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Saint-Étienne. Grand Théâtre Massenet. 9-III-2025. Pietro Mascagni (1863-1945) : Cavalleria rusticana, opéra en un acte sur un livret de Giovanni Targioni-Tozzeti et Guido Menasci. Ruggero Leoncavallo (1858-1919) : I Pagliacci, opéra en un prologue et deux actes sur un livret du compositeur. Mise en scène et costumes : Nicola Berloffa. Décors : Andrea Belli. Lumières : Valerio Tiberi. Chorégraphie : Luigia Frattaroli. Avec : Tadeusz Slenkier, ténor (Turridu/Canio) ; Julie Robard-Gendre, mezzo-soprano (Santuzza) ; Doris Lamprecht, mezzo-soprano (Mamma Lucia) ; Marion Vergez-Pascal, mezzo-soprano (Lola) ; Valdis Jansons, baryton (Prologue / Tonio / Alfio) ; Alexandra Marcellier, soprano (Nedda) ; Matteo Loi, baryton (Silvio) ; Marc Larcher, ténor (Beppe). Chœur lyrique Saint-Étienne Loire (chef de chœur : Laurent Touche), Chœur de la maîtrise de la Loire (chef de chœur : Jean-Baptiste Bertrand) et Orchestre symphonique Saint-Étienne Loire, direction : Christopher Franklin
Au Grand Théâtre Massenet, le sens esthétique de Nicola Berloffa fait merveille, qui donne à l'irrésistible diptyque de la jalousie co-composé à leur insu par Mascagni et Leoncavallo une puissance visuelle toute cinématographique. Distribution à la hauteur et orchestre conduit de main de maître font le reste.
Ni Carsen ni Michieletto, encore moins Tcherniakov ou Castellucci, Nicola Berloffa (Norma, Carmen, Hamlet) est un artiste que l'on pourrait qualifier, pour reprendre l'expression de Pascale Ferran parlant des « films du milieu » du cinéma français, de « metteur en scène du milieu ». Saupoudrées de quelques innovations toujours lisibles (pas de notes d'intention dans le programme), n'entraînant pas les méandres du cerveau de son spectateur dans ceux du sien, ses réalisations sont toujours d'une élémentaire beauté. Ne dérogeant pas à cette règle, sa version de Cavalleria Rusticana et I Pagliacci, est ce qu'il est convenu de nommer de la très belle ouvrage.
Contrairement à ce qui se fait de plus en plus fréquemment (récemment Silvia Paoli à Toulon), l'un et l'autre opéra sont montés par Berloffa sans lien de l'un à l'autre, dans un décor (Andrea Belli) ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. Le rideau se lève sur un vaste hangar aux murs défraîchis : un empilement de caisses à jardin, un lit à cour, séparés par deux battants d'une immense porte s'ouvrant, comme sur un écran de cinéma, sur des entrées et des sorties en contre-jour d'un soleil sicilien prompt à s'obscurcir voire à s'embrumer (impressionnante entrée de la mafia clonée d'Alfio). Après l'entracte le plateau gagne en profondeur, la grande porte laisse la place à deux portes latérales tout aussi friandes de contre-jour : le hangar est devenu une salle de sport encore plus décrépite, que fréquente une populace avide de spectacle : aux uppercuts du combat de boxe (très joli détournement du chœur Din don censé appeler à la messe) vont se superposer ceux, tout aussi sportifs, du drame de la jalousie.
Né dans les ateliers du Grand Théâtre Massenet, ce décor qui en impose (du genre à faire oublier les nuages actuels relatifs à « l'opéra zéro achat ») est sous l'emprise sophistiquée du jeu d'orgue (Valerio Tiberi), lequel fait feu de toutes sources, notamment d'une verrière oblique dont la lumière diffractée, plus inféodée aux affects qu'à la vraisemblance du passage des heures du jour, magnifie les personnages. Poussé à l'extrême, ce système baigne quelques moments-clés d'I Pagliacci d'une lumière laiteuse proprement hypnotique. Ne laissant rien au hasard, la direction d'acteurs est plutôt classique, ce qui ne l'empêche pas de s'encanailler au moment de l'entrée des comédiens avec une bonne humeur des plus communicatives, au moyen d'une irrésistible chorégraphie pour tous face au public.
