Autour d’Olga Neuwirth, créations mondiales et hommage à Pierre Boulez
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Paris. Maison de la radio et de la musique. 8-II-2025. Festival Présences
Studio 104. 15h. Alex Mincek (né en 1975) : Assemblage / Mobile, pour dix Instruments (CM) : Raphaèle Biston (née en 1975) : Forge et façonnage (CM) ; Olga Neuwirth (née en 1968) : Incidendo / Fluido, pour piano et lecteur de CD ; Stefan Grimus (né en 1994) : F.L., pour 6 instruments amplifiés (CM) ; Pierre Jodlowski (né en 1971) : Numbers, pour ensemble et électronique (CM). Ensemble Cairn ; Électronique, Étienne Desmoulin ; direction : Guillaume Bourgogne
Auditorium. 20h. Olga Neuwirth (née en 1968) : Tombeau I, pour orchestre et échantillonneur ; Keyframes for a Hippogriff – Musical Calligrams in memoriam Hester Diamond, pour contre-ténor, chœur d’enfants et orchestre ; Trurliade – Zone Zero, pour percussion et orchestre ; Michaël Levinas (né en 1949) : Clameurs, pour orgue. Andrew Watts, contre-ténor ; Adélaïde Ferrière, percussion ; Véra Nikitine, orgue. Maîtrise de Radio France ; Sofi Jeannin, cheffe de chœur. Orchestre national de France, direction : Matthias Pintscher. Augustin Muller, électronique Ircam. Lucas Bagnoli, diffusion sonore Ircam
L'écrin lumineux du studio 104 de la Maison ronde accueillait les musiciens de l'Ensemble Cairn sous la direction de leur chef Guillaume Bourgogne, avant un concert hommage à Pierre Boulez avec l'Orchestre national de France le soir-même.
Du petit geste au grand
Les musiciens de l'ensemble Cairn ont mis à leur programme quatre pièces en création mondiale et un des tubes d'Olga Neuwirth pour piano hybridé.
Dans Assemblage / Mobile de l'Américain Alex Mincek, l'écriture est volontiers répétitive, découpant ses figures acérées dans un temps troué de silence. Les timbres y sont chaleureux (trompette bouchée d'André Feydy) et la tension soutenue sous la direction au cordeau de Guillaume Bourgogne. Le geste mécanique, celui de l'artisan qui modèle son matériau (le métal en l'occurrence) s'entend chez Raphaèle Biston qui s'inspire des différences phases de la fabrication pour élaborer une écriture aussi plastique que colorée. L'énergie du geste de la pianiste Caroline Cren sidère dans Incidendo / fluido d'Olga Neuwirth (2000), la première pièce pour piano de la compositrice qui « redoute » la fixité de l'accord de l'instrument. Le clavier est préparé dans le médium et dans les graves et un lecteur CD avec deux haut-parleurs ont été fixés sous la caisse de l'instrument pour résonner avec lui et flouter, hybrider ses sonorités. La palette des couleurs qui en ressort et l'aura résonnante que la pianiste fait naître sous ses doigts nous comblent. Hybridation toujours avec le jeune Stefan Grimus qui a étudié à Vienne avec Olga Neuwirth. L'ambiguïté entre rêve et réalité opère dans F.L., une pièce d'une belle envergure sonore qui fait appel à un synthétiseur fusionnant ses ondes « en dent de scie légèrement désaccordées » avec la matière instrumentale.
Le geste est beaucoup plus risqué et le corps tout entier investi dans Numbers, la nouvelle pièce de Pierre Jodlowsky avec électronique qui termine haut et fort le premier concert de la journée. Jodlowsky fait appel à l'IA pour générer les voix qui comptent et racontent dans toutes les langues. Le percussionniste est au taquet, qui déclenche l'électronique en frappant sauvagement sur la peau d'un tambour ; un état de haute tension est entretenu entre les morphologies de l'électronique et les réponses musclées des instrumentistes. Humour et dérision sont à l'œuvre dans ce théâtre sonore éminemment conduit et virtuose, engageant aux manettes Étienne Desmoulin et les formidables musiciens de Cairn sous l'autorité de Guillaume Bourgogne. (MT)
Dans l'Auditorium, quatre œuvres au programme, dont deux créations mondiales : Tombeau I d'Olga Neuwirth et Clameurs, pour orgue de Michaël Levinas.
