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Rouen. Théâtre des Arts. 30-I-2025. Francis Poulenc (1899-1963) : Le Dialogue des Carmélites (1957) opéra en 3 actes sur un livret de Georges Bernanos d’après la nouvelle de Gertrude Von Le Fort. Mise en scène : Tiphaine Raffier. Scénographie : Hélène Jourdan. Costumes : Caroline Tavernier. Lumières : Kelig Le Bars. Vidéo : Nicolas Morgan. Avec : Hélène Carpentier, Blanche ; Lucile Richardot, Madame de Croissy ; Axelle Fanyo, Madame Lidoine ; Eugénie Joneau, Mère Marie ; Emy Gazeilles, Sœur Constance ; Aurélia Legay, Mère Jeanne ; Alice Gregorio, Sœur Mathilde ; Jean-Fernand Setti, Le Marquis de la Force/Le Geolier ; Julien Henric, le Chevalier de La Force ; François Rougier, l’Aumonier ; Matthieu Justine, Premier Commissaire ; Jean-Luc Ballestra, Deuxième Commissaire ; Ronan Airault, Javelinot. Orchestre de l’opéra de Rouen/Normandie, Orchestre Régional de Normandie, Choeur Accentus/ Opéra de Rouen Normandie, direction : Ben Glassberg.
Coup d'essai, mais sûrement pas coup de maître pour Tiphaine Raffier qui signe, avec cette nouvelle production rouennaise des Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc, sa première mise en scène lyrique, servie par une distribution de jeunes chanteurs francophones soutenus par la lecture orchestrale tendue et orageuse de Ben Glassberg.
Loin de l'ascèse épurée et de l'esthétique délicate de la virtuose lecture d'Olivier Py et réduisant aux utilités le pesant contexte historique de la Terreur révolutionnaire de 1794 qui en supporte pourtant la dramaturgie, Tiphaine Raffier choisit de transposer ces Dialogues des Carmélites dans un cadre contemporain indéfini ; pourquoi d'ailleurs ? Quel intérêt ? Celui-ci ne semble pas évident à première vue… Quelques-uns s'y sont essayés avant elle (Dmitri Tcherniakov à Munich et Christophe Honoré à Lyon) avec des lectures autrement plus radicales, mais finalement, peu ont réussi à véritablement convaincre du bien-fondé de la démarche… Tiphaine Raffier ne fait, hélas, pas exception à la règle, restant dans un entre-deux inabouti centré sur la peur qui irrigue de bout en bout cette mise en scène tristement immanente, sans grâce ni ferveur, confinée dans une banale et morose horizontalité nourrie de décalages avec le livret, d'incohérences et d'anachronismes criants… En effet la juxtaposition sur le plateau d'une lecture théâtralement « contemporaine» et de « didascalies » relatant certains épisodes de la Révolution, de la Terreur et l'avènement de la guillotine, projetées sur un écran géant en fond de scène paraît peu probante et sans âme. Reconnaissons toutefois à Tiphaine Raffier le mérite d'une étude psychologique assez fine des personnages, d'une direction d'acteurs soignée agrémentée de quelques touches d'humour, mais en définitive, le compte n'y est pas ! Dès lors le douloureux parcours de Blanche, palpitant, émouvant et plein d'humanité, depuis la peur initiale jusqu'à l'acceptation finale de la mort dans le sacrifice et le martyre, sonne cruellement faux !
Si la scénographie d'Hélène Jourdan, pauvre et d'un réalisme glauque, et les costumes hideux et disparates de Caroline Tavernier ne favorisent ni le recueillement, ni la définition d'un espace sacré, il convient toutefois de reconnaître à cette mise en scène sans transcendance quelques beaux moments de théâtre comme l'agonie de la Prieure (magnifique Madame de Croissy de Lucile Richardot) à l'acte I, ou encore la confrontation entre Blanche et son frère, exaltée par un orchestre tout en nuances à l'acte II. En revanche la scène finale du supplice, se déroulant sur un plateau détrempé par la pluie, aussi intelligente soit elle car reprenant les termes du livret : « Il en est peut-être du péril comme de l'eau froide qui d'abord vous coupe le souffle et où l'on se trouve à l'aise dès qu'on y est entré jusqu'au cou », reste malheureusement assez décalée et dénuée d'émotion. Dommage !
