Tosca à Rome avec Anna Netrebko : un spectacle dans son élément

Cette Tosca dans les lieux et les atours de la production d'origine permet d'apprécier la vitalité d'une œuvre à l'efficacité intemporelle, d'autant plus quand le rôle-titre est chanté par Anna Netrebko.

Rome est la ville où se passe l'action de l'opéra Tosca de Giacomo Puccini, créé dans la Ville éternelle en 1900. C'est donc tout naturellement que l'Opéra de cette ville a décidé de présenter une reconstitution historique des représentations de la création, tout du moins en ce qui concerne les décors et les costumes. Quelles qu'en pussent être les productions depuis plus d'un siècle, l'histoire foncièrement mélodramatique de l'héroïne de Victorien Sardou s'accommode d'une narration claire avec des lieux parfaitement circonscrits et avec des costumes de facture classique. Une exposition dans les lieux de circulation du théâtre sur les conditions de la création (avec des aquarelles des décors, des costumes originaux et même la partition autographe !) permet d'apprécier le travail de reconstitution qui semble être très fidèle. Dans tous les cas, tous les actes sont d'une très grande lisibilité avec les monuments romains que chacun reconnaîtra : là, le Palais Farnese où officie Scarpia, ici, le Château Saint-Ange du dernier acte. En toiles peintes, l'ensemble demeure efficace et la simplicité même des décors choisis pour les différents lieux rappelle que malgré le succès international de l'œuvre, Tosca reste un drame relativement intimiste, dans des monuments facilement identifiables (ce qui a certainement contribué à son succès).

Pour incarner cette Tosca, Anna Netrebko se glisse dans la voix de la diva avec une incarnation mémorable. La voix toujours plus puissante ne cherche pas à grossir artificiellement le son et s'enrichit d'année en année d'harmoniques sombres, et les saisons ne semblent pas altérer ce matériau dont les registres sont bien soudés. C'est d'ailleurs assez remarquable qu'elle puisse donner l'impression parfois d'être une Tosca immature et inconsciente de la situation sans pour autant chercher à minauder ou bien sembler ridicule dans les allers-retours jaloux avec Cavaradossi au premier acte. Le grand moment de chant que constitue « Vissi d'Arte » est digne d'un concours de prima donna, avec un phrasé et un legato absolument moelleux et un souffle semblant infini. Avec la complicité de son partenaire Yusif Eyvazov, le duo fonctionne à merveille, laissant à chacun ses moments de brillance et sans empiéter sur leurs capacités vocales respectives. Les duos sont ainsi des merveilles d'équilibre et Yusif Eyvazov offre un « Lucevan le stelle » absolument délicieux dans sa capacité à alléger le son sans être trop ostentatoire. Enfin, Amartuvshin Enkbath s'impose comme un des grands barytons de sa génération dans les rôles imposant vigueur de l'intonation et mordant scénique. Il parvient avec une grande intelligence à rendre tout le fiel du personnage de Scarpa, qui cherche à obtenir ce qu'il souhaite quels que soient les moyens pour y parvenir.

Enfin, la direction de Daniel Oren est très homogène dans le rendu orchestral. Il fait trembler le théâtre dans la solennité du « Te Deum » tout en étant attentif aux passages théâtraux suspendus dans les moments d'extase amoureuse ou de mélancolie.

Crédit photographique: Anna Netrebko et Amartuvshin Enkbath © Fabrizio Sansoni-Teatro dell'Opera di Roma