Dans le cadre du Festival Présences, Neuwirth, Berio et Levinas à la Philharmonie de Paris
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Paris. Philharmonie. Grande salle Pierre Boulez. 7-II-2025. Dans le cadre du Festival Présences. Luciano Berio (1925-2003) : Magnificat pour deux sopranos, chœur mixte, deux pianos et ensemble ; Olga Neuwirth (née en 1968) : locus… doublure… solus, pour piano et orchestre ; Michaël Levinas (né en 1947) : Cantique des larmes, pour orchestre ; Franz Schubert (1797-1828)/Luciano Berio : Rendering, pour orchestre. Tamara Stefanovich, piano ; Chœur de Radio France (chef de chœur : Roland Hayrabedian) ; Orchestre Philharmonique de Radio France, direction : André de Ridder
Au Festival Présences, Luciano Berio est à l'affiche, dont on fête également le centenaire, au côté d'Olga Neuwirth dans un superbe concert donné dans la Salle Pierre Boulez de la Philharmonie par les forces (chœur et orchestre) de Radio France.
L'hétérogène et l'hybridé
Si Olga Neuwirth revendique davantage son attachement à Luigi Nono, des affinités de goût (la recherche du timbre inouï, l'art d'assembler le disparate) la relient à Luciano Berio auquel le festival Présences rend également hommage. Œuvre de jeunesse (1949), alors que Berio est encore sous l'influence de son maître Giorgio Federico Ghedini, son Magnificat pour chœur, deux pianos et ensemble trahit déjà ce désir de revisiter les pièces de la tradition à travers une instrumentation moderne. Vibraphone, caisse claire et quatre timbales encerclent les deux pianos auxquels s'ajoute l'ensemble des vents. Berio est fidèle au texte latin du Magnificat distribué en alternance au chœur et aux deux sopranos (des solistes du chœur qui tiennent le devant de la scène). La scansion rythmique des voix « recto tono » évoque d'emblée Stravinsky et ses dernières œuvres vocales tout comme l'écriture solistique des vents qui auréolent les deux voix solistes. Galvanisé par la conduite aussi souple qu'énergique du chef allemand André de Ridder, l'ensemble est flamboyant et le chœur réactif, préparée au cordeau par Roland Hayrabedian.
Dans locus… doublure… solus, le concerto pour piano d'Olga Neuwirth (2001), les altos sont accordés plus d'un quart de ton au-dessus des violons et le clavier (bien tempéré) est doublé par un synthétiseur qui en hybride sensiblement les sonorités et trouble les hauteurs. Inspiré par le roman Locus Solus de Raymond Roussel en sept chapitres, le concerto s'articule en sept parties où se profile la dimension pluristylistique qu'aime entretenir la compositrice.
La pianiste russe Tamara Stefanovich en sculpte l'écriture avec un élan presque sauvage : blocs sonores, frénésie répétitive, jeu de temporalités, écriture oiseau à la Messiaen. L'invention est sans limite et les trouvailles nombreuses pour reformuler sans cesse les rapports entre les deux partenaires. Le piano se fond dans l'orchestre au fil de ce voyage au cœur du son d'une grande finesse où l'influence spectrale d'un Tristan Murail (avec qui la compositrice a travaillé) se fait clairement sentir. L'œuvre est spectaculaire, haute en couleurs et d'une vitalité qui galvanise sous la direction non moins enthousiasmante du chef allemand.
Des sons qui « pleurent »
Dans Cantique des larmes donné en création mondiale, Michaël Levinas poursuit son exploration du territoire du timbre à travers une alchimie sonore très personnelle où les instruments de l'orchestre utilisent des techniques proches de la vocalité : recherche du legato, voix de l'instrumentiste dans le trombone, phénomènes d'oscillations des cors, sonorités moirées entretenues par les archets sur les lames du vibraphone. La fusion opère autant que l'émotion à l'écoute de ces phénomènes inouïs au plus près du mystère enclos dans le son et sa vibration.
Schubert versus Berio
Le final est jouissif (le plaisir se lit sur les visages des musiciens !) avec Rendering (Interprétation) de Schubert/Berio, une aventure menée par l'Italien qui entreprend de « restaurer » la « Dixième » de Schubert à partir des feuillets d'esquisses laissés par le compositeur. Luciano Berio assure l'orchestration des trois mouvements et l'écriture des parties manquantes qui doivent relier les feuillets. De la main et du style de l'Italien, ces dernières sont mises à distance et toujours annoncées par le célesta qui s'ajoute à l'effectif de l'orchestre romantique : autre temporalité et autre dynamique. Osant l'hétérogène, Berio « cimente » dans un camaïeu de gris et quelques touches de couleurs faites d'emprunts à d'autres pièces de l'Autrichien. Le travail est tout en finesse et subtilité tout comme la direction d'André de Ridder alliant énergie et délicatesse.
Crédit photographique : Choeur de Radio France © Radio France ; Tamara Stefanovich © Thomas Brill
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