Omaggio a Luc Ferrari, pour piano et sons fixés ; Jean-Yves Bosseur (né en 1947) : Ton sur ton, pour violon ; Farnaz Modarresifar (née en 1989) : En crépuscule, pour flûte basse ; Alireza Farhang (né en 1976) : Zāmyād, pour violoncelle et électronique ; Nadim Tarabay (né en 1997), Fascination et Angoisse, pour flûte, violon, violoncelle et piano. Yvon Quénéa, flûtes ; Alejandro Serna Acero, violon ; Marie Ythier et Christophe Béguin, violoncelle ; Marie-Pascale Talbot, piano ; Sandrine Pagès, informatique musicale.
15h : Petit auditorium. Avant-scène : Alexandros Markeas (né en 1965) : Nuit froide et claire, Fuoco, Trois clins d’œil rythmés – n°2 pour clarinette et électronique, Dimotika, mélodies populaires grecques pour soprano et ensemble instrumental ; Maurice Ravel (1875-1937) : La flûte enchantée, extrait de Shéhérazade ; Cinq mélodies populaires grecques, pour chant et piano. Mariam Khanamyrian, Valentine Ford, voix ; Nils Maurice, alto ; Elisa Cauvin, violoncelle ; Thibaud Clavel, flûte ; Raphaël Loeweistein, clarinette ; Merlin Delekta, Paul Billy, David Huet, Mathis Lefrançois, percussions ; Emma Boulet, harpe ; Zeidan Aslanov, piano ; Christophe Béguin, direction.
17h : Auditorium Jean-Pierre Dautel. Alexandros Markeas (né en 1965) : Les Écuries d’Augias, pour 12 voix et piano (CM) ; Zad Moultaka (né en 1967) : Ikhtifa, pour 12 voix ; Les Bœufs de Géryon, pour 12 voix et piano (CM) ; Farnaz Modarresifar (née en 1989) : L’Odeur de ma couronne de papier, pour 12 voix et accordéon hybride microtonal (CM). Marie-Josèphe Jude, piano ; Jean-Étienne Sotty, accordéon hybride XAMP ; Ensemble vocal Musicatreize ; Roland Hayrabedian, direction

Le compositeur et plasticien franco-libanais est l'invité de la 43ᵉ édition d'Aspects, festival des musiques d'aujourd'hui (du 11 au 16 mars) porté par les forces du Conservatoire à Rayonnement Régional (CRR) de Caen et son directeur Aurélien Daumas-Richardson.

« La singularité du festival, au-delà de sa forme le plus souvent monographique, tient au fait qu'il a été pensé comme un outil pédagogique », lit-on dans la présentation de la manifestation. De fait, les professeurs comme les élèves du CRR sont, pour partie, les acteurs de ces six jours dédiés à la musique de notre temps où masterclasses avec les interprètes invités et pièces pédagogiques créées en présence des compositeurs nourrissent une programmation de haute tenue.

Brassant les styles et les cultures, le concert du dimanche matin au Studio 24 s'est construit autour de la personnalité de : avec un hommage à Ivo Malec, compositeur franco-croate qui aurait eu 100 ans en 2025. Entre académisme et liberté expressive, sa Sonate pour piano est l'opus 1 de son catalogue, écrite à 24 ans, au sortir de ses études au Conservatoire de Zagreb. Bien loin de ce que sera l'esthétique du compositeur après sa rencontre avec Pierre Schaeffer, l'œuvre sous les doigts de Marie-Pascale Talbot n'en est pas moins émouvante, coiffée d'un rondo dans les règles de l'art. Ludique et savoureux, l'Omaggio a Luc Ferrari (collègue de Malec au Groupe de Recherches Musicales) de confronte la version pianistique d'une pseudo sonate de Haydn (Marie-Pascale Talbot toujours) avec son double électronique : sorte de course-poursuite, entre échanges cordiaux et affrontements plus belliqueux… avant que la bande ne se transforme comme par magie en sons de nature et chants nocturnes de crapauds : « Presque rien avec orage », aurait dit Ferrari, guidant l'écoute vers une autre poétique sonore. L'écriture est à la pointe sèche, que le violoniste Alejandro Serna Acero détaille avec finesse et précision dans ton sur ton, une pièce de dont le titre emprunte à l'univers pictural que le compositeur aime bien solliciter. Dans l'acoustique peu porteuse du Studio 24, la flûte basse de Yvon Quénéa est légèrement amplifiée pour En crépuscule de la compositrice franco-iranienne , évoquant de manière sensible et fragile cet instant du jour où les profils s'estompent et les images s'effacent. Sons et souffle se mêlent, instances percussives et bruitées creusent le mystère et la profondeur. L'envoûtement opère également dans Zāmyād au geste ritualisant du Franco-Iranien , compositeur associé de cette 43ᵉ édition comme . L'œuvre invite sur scène la violoncelliste (dédicataire de l'œuvre) dont le jeu habité fusionne idéalement avec la source électronique pour générer de somptueuses images spectrales. Rejoint par Christophe Béguin, les quatre interprètes et professeurs du CRR de Caen jouent pour clore le concert Fascination et Angoisse, une pièce haute en couleur et en tension du jeune Franco-Libanais pour flûte, violon, violoncelle et piano.

