L’orchestre, chronique d’une mort annoncée

L’emploi des musiciens d’orchestre permanents a subi un important déclassement. Même si l’aura du musicien d’orchestre n’a jamais été équivalente dans la cité à celle du notaire, médecin ou avocat, être sous les feux de la rampe lui accordait un statut qui était renforcé au moins pour partie par les revenus qui étaient accordés. Après tout, sans jouer des Stradivarius il fallait bien qu’il acquière des instruments fort onéreux.

Un souvenir me revient. Un jour, ma mère, venant me chercher au cours de musique au lendemain d’un concours de fin d’année, devisait avec mon professeur. Le sujet était mon avenir, avais-je un avenir avec cet instrument peu connu du grand public ? Mon professeur de l’époque au vu de mes progrès et talents la rassura et la convainquit de réelles possibilités professionnelles pour moi au sein d’un orchestre. Quelques années plus tard, fraîchement diplômé du CNSM de Paris, ce même professeur me voyant passer les concours d’orchestre me demanda si je me présenterais au concours pour le poste qu’il libérait. Je lui fis une grande peine probablement car je lui répondis que non. Son poste oui, avais-je dis, mais pas le concours proposé. En effet mon professeur comme plusieurs de ses collègues avait un poste double : conservatoire et soliste à l’orchestre, qui malheureusement pour ses espoirs en moi n’était pas reconduit, seule la place d’orchestre était ouverte au recrutement.

Dans ces mêmes années, en 1980 le sénateur Michel Miroudot (1) pour la commission des affaires culturelles présente un long rapport sur les différentes institutions opéra, orchestre, ballet etc… en vue de la loi de finance pour 1981 qui fait apparaitre la grille de salaire des musiciens de l’orchestre de Paris.

• 13 078 F pour la catégorie 1
• 12 174 F pour la catégorie 2
• 11 382 F pour la catégorie 3
• 10 574 F pour la catégorie 4

Toujours pour l’orchestre de Paris le journal Le Monde du premier février 1992 titre « Les maladies endémiques de l’Orchestre de Paris » et mentionne un préavis de grève. Cet article fait état d’un salaire moyen des musiciens de 23 978 F par mois.

Enfin les actuelles procédures de recrutement à l’orchestre de Paris pour l’année 2024 affichent les rémunérations proposées en valeur de juin 2023.

• 4 418 € pour la catégorie 1
• 3 552 € pour la catégorie 4

Mais encore ? que faire de ces chiffres ?

En effet mélanger francs et euros, passé et présent ne mène à rien. Pour mettre en perspective tout cela, quoi de mieux que de le corréler avec la base de toute rémunération en France : le Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance – SMIC.  Ainsi il est possible de comprendre comment les salaires de musiciens d’orchestre se comportent dans le temps. Nous trouvons donc pour l’orchestre de Paris et pour faire au plus simple en une seule catégorie l’évolution de la rémunération rapportée au SMIC entre 1980 et 2023.

• 1^ère catégorie en 1980 5,64 fois le SMIC.
• 1^ère catégorie en 1992 4,16 fois le SMIC.
• 1^ère catégorie en 2023 2,52 fois le SMIC

Pour visualiser en termes d’euros et de pouvoir d’achat cette première catégorie pour l’orchestre de Paris, le calculateur de l’INSEE (2) donne les sommes suivantes :

En 1980 le salaire de 13 078 F est équivalent en 2023 à 6 393 € contre seulement 4 418 € proposés à l’embauche en 2024.

Ce qui conduit à poser la question suivante : Pourquoi cette perte de rémunération de plus de 30 % ?

Et ailleurs ?

Pour le reste du territoire un accord de salaires minimums dans les orchestres a été joint à la convention collective en 2004. Cependant ces salaires ne permettaient pas de normer les rémunérations minimales pour tous les orchestres français et encore en 2005, Avignon, Montpellier, Amiens et Rennes restaient en deçà des seuils fixés et des délais d’un à trois ans leurs furent accordés pour se mettre à niveau. Toutefois cela fixait une base pour les uns et un objectif pour les autres qui finira par être atteint. Cela donne :

• 2 990 € pour la catégorie 1
• 2 800 € pour la catégorie 2
• 2 700 € pour la catégorie 3

En suivant le modèle utilisé pour l’orchestre de Paris nous pouvons comparer l’évolution de ces minimas avec la situation en 2024 toujours en relation avec le SMIC.

• 2,33 fois le SMIC pour la catégorie 1 en 2004, contre 2,05 fois en 2024.
• 2,18 fois le SMIC pour la catégorie 2 en 2004, contre 1,93 fois en 2024.
• 2,10 fois le SMIC pour la catégorie 3 en 2004, contre 1,86 fois en 2024.

Triste constat

En effet cette relation des revenus Musiciens / SMIC montre un déclassement de ce métier. Et c’est tout autant le cas pour l’un des meilleurs orchestres de France qu’est l’Orchestre de Paris, que pour celui de province qui rémunère le moins bien ses musiciens. Et ces tendances décroissantes peuvent même être modélisées dans un graphique permettant de tracer des courbes qui permettent de prédire le moment où le salaire d’un musicien relevant des minimas de la convention collective sera payé au SMIC.

En prenant l’historique depuis 1980 de la rémunération de l’un de ces orchestres devant réajuster ses rémunérations en regard du minimum de la convention collective, la mesure tendancielle fait se rejoindre les courbes du SMIC et du salaire minimum conventionnel de la 3^ème catégorie en 2050.

Si rien ne change de façon manifeste, dans 25 ans un musicien violoniste dans un orchestre sera payé au SMIC !

Quelques concepts

Dans son ouvrage Métamorphoses du travail (1988) le philosophe André Gorz pose la question de la valeur du travail. Peut-on rémunérer un médecin à la hauteur des vies qu’il sauve ? Une vie n’ayant pas de prix c’est, constate-t-il impossible. Mais il est possible de payer un médecin suffisamment pour qu’il continue à garder foi en son métier.

Un jour de grève dans un grand orchestre américain frappé de baisses de salaire, les donateurs philanthropes de cet orchestre ont posé l’équation suivante : Attention ! Si la qualité de l’orchestre baisse nous ne donnerons plus d’argent.  Ce qui coupa court aux baisses et à la grève.

Quel sera le seuil de rémunération, avant d’atteindre le SMIC, où un aspirant musicien d’orchestre renoncera à affronter les 10 000 heures de travail nécessaires et à livrer son âme et ses émotions vers le public ?

Quel sera la qualité d’un orchestre payé au SMIC ?

Alors je me souviens de mon professeur au double poste, avec sa rémunération pour 60 heures d’orchestre et 64 heures d’enseignement au conservatoire, certes dans un orchestre modeste mais dans les années 80, il me dit un jour « je peux m’acheter une voiture citadine tous les mois ».

Malheureusement nous ne sommes pas dans un sketch de Fernand Raynaud.

Musicien ça eût payé, mais ça ne payera plus.

Liens de référence :

• 1. https://www.senat.fr/rap/1980-1981/i1980_1981_0099_01.pdf
• 2. https://www.insee.fr/fr/information/2417794

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de la rédaction.