Neuwirth et Boulez sous l’archet virtuose des Diotima
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Paris. Auditorium de Radio France. 5-II-2025. Festival Présences. Pierre Boulez (1925-2016) : Livre pour quatuor, 1a,1b ; 3a, 3b, 3c ; Misato Mochizuki (née en 1969) : Brains (extraits) : Boids ; Boids again ; Dieter Ammann (né en 1962) ; Quatuor à cordes n°2 « Distanzenquartett » ; Alain Moëne (1942-2024) : Comme qui chante et parle à la fois ; Olga Neuwirth (née en 1968) : In the Realms of the Unreal. Quatuor Diotima : Yun-Peng Zhao, Léo Marillier, violon ; Franck Chevalier, alto ; Alexis Descharmes, violoncelle.
Irwin Arditti souffrant, le Quatuor Arditti a cédé sa place aux Diotima pour ce deuxième concert du Festival Présences de Radio France. Le programme sensiblement modifié n'en met pas moins à l'honneur la tête d'affiche de l'édition 2025, Olga Neuwirth, et celui que la compositrice a beaucoup aimé et admiré, Pierre Boulez.
Le Livre pour quatuor de Boulez est un work in progress courant sur plus de dix ans, de 1948 à 1959. L'œuvre conçue en six mouvements qui peuvent être joués séparément, reste cependant inachevée. En 2017, Philippe Manoury et Jean-Louis Leleu se chargent de la finaliser, restituant le mouvement IV à partir des esquisses du maître.
On entend les mouvements I (a,b) et III (a,b,c) au début de chaque partie de la soirée, un choix judicieux s'agissant d'une écriture somme toute exigeante, celle du jeune Boulez radical dont la série fibre l'espace tout entier. L'interprétation des Diotima est d'une clarté exemplaire, laissant apprécier les jeux multiples des attaques, le travail sur le timbre et la fluidité du discours, en gommant toute agressivité du geste. Le mouvement III, « souple, flexible », note Boulez, est une partie lente qui réintroduit le vibrato et un certain lyrisme (allusions furtives au Soleil des eaux) dans un espace moins éclaté et une polyphonie nourrie sous les archets experts des musiciens qui donnent à l'œuvre son plein rayonnement.
Ludique et virtuose
Boids et Boids again de la Japonaise Misato Mochizuki sont extrais du cycle Brains (cerveau) dont les Diotima viennent de donner l'intégrale à Berlin. Boids est un mot inventé par la compositrice qui entend traduire à travers l'écriture musicale la manière dont se déplacent les bancs d'oiseaux dans le ciel. Avec leurs faisceaux de lignes lancées dans les aigus, violons et alto créent l'illusion acoustique de sons qui montent à l'infini. Boids again est une même écriture-oiseau très plastique qui fait varier les registres et les modes de jeu. Les interprètes s'y engagent avec une synergie confondante et un rendu sonore d'une grande finesse.
La virtuosité dans Distanzenquartet du Suisse Dieter Ammann est indéniable, frisant parfois l'exercice de style un rien démonstratif dans une mise en tension systématique des contrastes et autres reliefs de l'écriture. Elle n'en met pas moins en valeur l'excellence du jeu et l'étonnante fluidité du geste de nos quatre interprètes.
Hommage et message
Comme qui chante et parle à la fois est une création posthume d'Alain Moëne décédé en 2024. Le compositeur, qui fut directeur de la musique et responsable de la création et du Festival Présences de la Maison ronde, avait dédié sa partition à Alain Bancquart, embarqué, comme lui, dans l'écriture microtonale et la recherche des (petites) différences. On est happé par ce mouvement ascendant plusieurs fois réamorcé qui tente d'aller vers la lumière sans jamais pouvoir s'y fixer. L'interprétation des Diotima convainc, qui détaille avec finesse les textures aussi fines que fragiles d'une œuvre éminemment sombre et intérieure.
La soirée s'achève avec le troisième quatuor à cordes (2010) d'Olga Neuwirth, In the Realms of the Inreal. Ces « royaumes de l'irréel», inspirés par l'ouvrage fleuve d'Henry Darger (1892-1973), sont des espaces qu'aime habiter la compositrice, qui puise vitalité rythmique et invention timbrique, comme ces grandes glissades insolentes qui parcourent tout le registre. L'écoute y est toujours stimulée, au gré des différents épisodes qui s'enchaînent, jalonnés de citations et autres musiques mémorielles qui ne vont pas sans humour voire sans tendresse : car Neuwirth dédie ce troisième quatuor à sa grand-mère Alfreda Gallewitch dont les initiales A et G (la et sol dans le solfège anglo-saxon) s'entendent dans l'écriture comme des polarités structurantes. Le quatuor est un petit chef-d'œuvre auquel les Diotima confèrent chaleur, humanité et prodiges sonores.
Crédit photographique : Quatuor Diotima (répétitions) © Festival Présences – Radio France
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