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Juliette ou la Clé des songes : Retour à Nice

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Nice. Opéra. 11-III-2025. Bohuslav Martinů (1890-1959) : Juliette ou la Clé des Songes, opéra en trois actes sur un livret du compositeur d’après la pièce de théâtre de Georges Neveux. Mise en scène, scénographie et costumes: Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil (Le Lab. Lumières : Christophe Pitoiset. Vidéo : Pascal Boudet. Avec Ilona Revolskaya, soprano (Juliette) ; Aaron Blake, ténor (Michel) ; Samy Camps, ténor (le Commissaire, le Facteur, le Garde forestier, l’Employé) ; Louis Morvan, basse (l’Homme au casque, le Vieux, le Mendiant aveugle) ; Paul Gay, baryton-basse (l’Homme à la fenêtre, le Marchand de souvenirs, le Bagnard) ; Elsa Roux Chamoux, soprano (Le Petit Arabe, le Jeune matelot) ; Audrey Dandeville, soprano (le Chasseur) ; Oleg Volkov, baryton-basse (le Vieil Arabe, Le Vieux Matelot, le Père Jeunesse, le Gardien de nuit) ; Clara Barbier Serrano, soprano (La Marchande d’oiseaux) ; Sandrine Martin, soprano (la Vieille dame) ; Cristina Greco, mezzo-soprano (le Chiromancien) ; Marina Ogli, mezzo-soprano, (la Marchande de poissons, la Petite vieille) ; Virginie Maraskin, soprano / Susanna Wellenzohn, mezzo-soprano, Marie Descomps, alto (les Trois messieurs) ; Florent Chamard, ténor (le Mécanicien). Choeur (chef de chœur : Giulio Magnanini) de l’Opéra de Nice et Orchestre Philharmonique de Nice, direction musicale : Antony Hermus

L'opéra surréaliste de ressurgit sur une scène française, depuis l'intelligente mise en scène de Richard Jones à l'Opéra de Paris en 2002 et 2006. Donné pour la première fois en version intégrale, ont imaginé un des plus beaux spectacles de la saison.


Pourquoi situer à Nice l'action de l'opéra que le compositeur écrivit en français (avant de le faire traduire en tchèque pour la création pragoise de 1938 sous le titre de Julietta) à partir de la pièce du dramaturge et poète surréaliste Georges Neveux ? Tout d'abord parce que quasi intimé par le cahier des charges du Lab : inscrire la production dans « l'environnement politique et social dans lequel elle sera présentée » comme dans l'impressionnante Butterfly qui, à Limoges, avait fait connaître et , et dont le quotidien se partageait entre Nagasaki et… Limoges précisément. Ensuite parce que, cette fois et après leur relecture très pertinente de Rusalka, les très inventifs metteurs en scène ont vraiment un alibi en béton : Martinů composa Juliette ou la Clé des songes… à Nice, où  depuis 1923 il avait coutume de passer ses hivers. La première didascalie de l'opéra ne situe-t-elle pas l'action « dans une petite ville côtière du sud de la France » ?

Une ville où un homme nommé Michel revient sur les traces d'une femme entr'aperçue quelques années plus tôt. Mais une ville peuplée d'habitants sans mémoire ! Une amnésie générale providentielle pour un opéra qui est une quasi-illustration de la doctrine du pape du surréalisme, André Breton, lequel prônait, via le pouvoir de l'imagination, une « dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison ». Michel, seul personnage du livret dont la mémoire fonctionne en amont de dix minutes, va aller de rencontres sans queue ni tête en rencontres sans tête ni queue.


Ambitionnant de narrer une passion qui a déjà eu lieu, Juliette ou la Clé des songes se démarque vraiment du tout-venant d'un répertoire s'abreuvant mois après mois aux amours d'une courtisane phtisique ou d'une bohémienne adepte de l'amour libre. Labyrinthe onirique, Juliette ou la Clé des songes convie à l'abandon. Accepter de s'immerger dans cet opéra n'est certes pas une mince affaire (même si cette quête d'un amour passé ne peut qu'entrer en résonance avec tout un chacun), d'autant que la partition, moins directement accessible que celle de La Passion grecque, a tout d'un kaléidoscope musical avide de puiser dans tout ce qui se fait à l'époque, Sacre du Printemps y compris.

Porte d'entrée pas davantage évidente à franchir, le surréalisme de Juliette s'avère du pain bénit pour l'imagination du Lab, bien décidé à sortir le grand jeu pour inviter son spectateur à franchir toutes celles qui s'ouvrent dans la tête de Michel, dont ils font un homme en état de mort imminente voyant se bousculer les images de sa vie antérieure. Le Michel du Lab, poursuit l'image d'une femme entrevue, peut-être un fantasme. Après avoir été victime d'un choc esthétique au cours d'une déambulation qui, de l'Hôtel Amour, l'aura conduit au musée, où IKB le monochrome bleu (quintessence picturale de la mer qui borde la Baie des Anges) du niçois Yves Klein, l'aura plongé dans le coma. Un coma providentiel pour les Clarac/Deloeuil, ravis de se ruer au chevet d'un patient dont, 2h45 durant, ils infiltreront le cerveau en ébullition, avant de traduire en images le résultat de leur auscultation. Une manière d'expliquer l'inexplicable, à la manière dont ambitionnaient autrefois de le faire ces petits manuels d'interprétation des rêves intitulés justement La Clé des songes.


