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Opéra Bastille, Paris. 8-III-2025. Ballet de l’Opéra de Paris : La Belle au bois dormant. Chorégraphie : Rudolf Noureev, d’après Marius Petipa. Musique : Piotr Illyitch Tchaïkovski. Décors : Ezio Frigerio. Costumes : Franca Squarciapino. Lumières : Vinicio Chelli. Répétitions supervisées par Laurent Novis.
Par le Ballet de l’Opéra national de Paris. Avec Bleuenn Battistoni (Aurore), Guillaume Diop (Désiré), Yann Chailloux (le Roi), Sarah Kora Dayanova (la Reine), Fanny Gorse (la Fée Lilas), Katherine Higgins (Carabosse), Osiris Onambele-Ngono (Catalabutte), Marine Ganio et Antoine Kirscher (pas de deux de l’Oiseau bleu), Eléonore Guérineau et Samuel Bray (pas de deux du Chat Botté et de la Chatte blanche).
Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Vello Pänh.
Dix ans que le Ballet de l'Opéra national de Paris n'avait pas dansé La Belle au bois dormant. Il était temps qu'elle se réveille ! Et qu'elle prouve que le chef d'œuvre de Marius Petipa n'est pas une pièce de musée. Sous certaines conditions…
Dix ans. Autant dire qu'aujourd'hui, c'est toute une nouvelle génération de danseurs parisiens qui découvrent ce ballet incontournable dans le répertoire d'une compagnie classique. Un ballet si fleuve (3h15 de spectacle) que l'Opéra a même songé à le proposer dans une version raccourcie, comme l'a expliqué José Martinez. Après discussion avec la Fondation Rudolf Noureev, cette dernière a souhaité que l'œuvre soit donnée dans son intégralité. Et en effet, cette décision est conforme à l'œuvre en elle-même (qui durait même 4 heures à sa création en 1890) et aux souhaits de Noureev, lors de sa recréation parisienne en 1989 comme on peut le lire dans le programme du spectacle : « Avec La Belle, Il ne s'agit pas de créer un évènement sans lendemain, mais de produire un spectacle durable qui maintienne l'excellence d'une compagnie » disait-il alors. Un double objectif économique et artistique qui reste toujours valable aujourd'hui.
Dès ses débuts de jeune danseur, à Leningrad, Noureev avait été marqué par l'opulence des productions de La Belle au bois dormant qui était pour lui « le Ballet des ballets ». Au Kirov, il danse dans la version de Sergeiev le rôle du Prince Désiré dans lequel l'Occident le découvre sur la scène de Garnier en mai 1961. C'est aussi le premier rôle qu'il danse quelques jours après sa défection, au Théâtre des Champs-Élysées, dans une production opulente du Marquis de Cuevas.
L'opulence est donc bien ce qui ressort aussi de sa production pour l'Opéra de Paris. Mais pas pour de très bonnes raisons. Les costumes de Nicholas Georgiadis avaient été jugés très ampoulés en 1989, mais en comparaison de l'actuelle production, ils étaient visuellement très élégants. En 1997, on donna curieusement le soin à Franca Squarciapino et à son mari Ezio Frigerio de créer de nouveaux décors et costumes. Bien mal leur en prit. Alors qu'ils avaient produit des merveilles de finesse pour Le Lac des Cygnes et La Bayadère pour le même Noureev, cette production de La Belle au bois dormant croule sous des décors baroques très pesants et des costumes omniprésents mais peu raffinés, jouant sur de curieux contrastes de couleurs: robe jaune vif pour la Reine et tristes tutus vert d'eau pour les amies d'Aurore, tutus courts au corset ultra brillant rouge, vert ou bleu vifs pour les pierres précieuses, et robes de cour roses et jaunes en mode biopic télévisée sur Marie-Antoinette…
Dans le même temps, Aurore et le prince Désiré portent de ravissants costumes aux tons pastel étonnamment sobres, au point que l'on ne voit même pas arriver le Prince lors du très beau deuxième acte de la Chasse (on regrettera ici le costume bleu Nattier si spectaculaire que portait Noureev avec le ballet canadien). Dénués d'unité dans les costumes, peu aidés par des éclairages inexistants (notamment dans le tableau de la vision qui mériterait plus de brume romantique puisqu'il fait référence aux actes blancs), les tableaux sont animés de couleurs souvent criardes qui n'aident pas à éclaircir et adoucir la chorégraphie complexe de Noureev. C'est d'autant plus rageant que décorateur, costumière et éclairagiste travaillaient alors sur une œuvre chorégraphique déjà existante.
On sait l'appétence de Noureev pour additionner les enchaînements de pas, les répéter moultes fois à gauche et à droite, multiplier les épaulements, les changements de direction, les déplacements complexes des ensembles. Cela n'est pas dérangeant (et c'est même réjouissant) si la chorégraphie est bien « digérée » par les danseurs. On a vu des Belles au bois dormant majestueuses lors des précédentes reprises. Ce n'était pas vraiment le cas le soir de cette première.
Si les ensembles fonctionnaient bien, nombre de solistes ont semblé danser sur des œufs. Ce fut le cas des fées du prologue. Elles doivent pourtant aller au-delà de la technique et ont un vrai travail théâtral à effectuer pour expliciter la nature des dons qu'elles dispensent à la jeune princesse. On était encore dans le souci de bien faire, à l'exception notable de Clara Mousseigne dans la Fée « Violente » impériale avec ses doigts tendus lançant des flèches électriques (allusion à la récente arrivée de l'électricité au Théâtre Maryinski).
