Les Debussy déroutants d’Evgueni Svetlanov

Immense chef russe dont le nom reste très attaché au répertoire symphonique de son pays natal, Evgueni Svetlanov a aussi dirigé le grand répertoire avec des succès inégaux. Ce CD d’ICA Classics reprend des concerts londoniens dont de très inhabituelles conceptions du Prélude à l’après-midi d’un faune ou de La mer qui déroutent.

Pianiste, compositeur et surtout chef d’orchestre, Evgueni Svetlanov (1928-2002) est resté célèbre comme grand défenseur du répertoire symphonique russe (son anthologie de la musique symphonique russe, incluant l’unique intégrale jamais réalisée des vingt-sept symphonies de Myaskosvky demeure un monument de l’histoire du disque). Mais, surtout après avoir été remercié en 2000 de ses fonctions de chef de l’orchestre symphonique d’État de l’URSS devenu celui de la fédération de Russie après la chute de l’Union soviétique, ses collaborations avec des orchestres occidentaux se multiplièrent. On se souvient de concerts mémorables à Paris et de son inévitable petit ventilateur placé sur son pupitre.

ICA Classics rappelle que le répertoire du maestro ne se limitait pas à son arbre généalogique. Cette fois, les orchestres londoniens sont mis à contribution par le chef, dont la dureté envers ses musiciens est rappelée dans le texte de présentation (à l’issue d’une répétition, il leur dit que « s’ils jouaient deux fois mieux le soir que ce matin, ce ne serait pas encore suffisant »…). La brève ouverture de la Dame de Pique rentre dans le cœur de répertoire du grand chef mais ce sont les Debussy qui surprendront le plus les mélomanes. Certes le compositeur français admirait les russes du XIX^e siècle mais Svetlanov tend à confondre La Mer et La Grande Pâque Russe sinon le Poème de l’extase ; le livret de présentation rappelle d’ailleurs qu’il exigeait des cuivres « du mordant et non le timbre plus rond que les musiciens avaient l’habitude de produire ». Il en résulte une vision très symphonique et flamboyante de l’œuvre, qui ne convainc pas complètement, loin de l’impressionnisme auquel nous sommes habitués. Cette conception qu’il impose également mutatis mutandis au Prélude à l’après-midi d’un faune, très « ballets russes » s’adapte évidemment mieux aux deux préludes de Rachmaninov orchestrés avec magnificence par Respighi et à l’Ouverture sur des thèmes juifs de Prokofiev, narquoise et ironique à souhait.

Un beau portrait qu’on complètera, si l’on veut connaître de Svetlanov un autre aspect que l’intensité lyrique souvent torrentielle des grandes œuvres romantiques russes auxquelles son nom demeure éternellement attaché, par quelques raretés d’Alfven ou de Bruckner captées lorsqu’il dirigeait des orchestre suédois.