Le piano prosaïque de Lucas Debargue à la Philharmonie de Paris
Plus de détails
Paris. Philharmonie de Paris, salle Pierre Boulez. 3-II-2025. Gabriel Fauré (1845-1924) : Préludes op.103, Thème et variations en ut dièse mineur op.73 ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonates pour piano n°14 en ut dièse mineur op.27 n°2 (Clair de Lune), et n°27 en mi mineur op.90 ; Frédéric Chopin (1810-1849) : Scherzo n°4 en mi majeur op.54, Ballade n°3 en la bémol majeur op.47. Lucas Debargue, piano Opus 102 de Stephen Paulello.
Salle Pierre Boulez, Lucas Debargue et l'Opus 102, le piano aux cordes parallèles et au clavier augmenté de Stephen Paulello, n'ont pas fait si bon ménage dans un récital Fauré, Beethoven et Chopin.
Lucas Debargue rejoint le piano d'un pas cérémonieux et passe quelques longues secondes les mains immobiles au-dessus du clavier avant de jouer le premier des Préludes op.103 de Gabriel Fauré. C'est à peine si l'on se rend compte qu'il a commencé. Où est le son, où est le timbre ? Où est la présence ? Celle qui doit, dès les premières notes capter l'attention, s'imposer dans sa tangibilité. Le début est si confidentiel qu'il est quasi inaudible à tel point que dans le public les innombrables toux de saison et autres bruits divers continuent sans aucune retenue leur concert bien après les premières mesures. Au fil des neuf Préludes, on se dit que si certains interprètes ont ce don merveilleux de nous faire oublier que le piano a des cordes, Debargue a celui de nous le rappeler sans cesse, et en outre qu'elles sont de métal ! Dès le premier, ses attaques brusques et frontales dans le grave les font sonner court, dur, aigre, métallique, sans rondeur. On le déplorera souvent : dans le Prélude n°5 notamment, qui manque singulièrement de clarté de lecture. Debargue n'est pas coloriste, et cela fait bien défaut dans ces pièces en forme d'aphorismes qui demandent tant de soin dans le timbre. Il les noie dans une ambiance complaisamment assombrie, sans en différencier les atmosphères. On cherche en vain dans cette pénombre la ligne musicale, notamment dans le dernier Prélude, qui apparaît défait. Et que dire du contrepoint fauréen qui ici se dissout dans une forme d'abstraction incompréhensible, sans qu'une direction soit jamais claire…Nous avions pourtant salué dans nos pages son intégrale parue chez Sony.
La Sonate pour piano n°27 op.90 de Ludwig van Beethoven elle aussi morcelée n'est guère plus convaincante. Tout au moins en ce qui concerne son premier mouvement. Le second avance droit, chantant, fredonnant plutôt, mais sans grande ferveur, ni chaleur. Le Scherzo n°4 op.54 de Frédéric Chopin ne l'est pas davantage : les attaques des basses y redoublent de brusquerie et de dureté, celles-ci sonnant à nouveau aigre et court. Les doigts quoique agiles se laissent emporter par la vitesse, le pianiste négligeant que les traits de croches aussi rapides soient-ils dans ce Presto se doivent d'être phrasés, pensés musicalement, surtout chez Chopin. Une virtuosité qui éblouit peut-être, mais masque mal une absence d'intentions.
Un second triptyque Fauré-Beethoven-Chopin arrive après l'entracte. Les Thème et Variations en ut dièse mineur op. 73 de Fauré ne font hélas que confirmer les défauts relevés dans les Préludes : absence de basses, de ligne, attaques verticales des accords, laideur des graves, affectation des variations lentes jusqu'à l'ennui (hormis la première assez belle !) …Quant à la Sonate op.27 n°2 dite « Clair de lune » de Beethoven, dieu qu'elle est lente, interminable ! Le premier mouvement n'avance pas, empesé. L'allegretto chante sans plus, et les sons métalliques et durs redoublent dans le presto final, faisant claquer les cordes désagréablement jusqu'au dernier accord planté de travers. Vient pour terminer la Ballade n°3 op.47 de Chopin. Son début souffre d'excès de rubato et d'afféterie. Rien n'est ensuite réellement conduit, chanté, construit. Des éclats sonores incompréhensibles révèlent un manque de contrôle de la sonorité jusqu'à son dernier accord jeté n'importe comment lui aussi, même pas propre, mais dans un grand effet de manche qui déclenche l'acclamation du public !
On écoutera un bis, « Après un rêve » dans la transcription du pianiste, d'un goût si discutable qui loin de faire rêver, nous dissuade même de rester écouter le ou les probables suivants.
Crédit photographique © Jany Campello/ResMusica
Plus de détails
Paris. Philharmonie de Paris, salle Pierre Boulez. 3-II-2025. Gabriel Fauré (1845-1924) : Préludes op.103, Thème et variations en ut dièse mineur op.73 ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonates pour piano n°14 en ut dièse mineur op.27 n°2 (Clair de Lune), et n°27 en mi mineur op.90 ; Frédéric Chopin (1810-1849) : Scherzo n°4 en mi majeur op.54, Ballade n°3 en la bémol majeur op.47. Lucas Debargue, piano Opus 102 de Stephen Paulello.
Bravo pour votre article. Nous étions dans la salle le 3 février et cela correspond tout à fait a ce que nous avons ressenti. Ni le piano ni l’interprete ne nous ont convaincus. Nous aurions aimé avoir votre sentiment sur le second bis qui était une paraphrase de sa composition sur Cantique de Jean Racine.