Un maelström visuel défile alors sur un décor à deux niveaux qui allèche dès l'entrée en salle avec ses miroirs renvoyant l'image d'une maison d'opéra en train de se remplir : sous un ciel de néons modulable, une sorte de retable-vidéo dédié à la rando niçoise du héros, balisé d'aphorismes (« Qui suis-je ? »…) surplombe une sorte de cabinet de curiosités aux murs mobiles tapissés de miroirs pivotants, et desquels surgissent sporadiquement quelques éléments signifiants de l'intrigue (chaussure, revolver, portrait,…). Une scénographie dotée d'un troisième niveau en arrière-plan pour le chœur, dont l'ultra-sophistication n'épargne ni les costumes (la robe de Juliette enlacée de deux bras bleus ; l'étonnant tailleur d'une hilarante mamie à chien-chien rouge), ni la colorimétrie (un Marchand de rêves orange de pied en cap). Donnant enfin la clé du songe, le troisième acte est plus spectaculaire encore, avec son Bureau des Rêves installé dans la blancheur d'une longue séance de scanner hospitalier, au terme de laquelle Michel, pressé par un machiniste qui ne cesse de répéter (même à l'adresse du chef d'orchestre) « On ferme ! » fera un choix tout à fait inattendu, mais parfaitement en phase avec cette ode au rêve (la seule chose dont l'être humain ne peut être privé) qu'est Juliette ou la clé des songes. Un choix finalement bien tentant aussi pour le spectateur malmené par son époque…


Juliette ou la Clé des songes
n'est pas en reste d'exigence avec sa distribution pléthorique : du Petit Arabe du début au Vieil Arabe de la fin, de sa presque trentaine de rôles chantés (et parlés) par seize artistes tous à citer, on retiendra le lumineux soprano d'Elsa Roux Chamoux, l'autorité de , la basse parfaitement projetée de , l'omniprésent , de surcroît excellent acteur, aussi drôle en Samu 06 que bien flippant en scanneur zinzin. Tous parlent un français impeccable. C'est moins le cas avec la Juliette d', même si l'on succombe au velours qu'elle déroule durant les rares torrents passionnels. Quant au Michel d', on serait malvenu de chipoter telle ou telle voyelle manquante, le jeune ténor américain ayant rendu possible l'impossible en remplaçant (sans connaître un mot de français) un Valentin Thill déclarant forfait à la veille du premier jour des répétitions ! Pour parvenir en si peu temps à pouvoir incarner ce rôle écrasant qu'aucun chanteur ne connaît à l'heure actuelle dans la langue de Molière, a été muni d'une oreillette. Et c'est avec un bonheur fou qu'aux saluts, ce Michel venu d'Amérique a tenu à fêter son ahurissante performance en compagnie de l'homme qui, durant toute la représentation aura dû murmurer à l'oreille du ténor. Un ténor dont la prestance scénique, les aigus juvéniles et assurés auront fait de lui une révélation. Sous la baguette d'Antony Hermus, l'interprétation magistrale de l'Orchestre Philharmonique de Nice de cette œuvre très remuante, participe grandement à la réussite d'un choc esthétique qui n'est pas sans faire écho à celui vécu par le héros de Martinů.

Crédits photographiques : © Avec accentuation-Bruit

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Nice. Opéra. 11-III-2025. Bohuslav Martinů (1890-1959) : Juliette ou la Clé des Songes, opéra en trois actes sur un livret du compositeur d’après la pièce de théâtre de Georges Neveux. Mise en scène, scénographie et costumes: Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil (Le Lab. Lumières : Christophe Pitoiset. Vidéo : Pascal Boudet. Avec Ilona Revolskaya, soprano (Juliette) ; Aaron Blake, ténor (Michel) ; Samy Camps, ténor (le Commissaire, le Facteur, le Garde forestier, l’Employé) ; Louis Morvan, basse (l’Homme au casque, le Vieux, le Mendiant aveugle) ; Paul Gay, baryton-basse (l’Homme à la fenêtre, le Marchand de souvenirs, le Bagnard) ; Elsa Roux Chamoux, soprano (Le Petit Arabe, le Jeune matelot) ; Audrey Dandeville, soprano (le Chasseur) ; Oleg Volkov, baryton-basse (le Vieil Arabe, Le Vieux Matelot, le Père Jeunesse, le Gardien de nuit) ; Clara Barbier Serrano, soprano (La Marchande d’oiseaux) ; Sandrine Martin, soprano (la Vieille dame) ; Cristina Greco, mezzo-soprano (le Chiromancien) ; Marina Ogli, mezzo-soprano, (la Marchande de poissons, la Petite vieille) ; Virginie Maraskin, soprano / Susanna Wellenzohn, mezzo-soprano, Marie Descomps, alto (les Trois messieurs) ; Florent Chamard, ténor (le Mécanicien). Choeur (chef de chœur : Giulio Magnanini) de l’Opéra de Nice et Orchestre Philharmonique de Nice, direction musicale : Antony Hermus

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1 commentaire sur “Juliette ou la Clé des songes : Retour à Nice”

  • Crochet dit :

    bizarre votre commentaire ? une partie du public quitte la salle à chaque entracte !!!
    je ne pense pas que le spectacle enthousiasme les foules

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