La soirée commence par le très beau Tombeau I, pour orchestre et échantillonneur (2024) d'Olga Neuwirth, composé à la mémoire de Pierre Boulez. Référence très probable à la B-Partita, in memoriam Pierre Boulez de Philippe Manoury, écrite en 2016, année de la disparition du Maître, le si bémol du départ est, là aussi, l'incarnation musicale de Boulez, B étant la note si dans la notation anglo-saxonne. Cela dit, c'est sa facette de chef d'orchestre qui est convoquée ici. Après la citation de Parsifal au début, ce Tombeau, par sa forme générale, sa douceur sereine, avec ses longs crescendos et decrescendos, baigne surtout dans l'atmosphère du prélude de Lohengrin, symbolisant ainsi la descente, la venue et le passage sur Terre, dans toute sa puissance, du chevalier Boulez, puis son retour sur le mont Euterpe ! Révérence, mais pas allégeance ! L'ouvrage n'est pas monolithique, et il est très agréable par exemple d'entendre la guitare électrique et de repérer différents emprunts non classiques.
La pièce suivante, Keyframes for a Hippogriff – Musical Calligrams in memoriam Hester Diamond, pour contre-ténor, chœur d'enfants et orchestre (2019) d'Olga Neuwirth, baigne également dans le monde de la chevalerie, puisque l'hippogriffe dont il est question prend son envol littéraire dans le Roland furieux de l'Arioste, écrivain que cite ici la musicienne, parmi une dizaine d'autres sources textuelles. Le contre-ténor Andrew Watts, l'Orchestre national de France et Matthias Pintscher ainsi que les enfants de la Maîtrise de Radio France défendent avec conviction et brio cette partition élégiaque célébrant la difficulté d'être, entre pessimisme (les sons de l'orchestre ainsi que les paroles, bien sûr) et légèreté (la pureté des voix, androgyne – le chanteur – et célestes – les enfants).
Après l'entracte, la scène reste vide avant d'accueillir une seule musicienne : Véra Nikitine. Sous ses doigts et ses pieds sonnent les émouvantes Clameurs, pour orgue (2024) de Michaël Levinas (né en 1949), commandées par Radio France. Ces Clameurs sont les différentes voix de cette pièce polyphonique plutôt apaisée, même si elle exploite beaucoup de possibilités de cet instrument-monde qu'est l'orgue, en particulier sa puissance, ses timbres infinis et sa résonance.
Olga Neuwirth a sans doute mis toute son énergie mais pas tout son talent dans Trurliade – Zone Zero, pour percussion et orchestre (2016), ouvrage qui montre une écriture du chaos (les quatre percussionnistes s'en donnent à cœur joie !) en faisant alterner les moments forts (dans les deux sens du terme) qui « avancent » et ceux suspendus. C'est très virtuose et très riche – il faut saluer la performance d'Adélaïde Ferrière à la percussion et celle de l'ONF et son chef invité –, mais le procédé finit par lasser. Peut-être y a-t-il une forme d'humour ou d'autodérision dans ce collage empruntant à de multiples provenances, y compris peut-être les dessins animés de Tex Avery et leur mise en scène très rythmée de catastrophes « pour rire ». Comment, sinon, interpréter le tout dernier coup porté à bout de bras par la percussionniste soliste tenant un maillet géant ? (PJ)
Crédits photographiques : Ensemble Cairn © ResMusica ; Adelaïde Ferrière © https://www.adelaideferriere.com/
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Auditorium. 20h. Olga Neuwirth (née en 1968) : Tombeau I, pour orchestre et échantillonneur ; Keyframes for a Hippogriff – Musical Calligrams in memoriam Hester Diamond, pour contre-ténor, chœur d’enfants et orchestre ; Trurliade – Zone Zero, pour percussion et orchestre ; Michaël Levinas (né en 1949) : Clameurs, pour orgue. Andrew Watts, contre-ténor ; Adélaïde Ferrière, percussion ; Véra Nikitine, orgue. Maîtrise de Radio France ; Sofi Jeannin, cheffe de chœur. Orchestre national de France, direction : Matthias Pintscher. Augustin Muller, électronique Ircam. Lucas Bagnoli, diffusion sonore Ircam