Une transmission vivante

Au sein du festival, les Avant-scènes sont le fruit d'un travail collaboratif entre le compositeur invité, les élèves instrumentistes du CRR, leurs professeurs et les compositrice-compositeurs associés, , Alexandros Markeas et Farnaz Modaressifar pour cette 43ᵉ édition. La dernière Avant-scène du dimanche, dans le Petit auditorium, met en vedette le compositeur franco-grec Alexandros Markeas dont trois œuvres ont été travaillées par les jeunes interprètes. Le pianiste Paul Paillard joue Nuit froide et claire puis Fuoco, deux courtes pièces explorant la richesse du spectre sonore pour la première et l'obstination du geste parcourant tout le clavier pour la seconde. La clarinettiste Louison Teruel a choisi Trois clins d'œil rythmés – n°2, œuvre mixte associant l'instrument à une partie électronique. Après un extrait de Shéhérazade de avec le flûtiste Thibaud Clavel, Mariam Khanamyrian (voix) et Emma Dupuis (piano) interprètent les Cinq mélodies populaires grecques du compositeur basque qui ne pouvaient qu'attirer l'oreille de notre compositeur grec.

Ses huit mélodies de Dimotika (2003) pour voix et petit ensemble s'inspirent des Mélodies populaires grecques de Ravel autant que des Folksongs de Berio dont Markeas reprend la même formation. Comme Berio, il revisite les mélodies qu'il prolonge par les timbres instrumentaux pour dévoiler « des aspects qui se cachent parfois derrière les paroles », nous dit-il. Sous la direction de Christophe Béguin, cinq de ces huit mélodies (1, 3, 5, 6 et 8) sont interprétées par l'ensemble des élèves, donnant à entendre autant de bijoux admirablement ciselés, chantés dans la langue d'origine avec ce gage d'authenticité que leur confère l'expertise du compositeur grec.

Les douze travaux d'Hercule : le chantier de

Dans le grand auditorium Jean-Pierre Dautel, le concert de clôture du festival invite l'ensemble vocal et son chef , interprètes fidèles du festival venus dès 1988 pour chanter Maurice Ohana. Le programme de la soirée s'inscrit dans le cadre du projet aussi fertile qu'audacieux lancé il y a quelques années déjà par : commander à douze compositrices-compositeurs une œuvre sur les douze travaux d'Hercule. Avec les trois créations de la soirée, ce sont sept pièces qui s'affichent aujourd'hui au répertoire de l'ensemble vocal. Les cinq autres sont en prévision pour l'année prochaine, sachant que l'intégrale est prévue en 2027, sur la scène de la Philharmonie de Paris.

Zad Moultaka connaît bien le sujet, ayant anticipé cette intégrale en créant en 2023, avec (qui accompagne le compositeur depuis 20 ans !) et sur un livret de Bruno Messina (cf. notre chronique) Hercule, dernier acte (les douze travaux d'Hercule), un opéra-vidéo qui contourne un rien les exploits du demi-dieu romain. Moultaka suit davantage les traces du héros antique dans Les Bœufs de Géryon, le dixième exploit d'Hercule raconté dans une langue grecque inventée, une manière pour le compositeur de se libérer du sens et du pathos en maniant un matériau vocal qu'il modèle à sa guise. Rappelons que Géryon a la particularité d'être né avec trois têtes, six bras et trois corps unis à la taille. Pour garder son troupeau de bœufs, il est entouré d'un chien à deux têtes et d'un dragon qui en a sept… La partition en sept séquences est écrite pour piano () et douze chanteurs ayant des petites percussions à portée de main, une plaque tonnerre et une grosse caisse, instrument du rituel dont se départ rarement le compositeur. Une voix soliste de haute-contre sert de « coryphée » à ce récit fantastique dont Moultaka veut capter les résonances archaïques : des voix mi-humaines mi-animales venues du fond des âges, avec les coups de glotte qui ponctuent les phrases et les scansions rudes sur une corde de récitation. Le piano très en dehors, évocateur ou soutien rythmique, cimente l'écriture des voix. Précédant la mort de Géryon, le rituel funèbre du 6, sur la pulsation hiératique de la grosse caisse, est une des plus belles pages vocales jamais sortie de l'imaginaire du compositeur.