Madame, voilà plusieurs jours que j’hésite à vous écrire – après avoir lu votre commentaire sur le récital de Lucas Debargue. Je n’ignore pas que vous êtes pianiste et professeur de piano et je m’étonne que vous soyez si dure envers un concertiste ; vous savez forcément ce qu’implique une prestation sur scène et tout le travail nécessaire pour parvenir à ce niveau… De la première phrase de votre « critique » jusqu’à la dernière, vous semblez vous livrer à une démolition en règle… Je précise que je ne suis pas une fan de Lucas Debargue, loin s’en faut ; je suis juste choquée par vos propos tellement négatifs voire méprisants à son égard, depuis son entrée en scène d’un pas « précautionneux » jusqu’à son « effet de manche » qui déclenche pourtant les applaudissements du public. Est-ce à dire que ce public aurait particulièrement mauvais goût, s’il ne réagit pas comme vous ? Pour finir, je précise que je suis musicienne et mélomane et que j’ai hâte de voir et entendre ce concert, peut-être, sur Mezzo. S’il ne me plaît pas, je dirai que je n’aime pas le jeu de Lucas Debargue, mais certainement pas qu’il est mauvais… Qui a dit que si « la critique est aisée, seul l’art est difficile » ?…
Cela fait quelques temps que je constate que, dans certains médias en ligne, certains critiques se livrent a des descentes en flèche d’artistes au minimum estimables. Je n’ai pas assisté au même concert que vous, manifestement. Mais où étiez vous donc ?
Effectivement, le piano (je parle de l’instrument) déroute au début et réclame une écoute plus concentrée. Le parti pris de Debargue, qui fait ressortir le chant d’une façon qu’on peut trouver excessive, obligé à tendre l’oreille par moments. Bon. Mais entend-on si souvent une telle longueur du son permettant une superposition des plans sonores d’une richesse inhabituelle ? Personnellement, du Fauré qui chante après des décennies de machines à coudre, je n’en fais peut-être pas une Bible mais ça m’ouvre d’autres perspectives chez un compositeur qui n’est pas si souvent joué en concert (et, lorsqu’on est bien élevé, on dit merci).
Beethoven et Chopin ? il y a des partis pris interprétatifs auxquels on a le droit de ne pas adhérer, mais ils ont le mérite d’apporter un éclairage différent sur des oeuvres rabachées depuis des générations. Je ne vais pas au concert pour entendre des oeuvres jouées comme je les imagine.
Effectivement, Debargue n’est pas (encore ?) un pianiste qui emporte tout sur son passage et peut être n’est ce pas dans sa nature.
Il fait une proposition à laquelle on n’est pas obligé d’adhérer, mais qui est celle d’un artiste.
Je ne trouve pas très honnête de profiter d’une tribune pour démolir un artiste qui ne s’est pas fichu de son public. Rendre compte d’un concert, ce n’est pas faire part de ses propres détestation (parce que c’est de cela qu’il s’agit, et on a vraiment le sentiment que vous n’avez assisté à se concert que dans l’objectif de vous payer le pianiste), lesquelles, excusez-moi, n’intéressent personne.
pas la peine de jouir de votre pouvoir. vous n’en avez aucun.
C’est vrai qu’il y a des pianistes à qui tout sourit et d’autres dont le chemin est plus complexe . A noter que ce concert a été très négativement critiqué par Alain Lompech sur un autre site.
Mais ce dernier est-il une totale référence devant laquelle il faut se prosterner ?
Comme les musiciens les spectateurs ( et donc les « critiques » ) peuvent avoir leurs bons jours ( zut ce soir c’est Brahms mais je suis dans une période Chopin ), être fatigué ou autre ?
Pour ma part, j’ai trouvé le piano de Stephen Paulello admirable. Très proche des Erard. Le jeu de Debargue m’a tiré des larmes. La beauté du Thème et variations de Fauré, avec ses notes claires et longues, le 1er mouvement de la ‘Clair de lune » de Beethoven qui fait réentendre sa profondeur, j’ai été secouée. Debargue réfléchit et tente, il nous wort de notre routine et c’est très bien.
Je trouve ces attaques en règle injustes. Ne même pas rester pour les bis est désobligeant. Le vrai scandale de cette critique est 1) de vouloir descendre en flèche un pianiste et un facteur de piano audacieux ; 2) de ne pas dénoncer l’attitude INADMISSIBLE du public et d’oser dire que c’est de la faute du pianiste. Le record de toux et éternuements (sans étouffer le son avec sa main ou son bras) a été battu. Sans compter les autres bruits : je fais tomber mon sac, je déballe un bonbon, je téléphone dans un couloir… J’aurais été Debargue, je me serais arrêté pour faire comprendre au public qu’il doit faire silence. Car ce qu’il fait mérite le respect.
Malheureusement le ton employé et les remarques désservent et affaiblissent aussitôt votre propos.
Nous ne sommes plus dans une critique musicale. Et nous sommes las de ces comportements de mandarins suffisants et cruels, qui créent un monde artistique français irrespirable.
Ou est-ce une conjoncture difficile qui ne vous aura pas permis d’ être en mesure de vivre cette rencontre ?
Vous avez devant vous un talent profond, singulier, reconnu par le monde entier.
Il représente une approche alternative . Ne nous crispons pas.
C’ est une richesse formidable.
Donnez- vous et nous la possibilité de sortir de nos zones de confort, stériles à terme, pour défricher et élargir notre connaissance et notre présence au monde.
»
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince:
– S’il te plaît… apprivoise-moi ! dit-il.
– Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n’ai pas beaucoup de temps. J’ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.
– On ne connaît que les choses que l’on apprivoise, dit le renard. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
– Que faut-il faire? dit le petit prince.
– Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t’asseoir un peu plus près… »