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Rita Strohl : troisième et dernier volet d’une compositrice de la démesure

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Rita Strohl (1865-1941) : symphonie de la forêt ; mélodies pour orchestre et chant ; Yajnavalkya, prélude de l’acte II. Marie Perbost, soprano ; Lucile Richardot, mezzo-soprano. Orchestre national d’Île-de-France, direction : Case Scaglione. 1 CD La Boîte à Pépites. Enregistrés en septembre 2023 à la Maison de l’Orchestre national d’Île-de-France. Notice de présentation en français-anglais. Durée : 1:14

 

Le projet de redécouverte en trois volumes de la compositrice élaboré par La Boîte à Pépites et le se clôt brillamment par un choix d'œuvres pour grand orchestre élaborées dans la dernière partie de sa vie créative.

Après un premier volume vocal récompensé par une Clef d'Or ResMusica et un copieux deuxième volume de musique de chambre composée dans la dernière décennie du XIXe siècle,  le programme ici présenté se scinde en deux parties : dans un premier temps une de ses symphonies datée de 1901 ou 1903, Symphonie de la forêt, suivie de quatre mélodies orchestrées et d'un Prélude extrait d'un « mystère sacré. » Le genre symphonique était devenu en France à l'époque quelque peu exsangue, les très grands compositeurs connus n'en ayant pas ou peu composé. ne fait pas exception à la règle, mais son grand mérite est, dans son obstination à vouloir passer au-delà de toute contingence, de toute critique, d'avoir réussi à créer une fresque sonore exceptionnelle défiant la misogynie touchant les femmes compositrices : osant franchir les frontières de la musique pour piano, de la mélodie et de la musique de chambre dans lesquelles on tolérait à peine à l'époque que la gent féminine puisse s'affirmer, déjà si peu comme interprète et encore moins comme créatrice, confie une imagination débordante au grand style de la symphonie, et plus tard, encore plus improbable, à l'opéra.

La Symphonie de la forêt brosse en quatre parties une audacieuse fresque harmonique irisée de mille couleurs, usant de toutes les possibilités harmoniques et instrumentales, sans limites aucunes, plongeant l'auditeur dans un monde d'une grande liberté d'écriture et ouvrant l'imagination des possibles : associations de timbres, brouillage des repères formels habituels. Près de 45 minutes évoquant l'étang, l'âme en peine, la marche funèbre d'un scarabée, la chasse à l'aurore et le lever de soleil. Du reste, aurait-on besoin de ces titres pour en profiter davantage ? Certainement non. On pourra la réécouter plusieurs fois de suite sans sentiment de répétition, tant la Symphonie de la forêt donne matière à nous emporter là où l'on veut aller. Au-delà de la plate musique illustrative que l'on pourrait supposer, Rita Strohl n'insiste sur aucun effet facile et gratuit directement identifiable à tel ou tel animal ou manifestation de la nature. Pas de chant d'oiseau, de coassement de grenouille, de vent dans les arbres ou d'eau qui coule : elle savait l'échec et l'inutilité d'une telle musique. , à la tête de l'Orchestre national d'Île-de-France, n'est lui non plus pas tombé dans le panneau. Les nombreuses parties solistes de l'œuvre, surtout aux vents, sont parfaitement intégrées à l'ensemble, donnant une belle homogénéité d'un mouvement à l'autre.

En complément, nous sont proposées quatre mélodies avec orchestre, dont nous avons pu entendre les versions piano dans le premier volume pour les Cygnes, la flûte de Pan et La Momie. Sans surprise, on peut affirmer que le passage au grand orchestre apporte une richesse et une beauté encore plus forte. On reprochera à la soprano , non pas son timbre coloré, mais les problèmes de compréhension du texte chanté (défaut inhérent à quasiment toutes les voix féminines dès qu'elles dépassent une certaine hauteur), ce qui n'est presque pas le cas de la mezzo-soprano , dont la voix sombre convient parfaitement aux texte de La Momie et de La Cloche fêlée mais dont on regrettera toutefois l'émission voilée qui en opacifie la couleur.

Enfin, pour couronner le tout, le seul extrait symphonique que l'on aura sans doute jamais d'une immense fresque vocale, le mystère sacré en 3 actes Yajnavalkya de 1907, qui laisse regretter l'absence à l'affiche des compositions de Rita Strohl. Et ne rêvons pas : qui osera produire et encore plus enregistrer ses oratorios, ses symphonies lyriques avec chœur, ses mystères sacrés ? Sept œuvres défiant les peaux de chagrin éditoriales actuelles, propres à faire trembler tout trésorier de maison d'opéra , de studio d'enregistrement et de maison de disque : orchestres pléthoriques (bois par six, quatre saxophones, cinq tubas, quatre harpes pour Yajnavalkya), dont les conducteurs peuvent mesurer plus d'un mètre de haut et dont les réductions pour piano dépassent les mille pages… La démesure n'est pas que wagnérienne.

Bravo donc pour cette ultime édition qui, dans le même écrin et pour les mêmes qualités éditoriales et artistiques que les précédentes, tient ses promesses jusqu'au bout.

Rita Strohl : second volume-découverte d'une compositrice de la démesure

Rita Strohl : premier volume découverte enthousiasmant d'une compositrice de la démesure

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Rita Strohl (1865-1941) : symphonie de la forêt ; mélodies pour orchestre et chant ; Yajnavalkya, prélude de l’acte II. Marie Perbost, soprano ; Lucile Richardot, mezzo-soprano. Orchestre national d’Île-de-France, direction : Case Scaglione. 1 CD La Boîte à Pépites. Enregistrés en septembre 2023 à la Maison de l’Orchestre national d’Île-de-France. Notice de présentation en français-anglais. Durée : 1:14

 
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