Après un premier volume consacré au compositeur baroque espagnol Sebastián Durón en 2016, Albert Recasens et l'ensemble La Grande Chapelle reviennent au disque avec de nombreux inédits passionnants, nous révélant encore plus la personnalité exceptionnelle de ce compositeur du siècle d'or ibérique, encore trop peu connu.
Au début des années 60, l'organiste français Francis Chapelet, lors d'un premier disque sur un orgue historique espagnol, à Covarrubias, nous faisait entendre une pièce intitulée Gaytilla de mano izquierda (petite cornemuse de main gauche). Cet instrument à vent originaire de Galice était imité grâce à un petit jeu d'anche de l'orgue. La pièce virtuose met à l'épreuve la main gauche dans cette fameuse octave courte caractéristique de cette époque où toutes les notes de la basse du clavier ne sont pas présentes et redistribuent autrement celles qui restent. Par bonheur on pourra retrouver cette pièce dans le présent enregistrement, magnifiquement rendue par Jorge Lopez-Esbribano sur un autre orgue historique de la fin du XVIIᵉ siècle.
Ce nouveau programme complète harmonieusement l'approche d'un compositeur riche et intensément inspiré, auteur également d'ouvrages lyriques dont la zarzuela Coronis. Ici l'accent est mis sur la musique pour les Quarante heures, le temps que Jésus passa dans la mort, et qui se traduit par une dévotion particulière et une exposition du Saint-Sacrement durant cette période. Une grande fête religieuse avait alors lieu où la musique occupait une place de choix. Ce disque rassemble des pièces pour la plupart dédiées au Saint-Sacrement et composées par Sebastián Durón. L'absence d'activité liturgique proprement dite induit une musique d'attente, de méditation, d'airs basés sur des Villancicos (Noëls populaires). On peut parler de musiques de sieste et, comme bien souvent en Espagne, l'ombre fait place ici où là à la lumière par des rythmes ou des couleurs dictés par le texte même des différents chants.
La mise en espace de l'ensemble de La grande Chapelle est judicieusement étudiée. Le programme est introduit par l'hymne du Sacris Solemnis à l'orgue, auquel se rapportent les Villancicos. La couleur des instruments à vent appelés « bajoncillos » (petits bassons) est unique. Le quatuor vocal hautement impliqué et inspiré suffit à créer une intense présence. L'orgue historique apporte une cohésion à l'ensemble. Albert Recasens rend cette musique accessible afin de toucher l'auditeur directement au cœur et le capter émotionnellement. On est ainsi replacé dans ce siècle d'or juste au tournant du XVIIIᵉ siècle. Un disque indispensable pour la connaissance du chant ibérique baroque.