Salle Pierre Boulez, Lucas Debargue et l'Opus 102, le piano aux cordes parallèles et au clavier augmenté de Stephen Paulello, n'ont pas fait si bon ménage dans un récital Fauré, Beethoven et Chopin.
Lucas Debargue rejoint le piano d'un pas cérémonieux et passe quelques longues secondes les mains immobiles au-dessus du clavier avant de jouer le premier des Préludes op.103 de Gabriel Fauré. C'est à peine si l'on se rend compte qu'il a commencé. Où est le son, où est le timbre ? Où est la présence ? Celle qui doit, dès les premières notes capter l'attention, s'imposer dans sa tangibilité. Le début est si confidentiel qu'il est quasi inaudible à tel point que dans le public les innombrables toux de saison et autres bruits divers continuent sans aucune retenue leur concert bien après les premières mesures. Au fil des neuf Préludes, on se dit que si certains interprètes ont ce don merveilleux de nous faire oublier que le piano a des cordes, Debargue a celui de nous le rappeler sans cesse, et en outre qu'elles sont de métal ! Dès le premier, ses attaques brusques et frontales dans le grave les font sonner court, dur, aigre, métallique, sans rondeur. On le déplorera souvent : dans le Prélude n°5 notamment, qui manque singulièrement de clarté de lecture. Debargue n'est pas coloriste, et cela fait bien défaut dans ces pièces en forme d'aphorismes qui demandent tant de soin dans le timbre. Il les noie dans une ambiance complaisamment assombrie, sans en différencier les atmosphères. On cherche en vain dans cette pénombre la ligne musicale, notamment dans le dernier Prélude, qui apparaît défait. Et que dire du contrepoint fauréen qui ici se dissout dans une forme d'abstraction incompréhensible, sans qu'une direction soit jamais claire…Nous avions pourtant salué dans nos pages son intégrale parue chez Sony.
La Sonate pour piano n°27 op.90 de Ludwig van Beethoven elle aussi morcelée n'est guère plus convaincante. Tout au moins en ce qui concerne son premier mouvement. Le second avance droit, chantant, fredonnant plutôt, mais sans grande ferveur, ni chaleur. Le Scherzo n°4 op.54 de Frédéric Chopin ne l'est pas davantage : les attaques des basses y redoublent de brusquerie et de dureté, celles-ci sonnant à nouveau aigre et court. Les doigts quoique agiles se laissent emporter par la vitesse, le pianiste négligeant que les traits de croches aussi rapides soient-ils dans ce Presto se doivent d'être phrasés, pensés musicalement, surtout chez Chopin. Une virtuosité qui éblouit peut-être, mais masque mal une absence d'intentions.
Un second triptyque Fauré-Beethoven-Chopin arrive après l'entracte. Les Thème et Variations en ut dièse mineur op. 73 de Fauré ne font hélas que confirmer les défauts relevés dans les Préludes : absence de basses, de ligne, attaques verticales des accords, laideur des graves, affectation des variations lentes jusqu'à l'ennui (hormis la première assez belle !) …Quant à la Sonate op.27 n°2 dite « Clair de lune » de Beethoven, dieu qu'elle est lente, interminable ! Le premier mouvement n'avance pas, empesé. L'allegretto chante sans plus, et les sons métalliques et durs redoublent dans le presto final, faisant claquer les cordes désagréablement jusqu'au dernier accord planté de travers. Vient pour terminer la Ballade n°3 op.47 de Chopin. Son début souffre d'excès de rubato et d'afféterie. Rien n'est ensuite réellement conduit, chanté, construit. Des éclats sonores incompréhensibles révèlent un manque de contrôle de la sonorité jusqu'à son dernier accord jeté n'importe comment lui aussi, même pas propre, mais dans un grand effet de manche qui déclenche l'acclamation du public !
On écoutera un bis, « Après un rêve » dans la transcription du pianiste, d'un goût si discutable qui loin de faire rêver, nous dissuade même de rester écouter le ou les probables suivants.