Nina Stemme à Strasbourg pour un récital de mélodies scandinaves
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Strasbourg, Théâtre de l’Opéra National du Rhin, 8-II-2025. Sigurd von Koch (1879-1919): Extraits de La Flûte Mystérieuse : Die Lotosblumen, Die traurige Frühlingsnacht, Der Unwürdige, Die geheimnisvolle Flöte, Herbstgefühl; Jean Sibelius (1865-1957) : Le sapin, Le tremble, Le bouleau, extraits de l’opus 75 (piano solo), Mais mon oiseau est long à revenir, Roses noires, extraits de Six mélodies opus 36, Lever de soleil, La Fille revient d’un rendez-vous avec son bien-aimé, extraits de Cinq mélodies opus 37 ; Wilhelm Stenhammar (1871-1927) : Trois fantaisies extraites de l’opus 11 (Piano solo), La Fille revient d’un rendez-vous avec son bien-aimé, Fylgia, A la fenêtre, L’Etoile ; Ture Rangström (1884-1947) : Villemo où es-tu allée, La Fleur sombre, Œil-étoile, Prière pour la nuit, Le Vent et l’arbre, Des ailes dans la nuit. Nina Stemme, soprano et Roland Pöntinen, piano.
Au point où Nina Stemme en est de sa carrière prestigieuse, cela est vraiment très élégant de la part de cette grande wagnérienne et straussienne de venir présenter au public des compositeurs peu connus, sinon franchement inconnus.
Si le nom du Finlandais Sibelius est connu des mélomanes, sont-ils vraiment familiers de ses mélodies ? Quant aux noms des Suédois von Koch, Stenhammar et Rangström, avouons que nous ne les connaissions pas avant ce concert-là. En usant de sa notoriété pour faire mieux connaitre les compositeurs avec qui elle partage le même idiome, la même origine culturelle, la soprano suédoise suit l'exemple de son illustre devancière et compatriote Birgit Nilsson et accomplit, elle aussi, un vrai service de décloisonnement du répertoire de son pays.
Tout est impressionnant chez Nina Stemme : son port de reine, sa robe qui évoque les toilettes à panier du XIXe siècle, son chignon impeccable, son regard d'acier, et quand elle commence à chanter, on prend peur… Les anges en stuc du vieux théâtre de Strasbourg vont-ils résister à un tel volume vocal ? Et surtout, cette voix monumentale se laissera-t-elle conduire dans les inflexions subtiles de la poésie, dans la délicatesse et les doubles-fonds du genre du Lied ? Les tous premiers Lieder de Sigurd von Koch, chantés en allemand, laissent un peu perplexe. Dans Die Lotosblumen (poésie de Hans Bethge, et non pas de Heinrich Heine), la souplesse de la ligne fait un peu défaut, et la finesse de l'évocation aquatique n'est qu'effleurée. Mais tout s'arrange très vite, car la voix s'échauffe, les poésies se chargent peu à peu d'une inquiétude grandissante qui tourne à la tragédie intérieure, et pour ça, Nina Stemme est souveraine. L'intensité de sa voix d'airain, son timbre toujours pulpeux, la projection de son excellent allemand amènent à un dramatisme d'une grande puissance, qui convient parfaitement à ces textes et à cette musique. Pour Brahms, qui est le compositeur à qui ces Lieder de von Koch fait le plus penser, cela n'irait pas si bien. Mais pour ces Lieder-ci et les suivants, fortement porteurs de la célèbre « angoisse nordique », ce que fait notre chanteuse est simplement grandiose.
Si la dimension tragique, inhérente à la plupart de ces mélodies, est superbement prise en charge par la soprano, la subtilité des climats, paysages et lumières, est admirablement rendue par le piano de Roland Pöntinen. Sans crainte d'étouffer la voix de sa collègue, il peut jouer de toutes les nuances, du pianissimo le plus fin à de grandes masses sonores, et donner à son Steinway le volume d'un orgue. Les trois arbres de Sibelius, donnés en solo, sont de très beaux moments de sensibilité, et les trois fantaisies de Stenhammar démontrent un équilibre parfait entre lyrisme et retenue. De très beaux moments de piano, fort appréciés par le public.
Des trois compositeurs suédois que Nina Stemme nous présente, Wilhelm Stenhammar est peut-être celui qui se rapproche le plus de Richard Strauss, et pour l'amateur de Lied qui n'est pas habitué à ce répertoire scandinave, c'est sans doute la plus belle découverte de la soirée : lyriques, envoûtantes, distinguées, ses mélodies sont d'une très haute qualité. Les délicats Fylgia et A la fenêtre font nettement penser à Sylvia, Schlechtes Wetter, alors que la pseudo-ritournelle La fille revient d'un rendez-vous n'est pas sans évoquer Chopin. L'Etoile enfin reprend une violence presque étouffante, d'une beauté terrassante. Le compositeur Ture Rangström, avec six mélodies, est le mieux servi dans ce récital. La part du fantastique y est plus importante (La Fleur sombre, Le Vent et l'arbre, Des ailes dans la nuit…), et le lyrisme y est un peu plus sec que chez Stenhammar, mais l'émotion est toujours là, et la poésie toujours aussi intense, même pour celui qui ne comprend pas le suédois. Deux bis de Sibelius (Premier baiser, Etait-ce un rêve ?) terminent ce généreux concert, et laissent le public étonné et reconnaissant d'avoir pu découvrir de si belles choses.
Crédit photographique © Neda Navaee
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Strasbourg, Théâtre de l’Opéra National du Rhin, 8-II-2025. Sigurd von Koch (1879-1919): Extraits de La Flûte Mystérieuse : Die Lotosblumen, Die traurige Frühlingsnacht, Der Unwürdige, Die geheimnisvolle Flöte, Herbstgefühl; Jean Sibelius (1865-1957) : Le sapin, Le tremble, Le bouleau, extraits de l’opus 75 (piano solo), Mais mon oiseau est long à revenir, Roses noires, extraits de Six mélodies opus 36, Lever de soleil, La Fille revient d’un rendez-vous avec son bien-aimé, extraits de Cinq mélodies opus 37 ; Wilhelm Stenhammar (1871-1927) : Trois fantaisies extraites de l’opus 11 (Piano solo), La Fille revient d’un rendez-vous avec son bien-aimé, Fylgia, A la fenêtre, L’Etoile ; Ture Rangström (1884-1947) : Villemo où es-tu allée, La Fleur sombre, Œil-étoile, Prière pour la nuit, Le Vent et l’arbre, Des ailes dans la nuit. Nina Stemme, soprano et Roland Pöntinen, piano.