Plus de détails
Paris. Opéra de Paris ; Opéra Bastille. 28-II-2025. Claude Debussy (1862-1918) : Pelléas et Mélisande, drame lyrique en cinq actes et douze scènes sur un livret de Maurice Maeterlinck. Mise en scène : Wajdi Mouawad. Décors : Emmanuel Clolus. Costumes : Emmanuelle Thomas. Maquillage, coiffures : Cécile Kretschmar. Lumières : Éric Champoux. Vidéo : Stéphanie Jasmin. Dramaturgie : Charlotte Farcet. Avec : Sabine Devieilhe, Mélisande ; Huw Montague Rendall, Pelléas ; Gordon Bintner, Golaud ; Jean Teitgen, Arkel ; Sophie Koch, Geneviève ; Amin Ahangaran, Un médecin ; Anne-Blanche Trillaud Ruggeri, Yniold. Chœurs de l’Opéra national de Paris (Chef des Chœurs : Alessandro Di Stefano). Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction musicale : Antonello Manacorda.
Vingt-huit ans après la production de Robert Wilson, l'Opéra de Paris propose le regard de Wajdi Mouawad sur Pelléas et Mélisande, plus que jamais en forme de paraphrase de Tristan et Isolde.
Venu de l'Opéra Comique et entré au répertoire de l'Opéra de Paris en 1977 sous la direction musicale de Lorin Maazel, Pelléas et Mélisande permet vingt ans plus tard l'une des plus belles réussites d'Hugues Gall, qui après l'avoir fait venir à l'opéra avec Madame Butterfly de Puccini quatre ans plus tôt, propose à Bob Wilson de mettre en image le chef-d'œuvre de Claude Debussy. Reprise pendant plus de deux décennies, cette production s'était dévitalisée lors des dernières, et il était temps pour l'institution d'offrir une nouvelle vision, avec tous les risques que comporte pour une grande maison internationale le fait d'effacer un élément marquant de son répertoire.
L'enjeu est donc grand pour Wajdi Mouawad, qui y répond en utilisant l'histoire de l'Opéra Bastille, mais en prenant appui sur une autre production référente. Puisque Pelléas est une paraphrase de Tristan assumée par Maeterlinck, alors Mouawad ajoute sa propre relecture de la production du Tristan de Peter Sellars et Bill Viola, très grand moment de l'époque Mortier cette fois, créée en 2005 et reprise régulièrement jusqu'à récemment. Il oublie alors toute la symbolique de l'anneau utilisée par Wilson et les lumières claires et bleutées, pour nous plonger dans le noir dès le Prélude, avec en fond de scène un écran et des vidéos omniprésentes.
La symbolique devient ici tout simplement celle de la nature et de l'eau, élément utilisé dans les films en plans fixes de Stéphanie Jasmin avec une alternance de détails de ruisseaux, cascades ou étangs stagnants (où l'on pense notamment au tableau d'Ophélie de Millais), jusqu'à la glace de la dernière scène. À d'autres moments, de grands paysages servent à ouvrir le drame pour le plonger vers l'univers du conte, et au milieu ressortent deux vidéos de Mélisande emportée dans les profondeurs, puis dans une nage avec Pelléas, deux citations référentes au concept de Viola, où Isolde s'enfonçait dans l'eau pendant toute une scène, et où les silhouettes de Tristan et Isolde se partageaient une autre. Devant cet écran tissé de mille fils (ou cheveux de Mélisande) à travers lesquels entrent et sortent les protagonistes, Mouawad inscrit l'action (comme Sellars pour le vidéaste américain décédé l'an dernier), avec un suivi précis des didascalies du livret. Quelques éléments de décors (Emmanuel Clolus) s'ajoutent pour amplifier l'aspect lugubre, avec de plus en plus de carcasses d'animaux sur l'avant-scène à mesure que les protagonistes s'approchent de la mort.
