Betty Tchomanga : quatre portraits pour des Histoire(s) Décoloniale(s)
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Théâtre de la Bastille, Paris. 29-I-25. Dans le cadre du festival Faits d’hiver. Betty Tchomanga : Histoire(s) Décoloniale(s) – Portraits croisés. Mise en scène, chorégraphie et textes : Betty Tchomanga .Collaboration artistique et interprétation : Emma Tricard, Folly Romain Azaman, Dalila Khatir et Adélaïde Desseauve aka Mulunesh. Création lumières : Eduardo Abdala Création. Création sonore : Stéphane Monteiro. Scénographie et accessoires : Betty Tchomanga en collaboration avec Vincent Blouch. Construction : Émilie Godreuil. Costumes : Marino Marchand en collaboration avec Betty Tchomanga ainsi que Théodore Agbotonou (costume Folly) et Mariette Niquet-Rioux (masque Mulunesh). Stagiaire assistante à la mise en scène : Ariane Chapelet.
Conçue pour être représenté dans des établissements scolaires et les salles de classe, la série de quatre solos Histoire(s) Décoloniale(s) – Portraits croisés de Betty Tchomanga était proposée en intégrale au Théâtre de la Bastille dans le cadre de Faits d'hiver.
Cette longue et passionnante soirée de danse commence par le solo d'Emma qui plante le décor et l'histoire de la traite des esclaves vu de France. Ce solo inaugural de la série chorégraphique Histoire(s) Décoloniale(s) met en scène Emma, la cousine de Betty Tchomanga. Une table, une chaise, c'est tout ce qu'il faut à Emma pour installer son univers, symbolisé par le costume mappemonde qu'elle porte. Le visage ultra expressif d'Emma, et le style cartoonesque de sa gestuelle et de sa danse instaurent immédiatement un décalage avec l'histoire de la colonisation qu'elle essaye de raconter en accéléré. Le 8 janvier 1455 est la date clé qui démarre cette histoire de conquête, menée ensuite par Christophe Colomb qui débarque à Haïti. Emma fait remarquer que cela remet en cause la notion de découverte. Égrenant les dates fondatrices de l'histoire de la traite, sans jamais perdre de vue ce qui se passe sur les autres continents, elle croise l'histoire de la danse avec la naissance du ballet de cour. Émaillant son discours, la danse saccadée, au mouvement décomposé, interpelle. Déclinant son arbre généalogique, Emma Tricard, né à Bordeaux, assume le fait d'être une Française, héritière du système colonial, blanche et privilégiée, responsable du monde qu'elle nous invite à porter.
Le deuxième solo nous transporte en 1708 au royaume du Danhomè, sur les traces de la reine Tassi Hangbé, sœur jumelle du roi Akaba. La prêtresse à la voix de rossignol règne et crée l'armée des amazones du Danhomè jusqu'en 1711 où elle est détrônée et effacée de l'histoire. Dans son costume brodé de patchwork multicolore, figurant les dieux vaudou, Folly Romain Azaman égrène les noms et les actions des différents rois du Danhomè qui lui ont succédé. Exhortant le public à demander « Raconte » dès qu'il dit « Histoire », il alterne danse et chuchotements. Si le premier solo, celui d'Emma, était encore proposé dans un dispositif brut, proche des conditions de réprésentations scolaires, ce deuxième solo utilise la profondeur de scène du Théâtre de la Bastille pour ménager des effets scénographiques avec un cyclo et des cercles lumineux. D'un solo à l'autre, on perçoit la similitude de construction de ces portraits croisés, avec une partie introductive historique, faite de dates et de faits, puis une section autobiographique où chaque interprète se présente personnellement. Puis Folly incarne à lui seul tous les personnages divins ou mythiques qui composent le panthéon vaudou de ses ancêtres béninois, avant de chuter (très bien) et de passer le relais à Dalila Khatir pour le troisième solo, précédé d'une très bienvenue pause thé à la menthe, qui resserre les liens.
Personnalité solaire, Dalila Khatir est une femme qui a grandi dans une cité d'Aix-en-Provence. Née française en Algérie, elle mêle dans son récit histoire personnelle et histoire de la France et de l'Algérie. Pour la chanteuse à la présence forte et attachante, ce solo est l'occasion de faire revivre les membres de sa famille en France, comme en Algérie. Elle se fait la porte-parole de toutes les femmes en Iran, en Afghanistan ou ailleurs où la voix et l'expression est bafouée. Elle manie avec dextérité le drapeau français et le drapeau algérien, et montre tout ce que ces deux cultures entremêlées lui ont apporté en tant que femme et artiste. Entre voix d'or et joie de vivre, ce solo très personnel et jubilatoire est assez riche pour être présenté seul sur une scène en tournée.
Mulunesh, l'éthiopienne, n'a pas d'âge, née dans le seul pays n'ayant pas été colonisé, en Abyssinie, le royaume de Saba. Des quatre solos, c'est le plus chorégraphié, avec une esthétique qui emprunte à Bob Wilson pour la scénographie et une écriture chorégraphique qui se rapproche de celle développée par Betty Tchomanga dans Leçons de ténèbres, son précédent spectacle. Fraise blanche sur cou noir, danse syncopée, proche aussi de Marlène Monteiro Freitas. Moins narrative que les autres solos, la performance de Mulunesh y est époustouflante de netteté. Ce solo pourrait lui aussi être vu seul sur une scène. En voix off d'abord, puis munie d'un micro, Mulunesh devenue Adélaïde Desseauve, raconte sa vie d'orpheline adoptée par une famille française, devenue une jeune danseuse dont la parole est une arme et la danse, matinée de Krump, une rage.
À la fin de cet intégrale où danse et discours se font politiques, les quatre interprètes se rejoignent sur le plateau, manipulant à contre-jour les objets symboliques de leurs solos respectifs dans une puissante image collective.
Crédits photographiques : © Grégoire Perrier
Retrouvez notre entretien de Betty Tchomanga :
Betty Tchomanga, pour une série de portraits qui résonne avec son propre parcours
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Théâtre de la Bastille, Paris. 29-I-25. Dans le cadre du festival Faits d’hiver. Betty Tchomanga : Histoire(s) Décoloniale(s) – Portraits croisés. Mise en scène, chorégraphie et textes : Betty Tchomanga .Collaboration artistique et interprétation : Emma Tricard, Folly Romain Azaman, Dalila Khatir et Adélaïde Desseauve aka Mulunesh. Création lumières : Eduardo Abdala Création. Création sonore : Stéphane Monteiro. Scénographie et accessoires : Betty Tchomanga en collaboration avec Vincent Blouch. Construction : Émilie Godreuil. Costumes : Marino Marchand en collaboration avec Betty Tchomanga ainsi que Théodore Agbotonou (costume Folly) et Mariette Niquet-Rioux (masque Mulunesh). Stagiaire assistante à la mise en scène : Ariane Chapelet.