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Paris. Opéra Bastille. 5-II-2025. Richard Wagner (1813-1883) : L’Or du Rhin (Das Rheingold), prologue en 1 acte (1869) du festival scénique du Ring des Nibelungen (1876). Livret du compositeur. Mise en scène : Calixto Bieito. Scénographie : Rebecca Ringst. Costumes : Ingo Krügler. Lumières : Michel Bauer. Vidéo : Sarah Derendinger. Avec : Nicolas Brownlee, Wotan ; Florent Mbia, Donner ; Matthews Cairns, Froh ; Simon O’Neill, Loge ; Kwgangchul Youn, Fasolt ; Mika Kares, Fafner ; Brian Mulligan, Alberich ; Gerhard Siegel, Mime ; Eve-Maud Hubeaux, Fricka ; Eliza Boon, Freia ; Marie-Nicole Lemieux, Erda ; Margarita Polonskaya, Woglinde ; Isabel Signoret, Wellgunde ; Katharina Magiera, Fosshilde. Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Pablo Heras-Casado.
C'est peu dire qu'il était attendu ce Prologue du nouveau Ring parisien mis en scène par Calixto Bieito, dirigé par Pablo Heras-Casado… Initialement prévu en 2020 pour conclure en beauté le mandat de Stéphane Lissner, reporté pour raisons de pandémie, il voit finalement le jour aujourd'hui sous la férule d'Alexander Neef dans une réalisation qui laisse dubitatif et encourage à une prudente expectative…
Rêve humaniste oblige, les metteurs en scène semblent avoir définitivement délaissé les vieux oripeaux de la mythologie germano-scandinave au profit de la « High Tech » : après la vision de Tcherniakov à Berlin qui situait l'action dans un centre de recherches sur le cerveau humain, c'est maintenant Calixto Bieito à Paris qui, dans une vision à la fois actuelle et futuriste, a recours à la virtualité numérique, à l'Intelligence Artificielle et au grand « rêve » transhumaniste pour nous conter les péripéties de ce nouveau Ring, en commençant aujourd‘hui par son Prologue… Avec cette nouvelle production de la Tétralogie, le metteur en scène se livre à un délicat, méritoire et ambitieux questionnement sur l'impact de la technologie et de la science sur les êtres humains, un travail particulièrement intéressant dont on appréciera l'aboutissement, l'acuité et la pertinence dans les épisodes ultérieurs à venir… Pour l'heure, il convient de signaler l'originalité et la cohérence de cette lecture, cantonnée à L'Or du Rhin, qui reste très lisible et fidèle au livret, sans pour l'instant n'apporter encore aucun sang neuf dans l'analyse en profondeur de celui-ci, se limitant à un avant-propos balbutiant, un peu grand guignolesque et superficiel.
Dans les lectures contemporaines du Ring, certains points semblent définitivement actés comme la critique du capitalisme (depuis Chéreau) et la tragédie familiale. Calixto Bieito y rajoute d'autres préoccupations plus actuelles : Big Data (Walhalla qui se révèlera dans la scène finale) permettant une information totale et un contrôle de notre illusoire liberté, préoccupations environnementales (à venir) et soucis quant à notre futur. Attendons de voir…
La scénographie épurée de Rebecca Ringst ménage deux espaces dans une partition assez classique : le haut dévolu aux Dieux, domaine des nantis et du capitalisme triomphant ; le bas, étage des gueux, des « sans dents » où se démène, au milieu d'un fatras d'écrans et de câbles, l'envieux Alberich, dont le rêve de pouvoir et de puissance passe nécessairement par la possession de l'Anneau (ici, un collier), aidé pour cela par un contingent de serviles humanoïdes. Difficile de goûter la laideur et le clinquant un peu kitsch de cette scénographie, heureusement rehaussée par les beaux éclairages colorés de Michel Bauer, comme les costumes d'Ingo Krüger, à l'avenant, hideux même si non dénués d'une certaine touche humoristique (Filles du Rhin en combinaisons de plongée bleu turquoise à rayures jaunes criard, Fafner en cowboy de pacotille et Fasolt en homme d'affaire vénal qui pourraient bien rappeler deux chefs d'état actuels largement impliqués dans le délabrement de la planète…) Pour compléter ce triste tableau, la circulation d'acteurs, quelconque, n'est pas plus convaincante et la vidéo reste souvent incompréhensible.