On avait fait connaissance à Toulon avec le Turridu et le Canio de Tadeusz Szlenkier. Ne s'économisant pas plus que dans le plein air de Châteauvallon, le ténor polonais impressionne par la puissance de feu d'un organe chauffé à blanc. Berloffa nous épargne le traditionnel numéro clownesque de Canio qu'il préfère habiller classieusement (le metteur en scène et l'auteur des costumes), comme Tonio et Beppe, d'un smoking et d'un haut de forme. Vocalité épanouie dans tous les registres, minois expressif aux mimiques gourmandes, en ludion gracile et insaisissable échappé d'un corps de ballet, la Nedda d'Alexandra Marcellier est follement amusante. L'Alfio très châtié de Valdis Jansons, un peu malmené par le tempo de son air d'entrée, manque un peu de noirceur, mais son Tonio malgré un incominciate du Prologue stratégiquement revu en incominciete, possède davantage d'assurance. Parfaitement à leur place sont les très probes Matteo Loi en Silvio et Marc Larcher en Beppe, et Marion Vergez-Pascal en Lola. Aussi assurée que peu amène, Doris Lamprecht incarne une Mama Lucia qu'on jurerait « copine » avec la Kabanicha et la Sacristine de Janaček. Se débattant contre ses démons à grands renfort de gestes expressionnistes, Julie Robard-Gendre, incandescente Santuzza, s'affirme en tragédienne.
En terme de décibels, le potentiomètre de la production, comme dans certaines salles de cinéma, est placé très haut pour tous, même pour le Chœur, absolument splendide, à la hauteur de l'interprétation d'un Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire en très grande forme sous la direction du chef américain Christopher Franklin. Prélude et Intermezzo de Cavalleria sont de parfaits exemples du geste, très en phase avec les images fortes de Berloffa. Une nouvelle réussite de l'Opéra de Saint-Étienne, première en date consécutive à la mort de Jean-Louis Pichon, ancien directeur de l'institution, auquel l'actuel, Eric Blanc de La Naulte, a tenu à rendre un émouvant hommage avant la représentation, tout en rappelant par là même l'importance du spectacle vivant en ces temps des plus troubles.
Crédits photographiques : © Cyrille Cauvet – Opéra de Saint-Etienne
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Saint-Étienne. Grand Théâtre Massenet. 9-III-2025. Pietro Mascagni (1863-1945) : Cavalleria rusticana, opéra en un acte sur un livret de Giovanni Targioni-Tozzeti et Guido Menasci. Ruggero Leoncavallo (1858-1919) : I Pagliacci, opéra en un prologue et deux actes sur un livret du compositeur. Mise en scène et costumes : Nicola Berloffa. Décors : Andrea Belli. Lumières : Valerio Tiberi. Chorégraphie : Luigia Frattaroli. Avec : Tadeusz Slenkier, ténor (Turridu/Canio) ; Julie Robard-Gendre, mezzo-soprano (Santuzza) ; Doris Lamprecht, mezzo-soprano (Mamma Lucia) ; Marion Vergez-Pascal, mezzo-soprano (Lola) ; Valdis Jansons, baryton (Prologue / Tonio / Alfio) ; Alexandra Marcellier, soprano (Nedda) ; Matteo Loi, baryton (Silvio) ; Marc Larcher, ténor (Beppe). Chœur lyrique Saint-Étienne Loire (chef de chœur : Laurent Touche), Chœur de la maîtrise de la Loire (chef de chœur : Jean-Baptiste Bertrand) et Orchestre symphonique Saint-Étienne Loire, direction : Christopher Franklin