Régulièrement, cette proposition offre de jolis moments, mais c'est exactement le terme que l'on en garde à la fin : une jolie production, où aucune aspérité du livret n'est soulevée et où l'aspect profondément psychanalytique, certes trop marqué dans de nombreuses mises en scène récentes, est totalement occulté. Cette vision, dans laquelle on se laisse emporter pendant la première partie, ne conserve plus beaucoup de force après l'entracte, tout comme l'orchestre qui souffre du même manque d'idées. Antonello Manacorda est un chef sage, il est ici en fosse car il a fallu remplacer Gustavo Dudamel à la suite de sa démission. C'est donc par une jolie direction que l'Italien accompagne l'action, en accord avec les images, mais sans grande tension ni vraiment d'intentions, avec juste de belles couleurs dans la fosse, et une doucereuse émotion pour conduire la scène finale.
La distribution revient quasi exclusivement à des habitués où, à part Gordon Bintner en prise de rôle (Golaud), rien n'est neuf sous la noirceur des éclairages (Éric Champoux), ni non plus d'ailleurs dans les costumes (Emmanuelle Thomas) et les coiffures (Cécile Kretschmar) très fin XIXe siècle. Jean Teitgen chante le rôle depuis longtemps et était encore à Paris dans la reprise de la production d'Éric Ruf au TCE en 2021, mais aussi l'Arkel de Huw Montague Rendall la même année lorsque le jeune Anglais prenait le rôle à Rouen. Sophie Koch était la Geneviève de Sabine Devieilhe dans la nouvelle production de Munich en fin de saison passée, et si cette dernière a bien fait évoluer le personnage depuis sa prise de rôle à Tourcoing en 2015, la mezzo ne rentre toujours pas dans les habits de la mère et passe ce soir totalement à côté de la prosodie debussyste pour sa lecture de la lettre. Avec d'abord un peu d'affèterie dans la voix à la première scène, mal servie par la mise en scène qui l'oblige à sortir comme une sauvageonne d'un parterre de feuilles mortes, Devieilhe est sublime au début du dernier acte, qu'elle introduit allongée dans une posture d'une superbe raideur, là encore dans une image référente à la mort d'Isolde de la mise en scène de Sellars.
Jean Teitgen apporte toujours une grande humanité au vieux roi d'Allemonde, tandis qu'Huw Montague Rendall maîtrise son rôle parfaitement, bien qu'il s'y montre ce soir de première moins solaire qu'à Rouen et que cet été à Aix. Golaud manque à l'inverse de noirceur sous la voix de Gordon Bintner. Le baryton-basse s'applique particulièrement sur le chant français et dans le jeu, sans pour autant se confronter à la puissance des grands titulaires du rôle. Le berger est occulté dans la distribution, mais le médecin ressort parfaitement de la dernière scène grâce à la voix pleine de gravité d'Amin Ahangaran. Le Petit Yniold, interprété par une enfant, manque pour sa part de projection, mais du neuvième rang de parterre, la prestation de la jeune Anne-Blanche Trillaud Ruggeri – de la Maîtrise de Radio France – est particulièrement louable.
Globalement bien interprété, ce nouveau Pelléas et Mélisande est surtout une production pleines de belles images, dont il semble toutefois peu probable qu'elle parvienne à s'inscrire autant dans l'histoire de l'Opéra de Paris que les deux mises en scène précitées.
Crédits photographiques : © Benoite Fanton / Opéra de Paris
Plus de détails
Paris. Opéra de Paris ; Opéra Bastille. 28-II-2025. Claude Debussy (1862-1918) : Pelléas et Mélisande, drame lyrique en cinq actes et douze scènes sur un livret de Maurice Maeterlinck. Mise en scène : Wajdi Mouawad. Décors : Emmanuel Clolus. Costumes : Emmanuelle Thomas. Maquillage, coiffures : Cécile Kretschmar. Lumières : Éric Champoux. Vidéo : Stéphanie Jasmin. Dramaturgie : Charlotte Farcet. Avec : Sabine Devieilhe, Mélisande ; Huw Montague Rendall, Pelléas ; Gordon Bintner, Golaud ; Jean Teitgen, Arkel ; Sophie Koch, Geneviève ; Amin Ahangaran, Un médecin ; Anne-Blanche Trillaud Ruggeri, Yniold. Chœurs de l’Opéra national de Paris (Chef des Chœurs : Alessandro Di Stefano). Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction musicale : Antonello Manacorda.