Si Zad Moultaka tente de revenir aux origines avec Les Bœufs de Géryon, Alexandros Markeas se projette au contraire dans l'actualité, transposant Les Écuries d'Augias (5ᵉ exploit d'Hercule) dans la folie du « tout jetable » contemporain, à travers un théâtre musical du burlesque en sept tableaux. Fouet en main (l'accessoire de percussion en bois), tente de discipliner une communauté de chanteurs particulièrement excités : entre parler et chanter, propos délirants et déplacements dans la salle où le public est invité à participer. La tension est à son comble et le piano percussif, souvent en clusters, en souligne les débordements. « Le chant du plastique errant », un lamento sur fond d'appeaux, fait retomber l'énergie au terme de la performance.

Farnaz Modaressifar s'est fixée sur le douzième travail d'Hercule, la capture de Cerbère, le chien à trois têtes qui garde les enfers dans la mythologie qu'elle assimile à tous les tyrans qui ont créé l'enfer sur la terre et dont elle se fait le témoin. Chacune des neuf séquences chorales de sa pièce intitulée L'Odeur de ma couronne de papier débute par le rappel historique des grandes tragédies de l'humanité (voix off de la compositrice), des siècles avant notre ère jusqu'en 1988, date de sa naissance. Au côté du chef, joue de son accordéon hybride microtonal dont les textures denses infiltrent celles du chœur, entre impacts violents et trames irisées. L'écoute recueillie plonge au cœur des ténèbres, portée par la résonance des cloches tubes et le lamento poignant de voix iraniennes passant par les haut-parleurs.

En complément de programme, Musicatreize chante Iktifa (« Effacement » en arabe) pour douze voix solistes de Zad Moultaka, une courte pièce en diptyque très attachante, inspirée par deux toiles de peintres, Raoul Ubac et Nicolas de Staël, dont le compositeur distingue les textures. La première partie entretient une scansion robuste du texte arabe (celui du poète et philosophe Abul-ala al-Maari, 973-1057). La deuxième n'est que trames vocales éparses inscrites dans un temps long que viennent perturber quelques battements d'ailes furtifs, un lieu où semble fusionner le geste du peintre et celui du musicien.

Crédit photographique : Klara Beck (Zad Moultaka) ;

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Caen. Festival Aspects. 16-III-2025.
11h : Studio 24. Ivo Malec (1925-2019) : Sonate pour piano ; Zad Moultaka (né en 1967) : Omaggio a Luc Ferrari, pour piano et sons fixés ; Jean-Yves Bosseur (né en 1947) : Ton sur ton, pour violon ; Farnaz Modarresifar (née en 1989) : En crépuscule, pour flûte basse ; Alireza Farhang (né en 1976) : Zāmyād, pour violoncelle et électronique ; Nadim Tarabay (né en 1997), Fascination et Angoisse, pour flûte, violon, violoncelle et piano. Yvon Quénéa, flûtes ; Alejandro Serna Acero, violon ; Marie Ythier et Christophe Béguin, violoncelle ; Marie-Pascale Talbot, piano ; Sandrine Pagès, informatique musicale.
15h : Petit auditorium. Avant-scène : Alexandros Markeas (né en 1965) : Nuit froide et claire, Fuoco, Trois clins d’œil rythmés – n°2 pour clarinette et électronique, Dimotika, mélodies populaires grecques pour soprano et ensemble instrumental ; Maurice Ravel (1875-1937) : La flûte enchantée, extrait de Shéhérazade ; Cinq mélodies populaires grecques, pour chant et piano. Mariam Khanamyrian, Valentine Ford, voix ; Nils Maurice, alto ; Elisa Cauvin, violoncelle ; Thibaud Clavel, flûte ; Raphaël Loeweistein, clarinette ; Merlin Delekta, Paul Billy, David Huet, Mathis Lefrançois, percussions ; Emma Boulet, harpe ; Zeidan Aslanov, piano ; Christophe Béguin, direction.
17h : Auditorium Jean-Pierre Dautel. Alexandros Markeas (né en 1965) : Les Écuries d’Augias, pour 12 voix et piano (CM) ; Zad Moultaka (né en 1967) : Ikhtifa, pour 12 voix ; Les Bœufs de Géryon, pour 12 voix et piano (CM) ; Farnaz Modarresifar (née en 1989) : L’Odeur de ma couronne de papier, pour 12 voix et accordéon hybride microtonal (CM). Marie-Josèphe Jude, piano ; Jean-Étienne Sotty, accordéon hybride XAMP ; Ensemble vocal Musicatreize ; Roland Hayrabedian, direction

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