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À la tête du CCN Malandain Ballet Biarritz depuis 1998, Thierry Malandain quittera ses fonctions en décembre 2026. D'ici là, il multipliera les projets avec deux créations majeures en 2025 et de nombreuses tournées de ses pièces Les Saisons, notamment au 13ème art à Paris, et Marie-Antoinette, repris à l'Opéra Royal de Versailles.
ResMusica : Vous reprenez Les Saisons au 13e Art à Paris pour une longue série. Comment est née l'idée de ce spectacle, qui est votre dernière création en date, encore jamais montrée à Paris ?
Thierry Malandain : À l'origine, c'est une commande de Laurent Brunner, qui m'avait demandé d'associer Les Saisons de Vivaldi et de Guido. C'était la quatrième commande, après Cendrillon, La Belle et la Bête et Marie-Antoinette. J'aurais pu éventuellement en faire quelque chose de narratif s'il n'y avait eu que Vivaldi, mais j'ai finalement décidé d'en faire un mille-feuille, plutôt thématique. J'ai dû faire pas mal de coupes dans le Guido, qui dure une heure. Les musicologues ne savent pas qui a publié Les Saisons en premier, et les livrets se ressemblent étrangement.
Les Saisons de Vivaldi me semblaient très usées, car tellement connues, j'ai donc décidé de faire des Saisons d'aujourd'hui, pour Vivaldi, et une sorte de Saisons idéalisées pour Guido. L'écriture chorégraphique de Vivaldi est un vocabulaire plus actuel, tandis que Guido emprunte à la danse baroque.
RM : À l'Opéra royal de Versailles, c'est Marie-Antoinette qui revient une nouvelle fois. Comment expliquer un tel succès ?
TM : C'était encore une commande de Laurent Brunner, sans doute la plus difficile avec Cendrillon. C'est sûrement le ballet qui m'a demandé le plus d'efforts de préparation. J'ai trouvé une porte : l'Opéra royal a été édifié pour le mariage de Marie-Antoinette et Louis XVI, et j'ai décidé de fixer le ballet sur la vie de Marie-Antoinette à Versailles uniquement.
Je n'avais pas vraiment de sympathie pour Marie-Antoinette au début, mais c'est plutôt Louis XVI qui m'a attiré, car ce n'était pas le monarque que l'on nous vend. Il n'était pas à sa place, très mal dans sa peau. Grand, il a grossi très vite et boitait ; on l'appelait le dindon. Sa boiterie m'a touché, car j'ai pu me reconnaître un peu en lui, ayant boité toute ma vie. Cela m'a marqué, car je suis toujours obligé d'entrer par une dimension personnelle. J'ai fait le ballet que tout le monde attendait.
Dernièrement, nous avons remonté le ballet à Santiago du Chili, et la semaine prochaine, nous le remontons à Vienne. Les ballets narratifs, avec beaucoup de personnages, sont très compliqués, car à la fin, on ne sait plus qui est qui.
RM : Vous avez annoncé une nouvelle création pour le mois de mai à Biarritz. De quoi s'agira-t-il ?
TM : C'est un ballet sur la musique de Saint-Saëns, dont j'ai choisi la Danse macabre pour ouvrir le ballet, puis des mélodies pour orchestre. Dans le cycle de mélodies, il y a la même danse macabre, mais chantée. Ce sera un ballet d'une trentaine de minutes. À l'avenir, nous l'associerons au Boléro, un ballet qui figure déjà à notre répertoire, dans le cadre de l'année Ravel.
Cette création est liée à mon histoire à Biarritz. Avant mon installation, nous avions dansé un ballet sur Saint François d'Assise, qui ouvre sur des concertos pour deux pianos de Francis Poulenc. Je reprends la même pièce et, a priori, la même chorégraphie, en passant de 12 à 22 danseurs, pour faire danser tout le monde.
RM : La plupart de vos ballets engagent toute votre compagnie, qui compte 22 danseurs. Faites-vous parfois des plus petites formes ?