Lilas et Carabosse (respectivement interprétées par Fanny Gorse et Katherine Higgins) ont eu à cœur de bien styliser leurs apparitions, entre douceur bienveillante pour l'une et venin animalesque pour sa rivale. Chère à Noureev, la pantomime un peu encombrante dévolue à la Fée Lilas reste un moment critique, où il s'agit d'éclairer le spectateur avec des mouvements dont il ne connaît plus la signification. Mais Fanny Gorse fait au mieux.
Quant aux solistes vedettes des deux divertissements du grand mariage d'Aurore, ils avaient à l'évidence la maîtrise de leur affaire. Antoine Kirscher aura été un Oiseau bleu pas totalement à son aise mais sans fausse note dans la batterie et les sauts, ce que Marine Ganio, son acolyte, a dû gérer, avec un grand panache, dans l'impardonnable absence de la flûtiste au moment clé de son solo. Sourire aux lèvres, elle a mis la musique manquante dans ses pas, imperturbable. Les plus aboutis, ayant largement assimilé les finesses chorégraphiques pour glisser dans une délicieuse théâtralité auront été Eléonore Guérineau et Samuel Bray dans le pas de deux du Chat botté et de la Chatte blanche. On pouvait alors souffler avec eux et apprécier une pure séquence de drôlerie assumée.
Restent donc nos deux héros, Bleuenn Battistoni, dont il s'agit du second rôle titre après Giselle depuis sa nomination d'étoile le 26 mars 2024 et Guillaume Diop, lancé dans le grand bain de Noureev depuis ses débuts dans Don Quichotte. La première aura été un ravissement permanent. La princesse Aurore est décidément faite pour elle, silhouette parfaite et élégante, petit minois entre Sylvie Guillem et Darcey Bussell, jeunesse constamment souriante, naïve mais décidée, obéissante mais déjà mature, émerveillée et merveilleuse. Il fallait voir son Adage à la Rose, subtil et sans effet, puis sa diagonale de ronds de jambe sur pointe, ses tours attitudes d'une belle retenue et d'une grande musicalité. Son travail de bras, joliment baroqueux, montrait également tout l'étendue de son style. La soirée aura été plus délicate pour Guillaume Diop, le danseur devant affronter les trois redoutables variations du deuxième acte. On sait qu'il en a tout le potentiel et surtout le style, et près d'une quinzaine de représentations d'ici juillet l'attendent pour se les approprier. Il a en tout cas déjà bien acquis l'esprit de ce Prince qui est loin d'être juste un gentil héritier mais bel et bien un jeune homme qui s'interroge sur son existence, ce que montre la fameuse variation lente introspective. Sûrement un peu déçu de n'avoir pas été au meilleur de son talent, Guillaume Diop aura brillé ensuite dans le pas de deux final.
Alors, oui, La Belle de Noureev est un ballet difficile pour une compagnie (même pour l'Opéra de Paris) parce qu'il ne souffre d'aucune approximation. Pour les deux héros et particulièrement pour le Prince dans cette version. Mais aussi pour le corps de ballet, élément moteur de l'œuvre, qui crée à lui seul l'univers féérique recherché, avec ces effets de masse, de valses et polonaises complexes, le tout en gardant un sens de la tenue aristocratique d'une Cour grand Siècle. Cette alchimie concerne aussi les rôles de caractère. Catalabutte est un maître de cérémonie comique et moqué, mais qui ne saurait être grotesque comme le montre un peu trop Osiris Onambele-Ngono. La marge de manœuvre pour ne pas être ridicule est très fine et sans doute qu'un danseur plus âgé pourra être d'autant plus drôle que son personnage n'aura pas l'excuse de l'inexpérience de la vie, mais celle d'être en décalage impardonnable avec les convenances de la Cour.
Last but not least, l'orchestre. La partition magistrale de Tchaïkovsky fait largement partie de la réussite d'une représentation de La Belle, tant la danse émane de cette construction symphonique très rigoureuse répartie entre les actes. Et si l'on passe sur les couacs de la flutiste, on aura vraiment apprécié la délicatesse de l'Orchestre de l'Opéra de Paris, dirigé par Vello Pähn (déjà au pupitre à la création en 1989 !). L'orchestre fut d'ailleurs acclamé, presque davantage que le ballet, ce qui est un peu injuste.
Alors oui, reprendre régulièrement cette Belle au bois dormant n'est pas un pensum, comme on aurait pu le croire, mais bien une nécessité bienvenue. Parce que ce « ballet-féérie », incontournable dans l'histoire de la danse, plaît au public, parce qu'il permet aux étoiles de s'affirmer, aux solistes de s'épanouir et au corps de ballet d'être « le corps du ballet » comme aimait à le répéter Rudolf Noureev.
Crédits photographiques : © Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
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Opéra Bastille, Paris. 8-III-2025. Ballet de l’Opéra de Paris : La Belle au bois dormant. Chorégraphie : Rudolf Noureev, d’après Marius Petipa. Musique : Piotr Illyitch Tchaïkovski. Décors : Ezio Frigerio. Costumes : Franca Squarciapino. Lumières : Vinicio Chelli. Répétitions supervisées par Laurent Novis.
Par le Ballet de l’Opéra national de Paris. Avec Bleuenn Battistoni (Aurore), Guillaume Diop (Désiré), Yann Chailloux (le Roi), Sarah Kora Dayanova (la Reine), Fanny Gorse (la Fée Lilas), Katherine Higgins (Carabosse), Osiris Onambele-Ngono (Catalabutte), Marine Ganio et Antoine Kirscher (pas de deux de l’Oiseau bleu), Eléonore Guérineau et Samuel Bray (pas de deux du Chat Botté et de la Chatte blanche).
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