L'on a appris, par un bref communiqué de sa maison de disque Erato-Warner et de sa propre fille, le décès ce 10 février de la pianiste italienne Maria Tipo, à l'âge de 93 ans.
Née le 23 décembre 1931 à Naples, elle étudie le piano dès sa plus tendre enfance auprès de sa mère, Ersilia Cavallo, élève de Ferruccio Busoni, et est remarquée très jeune par Alfredo Casella et Guido Agosti qui la prennent sous leur aile protectrice. Elle remporte à dix-sept ans un deuxième prix ex-aequo avec Bela Siki (pas de premier prix attribué) au Concours international de Genève 1948, et quatre ans plus tard un troisième prix, lors de la première session piano du Concours Musical International Reine Elisabeth de Belgique, juste devancée par Leon Fleisher et Karl Engel.
Elle joue dès lors beaucoup en Europe comme aux États-Unis, où son premier disque (1956) paru chez Vox et consacré à douze sonates de Scarlatti remporte un succès critique et public retentissant : on loue à la fois la clarté de son jeu, sa sonorité solaire, la précision de l'articulation, et son toucher à la fois châtié et varié. Des qualités que l'on retrouvera dans ses disques ultérieurs consacrés à ce répertoire (parus chez Ricordi puis Emi) et qui lui vaudront aux Etats-Unis le surnom « d'Horowitz napolitain ». Muzio Clementi est un autre des ses compositeurs de prédilection qu'elle sert également à de multiples reprises au disque. Mais son répertorie est extrêmement vaste allant de l'âge baroque à Prokofiev, en passant par les classiques viennois ou la génération 1810. Au-delà de la récitaliste , il y a aussi la concertiste invitée par les plus grandes phalanges des deux côtés de l'Atlantique, et la chambriste recherchée, partenaire entre autres du quatuor Amadeus, ou de ses compatriotes Salvatore Accardo ou Uto Ughi.
Découvrant par le truchement du disque et du concert, sous les doigts de Glenn Gould, les Variations Goldberg de Johann Sebastian Bach, elle donne du cycle une des premières exécutions publiques intégrales en Italie dans les années 1960, et l'enregistre avec un sens inné du cantabile doublé d'une hardiesse démoniaque au gré des variations « à deux claviers » au mitan des années 1980 pour EMI (aujourd'hui Warner). C'est le premier maillon d'une collaboration avec le label qui lui permettra de fixer en studio une partie de son répertoire et la fera connaître aussi auprès des plus jeunes générations de mélomanes : suivront d'autres Bach, tels les partitas, le concerto…italien, ou certaines transcriptions- adaptations de Busoni, des concerti de Mozart avec Armin Jordan ou Riccardo Chailly, ceux de Beethoven avec Hans Graf, un programme Schumann, les Nocturnes de Chopin… une somme que Warner serait bien inspiré de rééditer aujourd'hui dans un coffret d'hommage !
Elle est reconnue par ses pairs comme « talent des plus extraordinaires » (Artur Rubinstein) ou « sensationnelle » (Martha Argerich), régulièrement invitée comme membre de jurys de concours internationaux. Mais elle réserve aussi, sinon surtout, une part importante de ses activités à la pédagogie de haut niveau, ponctuellement en masterclasses au Festival de Gubbio ou à la Scuola di Musica di Fiesole, et de manière régulière comme professeur aux conservatoires de Bolzano ou de Florence, avant de rejoindre la Haute École de Musique de Genève : parmi ses disciples, on peut citer entre autres l'Argentin Nelson Goerner, les Italiens Andrea Lucchesini ou Pietro de Maria, ou encore la Française Muriel Chemin, qui sera son assistante à Genève…Tous doivent se sentir bien orphelins aujourd'hui, même si cette grande dame du piano s'était retirée depuis de longues années de la scène. (BH)