TM : Je n'ai pas fait beaucoup de petites formes avec peu de danseurs. Comme nous tournons beaucoup pour exister, nous ne faisons pas tant de créations que cela. Je suis obligé presque à chaque fois d'inclure tout le monde. Les 22 danseurs sont permanents. L'une des conditions de l'appel d'offres lancé pour le renouvellement de la direction du CCN Ballet Biarritz est le maintien du caractère permanent du ballet. Comme c'est un moment transitoire, cela agite les esprits, et tout le monde s'inquiète. Nous essayons de gérer la situation au mieux, et l'équipe est formidable. Tant que la succession ne sera pas nommée, chacun est dans l'incertitude. C'est une situation difficile à gérer émotionnellement.
« L'une des conditions de l'appel d'offres lancé pour le renouvellement de la direction du CCN Ballet Biarritz est le maintien du caractère permanent du ballet. »
RM : Vous prévoyez aussi de créer un autre ballet en septembre 2025 pour Le Temps d'aimer ?
TM : Finalement, nous allons reprendre La Chambre d'amour, le ballet que j'avais créé à mon arrivée à Biarritz, il y a 25 ans, et que nous avons très peu donné. J'avais lancé, il y a plusieurs mois, l'idée de faire Le Songe d'une nuit d'été, mais entre-temps, ma mère est décédée fin septembre. Je pensais être prêt, mais je ne l'étais pas. Cela m'a vraiment bouleversé. Je suis en train de me reconstruire. Je ne me sentais pas capable d'affronter la fantaisie et la féérie du Songe.
Avant Noël, nous étions à Madrid, et le décorateur de la plupart de mes pièces, qui vit au Chili, est venu une semaine à Madrid pour commencer à travailler sur le Saint-Saëns et sur le Songe. Le premier décor qu'il m'a montré était celui de La Chambre d'amour qu'il avait oublié. Pour moi, c'était un signe ! Les agents doivent maintenant renégocier les ventes du Songe, qui avait été beaucoup vendu.
RM : Vous êtes encore à la tête de la programmation du festival Le Temps d'aimer jusqu'à l'édition 2026. Comment se passe cette préparation ?
TM : Comme l'équipe du festival, qui était auparavant une association indépendante (Biarritz Culture), a désormais intégré le CCN Malandain Ballet Biarritz, je suis très entouré. Nous sommes au moins quatre à nous partager l'organisation. Un travail préparatoire est fait par chacun, et nous nous réunissons pour établir la programmation. Cette tâche est moins absorbante pour moi aujourd'hui, car je suis très bien secondé.
« Le fait d'aller dans l'espace public a beaucoup contribué au succès du Temps d'aimer. »
RM : En 25 ans, vous avez réussi à créer un véritable engouement populaire autour du festival Le Temps d'aimer et du Ballet Malandain Biarritz. Comment l'expliquez-vous ?
TM : Le ballet avait déjà cette dimension. Il y a quinze jours, nous avons dansé deux soirs à Bayonne pour les vœux avec des danses basques et des enfants qui tapaient des mains. Le public était très différent du public biarrot, très populaire.
Depuis 25 ans, nous avons toujours multiplié ce type d'initiatives et sommes allés chercher le public. Le fait d'intégrer le festival dans la compagnie a permis de renforcer cet aspect. Les digues ont lâché avec le changement de gouvernance de la mairie et de l'agglomération, ce qui permet de faire rayonner le festival dans tout le Pays basque.
L'an dernier, nous avons dansé dans les salles de pelote à l'intérieur du Pays basque. Tout le monde nous connaît, mais ne nous a pas forcément vus. On ne se rend pas compte de la réaction des gens qui voient de la danse très tardivement dans leur vie, comme cette vieille dame qui a vu pour la première fois un spectacle dans un village et veut désormais revenir nous voir.