Maudit soit l'anneau ! Le sort semble s'acharner sur ce nouveau Ring parisien, le troisième en date à l'OnP depuis 70 ans : après le forfait de Ludovic Tézier contraint pour raisons de santé d'annuler sa prise de rôle en Wotan, c'est maintenant son remplaçant Iain Patterson qui se voit terrassé par la maladie, forcé de céder sa place à Nicolas Brownlee qui, bien qu'arrivé en dernière minute, assume crânement son rôle de chef des Dieux, un rôle qu'il a d'ailleurs déjà chanté à l'opéra de Dallas. C'est lui, à n'en pas douter, la vraie découverte de la soirée, tirant avec brio son épingle du jeu au sein d'une distribution vocale homogène sans individualité notoire. Dès son entrée en scène on est immédiatement séduit par le timbre rayonnant de son baryton-basse, par sa projection mesurée et nuancée, comme par son jeu scénique engagé. À ses côtés Eve-Maud Hubeaux campe une Fricka sensuelle et altière à l'émission ardente, tandis que la touchante Eliza Boon donne à Freia toute la sensibilité nécessaire à son rôle d'otage. Si l'on admire sans réserve la chanteuse, Marie-Nicole Lemieux ne convainc pas dans le rôle d'Erda : la tessiture manque de graves profonds malgré la beauté de son timbre. Margarita Polonskaya, Isabel Signoret et Katharina Magiera sont des Filles du Rhin aux timbres joliment appariés et pleines de sensualité. Chez les hommes, Brian Mulligan (Alberich) convainc par sa noirceur répugnante ; Gerhard Siegel (Mime) par sa servilité repoussante ; Simon O'Neill (Loge) par son coté intrigant et calculateur, homme de main au service de Wotan ; Mika Kares (Fafner) et Kwgangchul Youn (Fasolt) sont des Géants bien chantants, bien que peu sollicités. Florent Mbia en Donner et Matthews Cairns en Froh tiennent honorablement leur rang.
Dans la fosse, Pablo-Heras Casado, wagnérien reconnu (Parsifal et futur Ring à Bayreuth en 2028) dont les rumeurs disent qu'il pourrait bien être le futur directeur musical de la « grande boutique », offre à cette nouvelle production le peu de lustre que la mise en scène lui refuse, en arguant d'une direction juste et équilibrée, bien qu'un peu lisse, menée sur un tempo modéré, exaltée par des sonorités claires quasi chambristes issues d'un superbe Orchestre de l'Opéra de Paris.
En bref, bien qu'abondamment salué par le public, un Prologue assez superficiel sans grandeur ni poésie, qui nous invite à attendre avec curiosité le prochain épisode.
Crédit photographique : © Herwig Prammer/Opéra national de Paris
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Paris. Opéra Bastille. 5-II-2025. Richard Wagner (1813-1883) : L’Or du Rhin (Das Rheingold), prologue en 1 acte (1869) du festival scénique du Ring des Nibelungen (1876). Livret du compositeur. Mise en scène : Calixto Bieito. Scénographie : Rebecca Ringst. Costumes : Ingo Krügler. Lumières : Michel Bauer. Vidéo : Sarah Derendinger. Avec : Nicolas Brownlee, Wotan ; Florent Mbia, Donner ; Matthews Cairns, Froh ; Simon O’Neill, Loge ; Kwgangchul Youn, Fasolt ; Mika Kares, Fafner ; Brian Mulligan, Alberich ; Gerhard Siegel, Mime ; Eve-Maud Hubeaux, Fricka ; Eliza Boon, Freia ; Marie-Nicole Lemieux, Erda ; Margarita Polonskaya, Woglinde ; Isabel Signoret, Wellgunde ; Katharina Magiera, Fosshilde. Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Pablo Heras-Casado.