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Maria, le film de Pablo Larrain : Callas Requiem

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Maria. Un film de Pablo Larrain. Scénario : Steven Knight. Musique : Giuseppe Verdi, Giacomo Puccini, Gaetano Donizetti, Alfredo Catalani, Luigi Cherubini, Georges Bizet, Richard Wagner, Brian Eno, John Warhurst. Avec : Angelina Jolie, Kodi Smith-McPhee, Pierfrancesco Favino, Alba Rohrwacher, Valeria Golino, Haluk Bilginer, Vincent Macaigne… Distribution : ARP . Sortie le 5 février 2025. Format: 1,85. Durée : 123:00

 

Jackie Kennedy avait réussi à . Le metteur en scène chilien bute sur .

fait partie du cénacle des grands cinéastes. No, Neruda, El Club, Jackie ont imposé la singularité de son cinéma. Laquelle est une nouvelle fois manifeste mais surtout dans ses intentions, son nouveau film errant jusqu'à l'atonie entre Maria et Callas. Le défi à relever était de toutes façons des plus risqués : Jackie Kennedy n'avait qu'une voix à faire entendre ; , comme on le sait, en avait plusieurs.

L'annonce de la mort, à 54 ans, de dans son appartement parisien marqua le début d'une callassomania (discographie et littérature pléthoriques) toujours en vigueur (des romans – Le fils caché, La Rivale – et même une BD en 2023). Tout semble avoir été dit de la trajectoire qui transforma une des plus grandes tragédiennes lyriques de l'histoire de l'opéra en tragédie vivante autour d'un credo (Vivre d'Art) bien providentiel quand il s'est agi de transcender un destin malmené de l'enfance à l'âge adulte par une mère et des hommes à l'opposé de bien des canons relationnels. A la voix de la Callas se superpose toujours, non seulement l'intimité des héroïnes qu'elle incarne, mais aussi la sienne propre. C'est ce concentré émotionnel que entend traduire en images en faisant le focus sur la dernière semaine de la vie de son héroïne.

16 septembre 1977. La date fatidique sur laquelle s'ouvre le film. C'est dans la dernière demeure de la cantatrice que la caméra emménage elle aussi pour ne quasiment plus la quitter. L'appartement du 36, rue Georges Mandel est reconstitué avec un souci du détail proche de celui que l'on pouvait admirer dans la Tosca aixoise de Christophe Honoré, au cours de laquelle le réalisateur français racontait déjà le douloureux passage des ans sur la voix d'une diva décidée à passer le flambeau, recluse elle aussi dans son appartement. La caméra de Larrain affiche d'emblée une allure de cérémonial dont elle ne se départira jamais au fil d'un scénario qui s'articule autour d'une interview imaginaire né du cerveau d'une femme esseulée prenant trop de médicaments. L'un d'eux, un coupe-faim nommé Mandrax devient même (c'est la clef de l'intrigue) le patronyme d'un jeune homme appelé à dialoguer deux heures durant avec une soprano qui ne se produit plus, mais passe le plus clair de son temps à questionner sa voix évanouie, à errer comme un spectre dans les rues d'un Paris automnal prêt à se métamorphoser à la première occasion : ainsi des passants du Trocadéro se muent en chœur d'opéra chantant Le Trouvère à pleins gosiers, tandis qu'un peu plus loin, un aréopage de geishas susurre le chœur à bouche fermée de Butterfly autour de la la diva reprenant la pose de la première version Karajan. La scène finale lui offrira un orchestre complet pour interpréter, juste avant sa mort véritable, un ultime Vissi d'Arte devant des passants arrêtés sous ses fenêtres… après avoir été jusqu'à inventer à son endroit une déclaration d'amour de l'éphèbe qui l'accompagne. Un jeu de questions et de non-réponses dont le procédé s'avère bien commode pour évoquer un passé majuscule : la mère toxique… le soir où Maria chanta Carmen devant Kennedy tandis que Marylin se contenta d'un Happy birthday Mister President… Onassis, bien sûr, auquel Larrain confie des répliques parmi les plus goujates jamais prononcées…

Le film navigue entre les époques, entre les formats (du Super 8 au 35 mm), entre la couleur et le noir et blanc, mais aussi entre vérités et mensonges : Larrain peut tout se permettre, du « je veux sortir car j'ai besoin d'adulation » de Callas, à l'insolence voyeuriste d'un journaliste réclamant l'objectivité pour ses lecteurs… Ce qui n'est pas sans dégât collatéral, aussi bien pour le mélomane aguerri que pour le néophyte : le premier ne manquera pas d'être ébranlé dans ses certitudes, tandis que le second risquera de prendre pour argent comptant tous les épisodes de ce film aux allures de rêve éveillé.

L'excellent parti pris de départ se voit effectivement compromis par la lenteur somnambulesque d'un filmage contaminant jusqu'au charisme des acteurs. En Bruna et Ferruccio, les fidèles domestiques de Maria Callas, Pierfrancesco Favino et Alba Rohrwacher peinent à exister ; en jeune Mandrax, Kodi Smith-McPhee apparaît bien fade. Au jeu d'Angelina Jolie se superpose forcément, comme avec la Callas, les tourments de l'actrice dont la vie privée a été davantage médiatisée que la présence cinématographique, sa dernière apparition dans un grand film remontant à L'Echange de Clint Eastwood en 2008. Mais cet effet de miroir entre l'interprète et son personnage, qui aurait pu s'avérer un atout, est loin de produire des effets aussi féconds qu'avec l'illustre modèle. Malgré le travail effectué, considérable et bluffant, pour calquer l'allure de l'actrice hollywoodienne sur celle de la diva grecque (visage, voix, et garde-robe), Angelina Jolie, uniment hiératique, reste à distance en cariatide doloriste, ce qu'était parvenu à éviter, avec un naturel autrement confondant, Fanny Ardant dans le pourtant plus banal Callas Forever de Zefirelli.

Le générique de fin est même assez contre-productif : ses archives montrant la vraie Maria Callas, malicieuse, pétillante (qui a pu oublier son hilarité communicative face au sketch de Claude Véga la parodiant sur le petit écran des années 70 ?) ne sont pas loin d'ébranler les murs du mausolée érigé par Larrain. Conçu comme un opéra avec ses quatre actes (Acte I : La Diva. Acte II : Un moment important. Acte III : Rappel. Acte IV : L'Ascension), alignant (d'Otello à Nabucco) tous les tubes de l'opéra italien qui ont émaillé la carrière de la Callas, Maria aurait pu être le plus émouvant des opéras cinématographiques. Au lieu de quoi, avec sa lenteur spectrale, son allure de requiem donnant le sentiment d'embaumer le film lui-même, Maria reste bien en-deçà de l'immense émotion ressentie aux quatre coins de la planète, ce funeste automne de l'année 1977.

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1 commentaire sur “Maria, le film de Pablo Larrain : Callas Requiem”

  • Truth dit :

    Ci sono centinaia, se non migliaia di commenti di spettatori che hanno visto questo bellissimo film e si sono commossi fino alle lacrime. Tu non ti sei commosso? È un tuo problema, non renderlo un dato di fatto oggettivo.

    Il y a des centaines, voire des milliers de commentaires de spectateurs qui ont vu ce beau film et ont été émus aux larmes. Vous n’avez pas été ému ? C’est votre problème, n’en faites pas un fait objectif.

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