Le violoncelliste Pierre Fontenelle : des racines et des ailes
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Ottignies-Louvain-la-Neuve. Espace Garage, Grange du Douaire. 8-II-2025. Johann Sebastian Bach (1685-1750)- Charles Gounod (1818-1893) : Ave Maria , d’après le prélude en ut majeur BWV 846, transcription originale pour violoncelle et vibraphone. Caroline Shaw (née en 1982) : Boris Kerner, pour violoncelle et pots de fleur.; In manus tuas pour violoncelle seul. Andréa Casarrubios (née en 1988) : Speechless, pour violoncelle, vibraphone, marimba et cymbale: Seven, pour violoncelle seul. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : menuets et courante de la première suite pour violoncelle en sol majeur, agrémentés de touche d’udu. Pierre Fontenelle, violoncelle; Max Charue, percussions.
Le violoncelliste Pierre Fontenelle et le percussionniste Max Charue proposent pour ce concert une passionnante confrontation d'œuvres récentes signées Caroline Shaw ou Andrea Casarrubios avec quelques pages – revisitées – de Johann Sebastian Bach.
Pierre Fontenelle est né en 1997 à Arlon, dans la province belge de Luxembourg, et donne, par son parcours aventureux, l'impression d'avoir déjà vécu plusieurs vies. Sa famille émigre au tournant du millénaire pour une quinzaine d'années aux États-Unis, à Seattle. C'est là qu'il découvre en autodidacte le violoncelle. Revenu en Europe avec ses parents, il étudie aux conservatoires de Luxembourg, de Namur (IMEP), de Mons et à Paris. Son premier disque en solo, très original et personnel, récemment paru chez Cypres, rend hommage par son titre Roots (Racines) et par son programme tant à son pays d'adoption qu'à la nouvelle génération féminine américaine, très plurielle dans ses modes d'expression et ses sources d'inspiration : y sont illustrée Andrea Casarrubios, Caroline Shaw et Reena Esmail. Pour ce concert, seules les deux premières créatrices sont retenues, chacune pour deux vastes partitions très saisissantes par leur parcours poétique et expressif et par l'exploration des ressources sonores assez inouïes de l'instrument (un Ruggieri de 1690) et des percussions qui à l'occasion le sertissent.
Caroline Shaw, née en 1982, est réputée pour son éclectisme d'inspiration et de destination des partitions. Si certaines de ses œuvres récentes peuvent céder à une certaine facilité, il n'en va pas de même avec Boris Kerner (hommage à l'ingénieur allemand à l'origine de la modélisation mathématique du concept de « trafic routier triphasé ») ; cette page se situe à la rencontre des mondes baroques – le conduit harmonique des sections extrêmes – et minimalistes, dans la lointaine descendance d'un John Cage – avec cette partie de percussions destinée à des… pots de fleurs, minutieusement choisis pour un accordage millimétré et très poétique par ses résonnances inharmoniques. In manus tuas destiné au seul violoncelle fait référence au motet éponyme de Thomas Tallis, par ses recherches sonores, son patient jeu de déconstruction arpégée puis de reconstruction en pizzicati : c'est une sorte d'offrande musicale confiée – avec le jeu de mots que l'on comprend de la sorte ! – aux mains-mêmes de l'interprète !
Mais avouons avoir été plus séduit et interpellé par les deux œuvres retenues de la violoncelliste-compositrice Andrea Casarrubios (née en 1988). Speechless (2015), partition très narrative, associe l'instrument à cordes au vibraphone, au marimba et à la cymbale pour l'évocation épique d'un spectaculaire périple transcontinental – laissant d'énormes libertés métriques et agogiques aux interprètes, pour un résultat qui laisse littéralement l'auditoire… sans voix.
Beaucoup plus intime, Seven (2020), pour le seul instrument à cordes, se veut une allusion sensible aux heures les plus douloureuses de la pandémie de Covid, basée sur les bribes mélodiques égrenées par un carillon éolien telles que perçues alors depuis son studio new-yorkais par la compositrice confinée. Le titre fait allusion à ce rituel pris chaque soir d'applaudir le personnel soignant, avec ce glas sept fois répétés ponctuant, telle une horloge mortifère, l'œuvre : par sa puissance d'évocation inversement proportionnelle à l'économie de ses moyens, cette méditation nous renvoie à quelques-unes des heures les plus pénibles de nos vies et remporte de la sorte un franc succès public ce soir par l'émotion immédiate qu'elle suscite.
Pierre Fontenelle a indiscutablement l'étoffe d'un grand artiste par sa curiosité de répertoire et sa générosité interprétative. Il présente, avec des mots choisis et non sans humour enthousiaste, chacune de ses pièces et en facilite ainsi l'écoute. Chevillé à son violoncelle, il peut en tirer des effets sonores sidérants avec ce mélange de force convaincante et de sensualité séductrice. La justesse d'intonation et la maitrise assez confondante de l'archet sont ainsi pleinement au service de l'expression musicale la plus sensible et de l'adéquation esthétique la plus juste. Il est parfaitement secondé dans sa démarche par l'exceptionnel percussionniste Max Charue, lui-même compositeur et très impliqué dans la vie de la scène contemporaine belge : celui-ci apporte la touche tantôt délicate tantôt plus furieuse qui relance en permanence le discours.
En ce sens, et dans cette configuration particulière, la figure tutélaire de Johann Sebastian Bach est convoquée par les deux artistes pour ouvrir et refermer les débats : avec en manière de commencement, « l'adaptation d'une adaptation » ( la transcription pour violoncelle et vibraphone du célèbre Ave Maria de Gounod calqué sur le premier prélude du premier livre du Clavier bien tempéré donné au violoncelle pour sa ligne mélodique surajoutée, avec un legato d'une sidérante et intense beauté et une grande sûreté d'archet. Pour terminer, les menuets I et II de la première suite pour violoncelle se voient ponctués avec délicatesse de touches d'udu, cet instrument idiophone nigérian en forme de jarre : les quelques interventions subtiles et « aquatiques » de Max Charue relancent de manière surprenante mais idoine le discours. En bis quasi improvisé, la courante de la même suite, donnée dans la même distribution, est d'une ivresse rythmique et d'une articulation châtiée malgré son effervescente vélocité.
Crédits photographiques : Pierre Fontenelle © Amandine Lauriol
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Ottignies-Louvain-la-Neuve. Espace Garage, Grange du Douaire. 8-II-2025. Johann Sebastian Bach (1685-1750)- Charles Gounod (1818-1893) : Ave Maria , d’après le prélude en ut majeur BWV 846, transcription originale pour violoncelle et vibraphone. Caroline Shaw (née en 1982) : Boris Kerner, pour violoncelle et pots de fleur.; In manus tuas pour violoncelle seul. Andréa Casarrubios (née en 1988) : Speechless, pour violoncelle, vibraphone, marimba et cymbale: Seven, pour violoncelle seul. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : menuets et courante de la première suite pour violoncelle en sol majeur, agrémentés de touche d’udu. Pierre Fontenelle, violoncelle; Max Charue, percussions.