L’énergie du son avec Didier Rotella

Compositeur et pianiste animé par la recherche, tant au sein de son écriture que sur son instrument, Didier Rotella sort son premier album réunissant trois pièces récentes traversées par une énergie qui galvanise l'écoute.

Didier Rotella a mené de front des études de piano et de composition touchant au domaine instrumental et vocal (CNSM de Paris) et à l'électronique (cursus Ircam). Il vient de « breveter » un dispositif hybride innovant, le méta-piano à deux claviers (dans le cadre de sa thèse de doctorat), qui permet d'accueillir l'électronique et ses transformations live (via des transducteurs) sans l'intermédiaire des haut-parleurs.

À l'affiche du CD, Mogari (2019-2022), pour petit ensemble et électronique, rend compte de l'avancée de ses recherches. Le compositeur est au piano (à deux claviers) aux côtés de l'ensemble Proxima Centauri. Référence à un rituel asiatique, Mogari est au format des Alla breve/Création mondiale de France Musique, articulant dans un flux continu cinq « brèves » musicales aux titres mystérieux (Tatari, Banka, Asobu, etc.). Entre résonance métallique et fulgurance des peaux, la percussion entretient la tension rythmique et semble lancer des signaux quand la flûte piccolo et le saxophone (de l'alto au baryton) communiquent l'énergie du souffle. L'électronique fusionne avec la source instrumentale, émancipant le champ des sonorités (microtonalité) et générant des couleurs inédites comme ces moirures d'une grande beauté qui embrasent l'espace dans les dernières minutes de la partition.

Précédant d'un an Mogari, Catharsis (2017-2018) pour deux pianos, deux percussions et live électronique (épatant Ensemble Links) s'inscrit dans un même processus de recherche. Si le thème et les cinq variations renvoient à un modèle formel vieux comme le monde, le compositeur en transgresse d'emblée les limites. Plus qu'un thème, la proposition initiale, superbe entrée en matière pleine de promesses, ouvre un espace magnifié par l'électronique, où s'exerce l'énergie du geste des quatre instrumentistes : Laurent Durupt et Trami Nguyen (pianos), Rémi Durupt et Stanislas Delannoy (percussions). Ambiguïté des sources, hybridation des timbres et frénésie du son : Rotella modèle une matière en continuelle variation/transformation, joue avec les temporalités et les registres, entre continu et discontinu, complexité et transparence, drainant l'écriture toujours dense et virtuose par filtrage jusqu'à la poésie lunaire de la dernière variation.

Dans Fragrances (2015-2024), son premier quatuor à cordes, le deuxième violon est accordé 5/4 de ton plus bas que le premier, dans une position intermédiaire entre violon et alto. Le compositeur y a recherché des correspondances subtiles (synesthésiques) entre émergences olfactives et sonores : l'aventure sensorielle est en deux parties, où le geste se modifie autant que les textures se renouvellent. L'écriture éruptive et constellatoire contraste avec l'homophonie des quatre cordes (superbe !) dans un premier mouvement bien conduit. Le double plus long, le second pousse plus loin encore la transformation du matériau, des instances bruitées (tension maximale) aux sons lisses (détente). Le jeu est souvent à la marge des registres et des dynamiques, accusant les accélérations et les freinages au sein d'une trajectoire qui tient l'écoute en alerte. Le quatuor Links (Constance Ronzatti, Laurine Rochut, violon, Elodie Gaudet, alto, Anne Mousserion, violoncelle) en assume la vertigineuse virtuosité et en épouse la diversité des reliefs avec une maîtrise du geste et une qualité du son qui font merveille.