Benjamin Appl à l’école de Kurtág, une inoubliable leçon de musique
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Lines of life : Schubert & Kurtág. Musique vocale avec piano ou a capella de György Kurtág (né en 1926) ; Lieder de Franz Schubert (1797-1828) et de Brahms (1833-1897) ; interview de György Kurtág. Benjamin Appl, baryton ; James Baillieu, Pierre-Laurent Aimard, György Kurtág, piano. 1 CD Alpha Classics. Notice de présentation et textes en allemand, français et anglais. Durée : 67:45
Le disque publié par Alpha retrace une collaboration unique autour du Lied romantique entre le jeune baryton et le vénérable compositeur.
Même le décès de son inséparable épouse Márta en 2019 n'aura pas mis un terme à la créativité de György Kurtág, le dernier survivant de la génération miraculeuse née dans les années 1920 qui, marquée par l'Histoire, a révolutionné la musique après 1945. Il n'a notamment pas cessé de recevoir les musiciens désireux de travailler avec lui, comme le baryton Benjamin Appl, qui a tiré un disque de cette collaboration. Les œuvres de Kurtág lui-même s'y taillent la part belle, naturellement, mais Appl a aussi travaillé avec lui sur le Lied romantique, principalement Schubert, qu'il avait déjà servi au disque avec un Winterreise très estimable (Alpha, 2021). Il aura fallu douze jours pleins et 1200 prises pour enregistrer les cinquante minutes de musique du disque, sous la direction de Kurtág lui-même, sans compter le travail préparatoire : on pourrait craindre de découvrir un froid produit de studio, mais c'est un joyau de naturel musical qui en sort.
Les six fragments de Hölderlin op. 35a, composés au milieu des années 90 et complétés par deux autres poèmes de Hölderlin, sont la seule œuvre de Kurtág déjà connue, notamment par un enregistrement un peu raide par Kurt Widmer (ECM) : composé pour voix a cappella – seuls un trombone et un tuba viennent ajouter un peu de drame dans le troisième fragment. Les mots de Hölderlin, poète maudit souvent accusé d'hermétisme, qui n'a séduit les musiciens qu'au XXe siècle (de Nono à Holliger) en trouvent toute leur force prophétique.
Les autres œuvres de Kurtág présentes sur le disque sont des œuvres toutes récentes, composées en 2022 et 2023, ou du moins révisées pour l'occasion, souvent en rapport direct avec le travail avec Appl : Circumdederunt, d'abord composé pour le violoncelle de Steven Isserlis, retrouve ici le texte qui l'a inspiré, extrait des psaumes ; Kurtág met en outre en musique quatre poèmes de la poétesse Ulrike Schuster, en une sorte de petit cycle pas forcément achevé, cette fois avec piano.
Pour cette courte odyssée, Benjamin Appl est accompagné par trois pianistes, pas moins. Pierre-Laurent Aimard, qui connaît Kurtág depuis des décennies, accompagne le chanteur pour la création des pièces sur les poèmes de Schuster, et on entend cette familiarité : il sait que chaque note de Kurtág fait entrevoir un monde à part entière.
Pour l'essentiel des Lieder de Schubert, c'est James Ballieu, accompagnateur habituel d'Appl, qui est au piano, et on sent dans son jeu autant que dans le chant d'Appl le bénéfice du travail avec Kurtág : le piano est d'une présence étonnante, parce qu'il s'agit ici de musique de chambre et non de simple soutien de la voix. En écho aux pièces de Kurtág, et conformément au titre du disque, le choix des musiciens s'est porté sur des Lieder méditatifs, presque métaphysiques, entre élégies sur la fragilité des choses humaines et parcours de vie : Appl a appris au contact de Kurtág à faire confiance aux notes, et la chaleur de son timbre n'a besoin d'aucun artifice pour habiter comme jamais ce répertoire si connu.
C'est ce qu'on entend aussi dans deux Lieder de Schubert (Der Jüngling an der Quelle) et de Brahms (Sonntag op. 47 n° 3) accompagnés par Kurtág lui-même : à 98 ans, on ne peut attendre de lui une virtuosité de jeune homme, et on sent ici, au piano de concert, le goût du compositeur pour les sonorités plus dépouillées du piano droit, mais il y montre par l'exemple ce qu'il enseigne depuis des décennies, cette humilité face à chaque note que le musicien doit mériter ; Sonntag de Brahms prend une dimension inédite qui en fait une vraie révélation.
Le disque est complété par une interview de Kurtág par Appl, en allemand (sa traduction est fournie dans le livret) : on n'y apprend rien de nouveau sur sa biographie ou sa méthode de travail, mais il constitue une bonne introduction de la pensée musicale de Kurtág, toujours aussi éveillée et pertinente.
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