Le monde intimiste de la viole élisabéthaine par le Ricercar Consort

Des groupes d'instruments à cordes ou consorts se sont développés autour d'un répertoire adapté, fait de polyphonies savantes et d'harmonies mélancoliques. Le Ricercar Consort constitué ici de six musiciens munis de diverses violes aux tessitures différenciées nous ouvre la porte d'un monde musical intime et parfois douloureux.

Quand on relit l'histoire de l'Angleterre et de l'Écosse à l'époque des Stuart, au début du XVII^e siècle, on appréhende combien ces temps furent tourmentés (« Distracted Tymes »). Outre les aspects purement politiques, on remarque que les arts furent également affectés par ces bouleversements y compris la musique, habituellement privilégiée dans l'expression des sentiments. Des groupes d'instruments à cordes ou consorts se sont développés autour d'un répertoire adapté, fait de polyphonies savantes et d'harmonies mélancoliques.

Le disque qui nous est proposé ici est un témoignage de ce que quelques compositeurs renommés du début du XVIIᵉ  siècle ont produit en la matière. Afin de traduire au mieux leurs affects, ils s'étaient rapprochés d'instruments aux sonorités chaudes, proches de la voix humaine. C'est ainsi que les consorts de violes s'étaient constitués en groupes homogènes, depuis des violes soprano jusqu'aux basses les plus fondamentales. Ces voix ainsi réunies s'organisaient en polyphonies, jusqu'à six parties, sous le nom de Fantaisies.

Le terme de Fantaisie peut signifier divers types d'écriture, depuis l'imitation d'une improvisation jusqu'à une construction des plus sophistiquées. D'autres pièces apportent également la densité d'un discours mélancolique, dont certaines danses lentes et méditatives (Sarabande, Pavane ou Allemande). On est proche de la déploration et la première plage du CD, une Pavane pour ces temps troublés de Thomas Tomkins, nous plonge dans une ambiance étrange et quelque peu intrigante. Les musiciens utilisent divers types de violes dont une fameuse « lyre viole », très en vogue à l'époque, arborant parfois des cordes libres pouvant vibrer en sympathie avec le reste de l'instrument. De plus, un clavier pouvait de mêler au consort des violes (virginal, muselar ou orgue positif).

Philippe Pierlot, qui conduit son ensemble depuis son archet, est un grand spécialiste de la viole de gambe. Disciple de Wieland Kuijken, il a su créer des rencontres originales entre son instrument et des répertoires populaires ou savants. Connu pour ses affinités avec l'ensemble Hespérion XXI de Jordi Savall, il enseigne au Conservatoire royal de Bruxelles. Son ensemble Ricercar a permis depuis plusieurs décennies de faire connaître de nombreux compositeurs injustement tombés dans l'oubli. Ce disque est une magnifique démonstration de ce travail en profondeur, replaçant ces maîtres du passé dans un contexte sonore plausible et musicalement informé. La sonorité charmeuse et apaisante de son ensemble de violes est agréablement soutenue ici par la présence d'un petit orgue positif en bois tenu de mains de maître par Maud Graton. De ce fait, l'auditeur se retrouve ici dans ces ambiances d'une période élisabéthaine troublée, riche de génies musiciens encore trop peu connus.