La Scène, Spectacles divers

Un théâtre musical jubilatoire avec « Sans tambour » aux Bouffes du Nord

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Paris. Théâtre des Bouffes du Nord. 6-III-2025. Samuel Achache (mise en scène) et Florent Hubert (direction musicale) : Sans tambour (2022). Robert Schumann (1810-1856) : Liederkreis op. 39, Frauenliebe und Leben op. 42, Myrthen op. 25, Dichterliebe op. 48, Liederkreis op. 24. Samuel Achache, trompette et bugle ; Florent Hubert, clarinette basse et saxophone ténor ; Agathe Peyrat, soprano ; Myrtille Hetzel, violoncelle ; Sébastien Innocenti, accordéon ; Antonin-Tri Hoang, clarinette, saxophone alto et piano ; Sarah Le Picard, comédienne ; Léo-Antonin Lutinier et Laurent Ménoret, comédiens

Six musiciens et trois comédiens se démènent sur la scène des Bouffes du Nord pour donner vie à un entrelacement d'histoires plutôt dramatiques, mais traitées sur le mode humoristique. Croisant subtilement l'univers romantique du Lied et l'esprit joyeusement foutraque des Marx Brothers ou de Tex Avery, voici un spectacle inclassable et d'une incroyable inventivité.

Tels des écoliers, les musiciens sont sagement alignés sur un banc et semblent attendre, lorsque Léo-Antonin Lutinier déboule au centre de la scène, élégant et décontracté dans son costume noir et sa chemise blanche, se sert un verre de vin rouge, sort un 45 tours de sa pochette et le pose sur un pupitre comme pour l'écouter. Aussitôt le clarinettiste lève son instrument à la verticale et fait entendre le grésillement d'un disque vinyle. Les musiciens entament un air populaire, mais visiblement la galette est gondolée ou rayée, ce qui donne lieu à une sorte d'ondulation sonore avec accélérations-ralentissements et crescendos-decrescendos subits, tandis que le vin ne cesse de faire des allers-retours entre le verre et la bouche du comédien… Le ton est donné et le public déjà hilare. Ce disque pourrait bien être le symbole d'un monde qui tourne, mais pas très bien, et aussi de la musique comme espace de recueillement et moteur de la pièce.

En écho assurément à l'actualité mondiale, la maison qui se dresse sur la partie droite de la scène est défoncée par les acteurs, brique après brique. Ce jeu de massacre dure un certain temps… À l'intérieur des ruines, un couple se déchire : elle (Sarah Le Picard) parle de leur amour enfui, lui (Laurent Ménout) fait la vaisselle et parle siphons et robinetterie. Elle le quitte et finira par croiser la route de « Spinel » (jeu de mots sur « spleen » ?), écrivain farfelu incarné par l'extraordinaire Léo-Antonin Lutinier, alignant les gags et les déclarations les plus décalées (« Mon nom est Tristan parce que je suis né un triste jour. »). Le sens commun ayant disparu en même temps que les murs de l'habitation, c'est l'esprit du burlesque qui va présider dorénavant. Et pour notre plus grand bienfait, car tout pathos est également éloigné. Les rôles de chacun ne sont plus clairement définis, les musiciens pouvant se mettre à parler et incarner un personnage de l'intrigue. De la bouffonnerie, certes, mais avec quelques vérités sur nous-mêmes imperceptiblement amenées, ainsi :

Isolde : « – Vous lisez la musique ? »
Tristan : « – C'est très intime comme question ! »

Quant à la musique, elle est soit d'inspiration romantique soit populaire. Tantôt elle respecte, dans leur arrangement collectif, la poésie et la pudeur prévalant dans les Lieder de (Liederkreis, Frauenliebe und Leben, Myrthen, Dichterliebe, Liederkreis), lorsqu'ils sont entonnés par la voix de soprano peu puissante mais bien timbrée d', tantôt elle part en vrille, quand par exemple Léo-Antonin Lutinier se met à chanter en voix de fausset. À chaque fois, c'est irrésistible sans pour autant que l'on sache très bien ce qui en nous est touché. Du grand art, oui ! La formation instrumentale – trompette et bugle (), clarinette basse et saxophone ténor (), clarinette, saxophone alto et piano (Antonin-Tri Hoang), violoncelle (Myrtille Hetzel), accordéon (Sébastien Innocenti) – a les couleurs d'un ensemble d'Europe centrale. Tour à tour, elle entraîne ou commente l'action, nous invitant toujours dans la danse. La musique constitue un personnage à part entière. Le groupe est parfaitement coordonné et chaque musicien se montre excellent, qu'il joue seul ou accompagné.

Une thèse, un message ? Il semblerait que non. Sauf peut-être à travers le titre sibyllin qu'est Sans tambour : jadis dans les conflits armés, les musiciens de l'armée vaincue devaient se retirer en quelque sorte sur la pointe des pieds, c'est-à-dire sans tambour ni trompette.

Ce soir, « réjouissance » rime avec « intelligence ».

Crédit photogaphique : Sans tambour, , 2022 © Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

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Paris. Théâtre des Bouffes du Nord. 6-III-2025. Samuel Achache (mise en scène) et Florent Hubert (direction musicale) : Sans tambour (2022). Robert Schumann (1810-1856) : Liederkreis op. 39, Frauenliebe und Leben op. 42, Myrthen op. 25, Dichterliebe op. 48, Liederkreis op. 24. Samuel Achache, trompette et bugle ; Florent Hubert, clarinette basse et saxophone ténor ; Agathe Peyrat, soprano ; Myrtille Hetzel, violoncelle ; Sébastien Innocenti, accordéon ; Antonin-Tri Hoang, clarinette, saxophone alto et piano ; Sarah Le Picard, comédienne ; Léo-Antonin Lutinier et Laurent Ménoret, comédiens

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