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Intense Judith Chemla dans Le Procès de Jeanne aux Bouffes du Nord

Après L'Annonce faite à Marie de Paul Claudel donnée en 2014 dans ce même Théâtre des Bouffes du Nord, , et fédèrent de nouveau leur talent dans Le procès de Jeanne, sorte de « Mystère » des temps modernes liant étroitement texte, musique et images.

Au sol, la découpe octogonale du plancher en bois pratiquement nu (Damien Caille-Perret) renvoie à celle du mur de fond de scène ouvrant sur un écran où vont apparaître, en surplomb, onze prélats de l'église, clercs, évêque, chanoine, moine et autres docteurs en théologie dont le jeu a été filmé en amont par Pierre Nouvel. En habits d'époque, ce sont les juges de Jeanne à qui, dans la mise en scène sans concession d', elle tournera toujours le dos. La voix de la Pucelle – touchante – est enfantine quand elle se remémore ses premières visions à Domrémy puis prend de l'assurance (elle a alors 19 ans) lorsque, mise aux fers, elle est confrontée aux autorités ecclésiastiques qui l'interrogent. Le livret de Marion Bernède s'inspire des « minutes du procès de condamnation de Jeanne d'Arc – 1431  », document authentique qu'elle resserre et adapte sans se défaire de certaines expressions, syntaxe et mots du bas Moyen Âge qui donnent au texte sa couleur. Un lexique a même été glissé dans le programme de salle pour expliciter une vingtaine de termes tels admonester, rebouter, abjurer, délinquer, rechoir, etc.

Seule en scène

En habit d'homme, chose qui lui sera dûment reprochée tout au long de l'interrogatoire, Jeanne (ardente ) tient tête à l'autorité de l'église, implacable quand elle avertit qu'elle ne dira rien de ses révélations, véritable Cassandre lorsqu'elle prévient les prélats qu'ils encourent la colère de Dieu s'ils contrecarrent sa mission, habitée quand elle évoque les voix de Sainte Catherine et Sainte Marguerite qui l'ont guidée.

Alors que la musique s'immisce discrètement dans le récit, très naturellement l'héroïne passe du parler au chanter, de l'hymne modal en latin à la chanson où s'émancipe la mélodie. Le timbre est joli et la voix bien placée, le plus souvent rejointe par celles, enveloppantes et chaleureuses, des six instrumentistes polyvalents, maintenus dans l'obscurité durant tout le spectacle. Ils jouent et chantent par cœur, guidés par leur seule écoute ! La lumière (très beau travail de César Godefroy) vient parfois effleurer leur espace de jeu, laissant entrapercevoir le percussionniste (Mathieu Ben Hassen) caressant avec un archet les lames de son vibraphone, le profil du tromboniste (Robinson Julien-Laferrière) actionnant sa coulisse ou encore les cordes du violoncelle (Emma Gergely) ou du violon (Marie Salvat) imitant l'accompagnement du luth de leurs pizzicati délicats. L'orgue (clavier électronique tenu par Étienne Manchon) est également convoqué lorsqu'il est question de l'église militante. Discrète mais toujours agissante, la musique de fait merveille : elle infiltre le propos et sert la dramaturgie, sélectionnant les couleurs (le bugle d'Hyppolyte De Villèle durant la sentence du juge), et suscitant les déferlements de la grosse caisse ou les longues résonances du tam embrasant l'espace qui viennent ponctuer certaines scènes à haute tension.

Abjurer ou brûler

La voix de Jeanne (Judith Chemla) menacée d'être brûlée se fait plus âpre, plus intense et rageuse tandis que, sur la vidéo, l'image des prélats, sous l'autorité de l'évêque de Beauvais, Monseigneur Pierre Cauchon (Jacques Bonnaffé), semble plus envahissante ; la caméra de Pierre Nouvel se rapproche des visages, zoome sur les peaux rougeaudes, vieillies et boursoufflées et se focalise finalement sur la tête de l'évêque, image insoutenable du représentant de l'autorité et du patriarcat à la voix douce et mielleuse par qui Jeanne meurt sur le bûcher : pas de flamme mais un tourbillon de fumée blanche qui fait disparaître l'héroïne dans une très belle scène finale aussi courte que fulgurante, magnifiée par la musique et les voix du chœur.

Crédit photographique : © Guy Delahaye

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