Musicalement Poulenc sait ce qu'il doit à ses prédécesseurs : prosodie debussyste, héritage expressif du vérisme, éloquence de Massenet, réalisme de Moussorgski, pour n'en mentionner que quelques-uns. Ben Glassberg, à la tête d'un Orchestre de l'Opéra de Rouen Normandie haut en couleur, en explore toutes les facettes, notamment dans de superbes intermèdes musicaux. On regrettera, toutefois, que l'équilibre avec les chanteurs soit souvent compromis par un excès d'engagement, suspendu entre le bruit et la fureur, les obligeant bien souvent à forcer leur voix.
Confrontée à des prises de rôles, la distribution vocale ne fait appel, pour l'essentiel, qu'à des jeunes chanteurs francophones et talentueux. Hélène Carpentier (soprano) est une Blanche fragile, lumineuse et touchante ; Emy Gazeilles (soprano) campe une Constance toute de joie de vivre, de fraîcheur et de légèreté ; Eugénie Joneau (mezzo) est une Sœur Marie qui hésite entre compassion et autorité ; Axelle Fanyo (soprano) incarne une Madame Lidoine pleine de fougue aux aigus un rien sauvages, capable de distiller une émouvante douceur dans la confidence ; Lucile Richardot (mezzo) offre à Madame de Croissy une incarnation véritablement habitée, tant vocalement que théâtralement. Chez les hommes : Jean-Fernand Setti (baryton-basse) est un Marquis aimable à la projection généreuse et un geôlier brutal ; Julien Henric (ténor) fait valoir, en Chevalier, la beauté de son timbre et la souplesse de sa ligne de chant. Le Chœur Accentus/Opéra de Rouen Normandie est quant à lui sublime d'élévation dans l'Ave Maria, l'Ave Verum et le Salve Regina final.
Crédit photographique : © Caroline Doutre
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Rouen. Théâtre des Arts. 30-I-2025. Francis Poulenc (1899-1963) : Le Dialogue des Carmélites (1957) opéra en 3 actes sur un livret de Georges Bernanos d’après la nouvelle de Gertrude Von Le Fort. Mise en scène : Tiphaine Raffier. Scénographie : Hélène Jourdan. Costumes : Caroline Tavernier. Lumières : Kelig Le Bars. Vidéo : Nicolas Morgan. Avec : Hélène Carpentier, Blanche ; Lucile Richardot, Madame de Croissy ; Axelle Fanyo, Madame Lidoine ; Eugénie Joneau, Mère Marie ; Emy Gazeilles, Sœur Constance ; Aurélia Legay, Mère Jeanne ; Alice Gregorio, Sœur Mathilde ; Jean-Fernand Setti, Le Marquis de la Force/Le Geolier ; Julien Henric, le Chevalier de La Force ; François Rougier, l’Aumonier ; Matthieu Justine, Premier Commissaire ; Jean-Luc Ballestra, Deuxième Commissaire ; Ronan Airault, Javelinot. Orchestre de l’opéra de Rouen/Normandie, Orchestre Régional de Normandie, Choeur Accentus/ Opéra de Rouen Normandie, direction : Ben Glassberg.
Bonjour, je partage tout à fait votre analyse sur cette représentation des Dialogues des carmélites que j’ai vue à Rouen, ce 4 février. Comment peut-on faire une mise en scène aussi laide, inappropriée voire ridicule, si peu à la hauteur d’un thème, d’un livret et d’une musique sublimes qui suscitent une grande élévation spirituelle. J’en étais triste pour les chanteurs par ailleurs remarquables tant par leur jeu que leur voix, habillés n’importe comment et pas vraiment à leur avantage et qui ont dû se plier à cette mise en scène, dans ce décor infâme et terminer en pataugeant dans l’eau avant de revenir en peignoir saluer le public !!! Heureusement qu’il restait la musique, la qualité des chants et de l’orchestre et le livret pour sauver la soirée …