Nous faisons beaucoup de répétitions publiques, limitées à 80 personnes, et elles sont prises d'assaut. Pour élargir le public, faut aller dans des lieux plus inattendus. Le fait d'aller dans l'espace public a beaucoup contribué au succès du Temps d'aimer. Il a fallu faire un gros travail, notamment auprès des enfants, car c'est par les enfants que l'on touche les parents. Aujourd'hui, toutes les générations se mêlent.
RM : La dimension pédagogique est-elle importante pour faire rayonner la danse ?
TM : Nous avons toujours fait cela, dès les six années passées en région parisienne, puis les six années à Saint-Étienne, et enfin à Biarritz. J'ai toujours été habitué comme danseur au Ballet de Nancy à aller vers les enfants et les classes. Ce qui était important pour Didier Borotra, le maire de Biarritz lors de mon arrivée dans la ville, c'était que la compagnie tourne et rayonne à l'étranger. Ce qui ne nous a pas empêché de faire un important travail pédagogique auprès des enfants. Ce travail auprès des enfants peut justifier l'argent que les élus donnent à la culture.
Par exemple, nous avons mis en place le Programme Planeta Danza qui touche 1500 enfants et adolescents et associe la danse et l'écologie, avec des associations environnementales comme Surfrider. Et dans le même temps, ils pratiquent la danse pendant toute l'année scolaire. L'an dernier, ils ont travaillé sur le ballet Noé, dont ils ont appris des phrases. Quand ils sont venus voir la pièce à la Gare du Midi, les élèves faisaient leur phrase dans la salle, en même temps que les danseurs sur scène, sans même attendre leur moment programmé à la fin du spectacle. La réception d'un spectacle par ces ados dans une salle vaut tout l'argent du monde.
« Aujourd'hui j'essaie toujours de faire mieux, mais à la fin je me retrouve toujours face à moi-même, car on est lié à ses propres capacités. »
RM : Vous avez créé la Fondation Thierry Malandain, envisagez-vous de poursuivre ses activités après votre départ de Biarritz ?
TM : Nous avions créé un fonds de dotation qui était censé gérer mon répertoire après. Puis je suis entré à l'Académie des Beaux-Arts, qui abrite des fondations. Nous avons donc fait en sorte que le fonds de dotation se transforme en fondation, qui soit administrée par l'Académie. L'un des rôles de la Fondation est d'aider à la recherche et à la publication d'ouvrages sur la danse. J'ai alimenté le fonds de dotation avec une partie de ce que je gagnais à l'extérieur. Ils m'ont proposé de créer la Fondation car il y avait une donatrice pour la danse à l'Académie. C'est un moyen pour les personnes qui le souhaitent de soutenir la danse. L'Académie passe son temps à aider les jeunes artistes, à travers des résidences et des prix. C'est déjà le cas pour la danse, ce sera le cas aussi à travers la Fondation.
RM : Comment voyez-vous l'avenir ?
TM : Pour l'instant, c'est un grand mur. On doit remonter Marie-Antoinette à Vienne à la demande d'Alessandra Ferri. Mes ballets pourront être dansés par d'autres compagnies, bien sûr. Mais je ne me vois pas créer une compagnie, non, et sans doute pas créer non plus. Je ne me suis jamais arrêté depuis l'âge de 18 ans et je ne sais pas ce qu'est que l'inactivité. J'ai 65 ans aujourd'hui. Créer dans le studio, c'est une chose, mais il y a aussi tellement de pression, car je n'ai pas le droit à l'erreur, il faut que le spectacle marche pour faire vivre la compagnie, et je n'en peux plus de cette pression. Je dessinai quand j'étais plus jeune. Peut-être redessiner et peindre me suffira, car il n'y aura pas de jugement. Aujourd'hui j'essaie toujours de faire mieux, mais à la fin je me retrouve toujours face à moi-même, car on est lié à ses propres capacités. J'aurai rêvé d'être meilleur. Face à cette impuissance à atteindre ses désirs, cette pause sera peut-être une libération ?
stupeur et admiration. stupeur car la décision incombe au ministère et non à l’artiste,immense chorégraphe et admiration pour toutes ses créations.