Concertos pour violon Quad et Aufgang de Dusapin par Milan Pala

Le violoniste Milan Pala et le label Pavlik Records s'intéressent de manière suivie à Pascal Dusapin, et la publication des deux pièces concertantes Quad et Aufgang est un vrai apport à la discographie.

On avouera qu'on n'attendait pas la Slovaquie comme grande terre de défense de la musique française d'aujourd'hui, et de celle de Dusapin en particulier. Et pourtant ! Le label Pavlik Records, fondé en 1992 et qui signe avec cette parution une vraie réussite sur le plan éditorial, qualité sonore et interprétative.

Quad, « concert pour piano et petit orchestre », est considéré comme un des chefs d'œuvre de Dusapin. On a pu l'entendre à Paris en 2013 par ses créateurs la violoniste Hae Sun Kang et l'Ensemble Intercontemporain, qui en avaient donné la première en 1996, mais il n'était pourtant pas édité au disque. Bel apport donc de Milan Pala, surtout que la prise de son comme le jeu sont saisissants de présence. Le patronage de cette œuvre d'un peu plus de 20 minutes est pour le moins intimidant, puisqu'elle tire son titre d'une des dernières pièces de Samuel Beckett et qu'elle est dédiée à la mémoire de Gilles Deleuze, philosophe qui décéda au début de sa composition. Quad n'est pas un concerto mais un concert avec un soliste et quinze musiciens, et l'œuvre se développe sur le concept deleuzien du rhizome où il n'y a pas hiérarchie mais où chaque élément d'un ensemble peut influencer la direction collective. Il n'est heureusement pas nécessaire de comprendre le substrat intellectuel qui nourrit cette composition, pour faire l'expérience de Quad comme un voyage minéral et viscéral.

La seconde pièce au programme, Aufgang, est beaucoup plus heureuse au disque, puisqu'elle dispose de deux versions avec des solistes de premier plan, les créateurs Renaud Capuçon avec le Philharmonique de Radio France et Myung Wung Chung (Erato) et le toujours inspiré Pascal Rophé dans ce répertoire avec l'affutée Carolin Widmann  et l'Orchestre national des Pays de la Loire (Bis). Alors que nous avions exprimé une préférence pour la version Widmann/Rophé dans la mesure où elle nous paraissait monter dans des sphères plus éthérées, la version de Milan Pala avec l'Orchestre philharmonique slovaque dirigé par Marián Lejava poursuit cette avancée et l'air y est encore plus pur, mais sans sécheresse ni froideur. Enregistré en concert, la prise de son est superbe de présence et de relief, et surclasse les versions Erato et de Bis. On ne s'étonnera pas de cette étonnante familiarité avec l'univers de Dusapin et la musique d'aujourd'hui quand on saura que Lejava, né en 1976, a parmi ses maîtres Peter Eötvos ou Tristan Murail. Quant à Milan Pala, né en 1982, le compositeur et interprète qui a eu le plus d'influence sur lui est… Jean Guillou, et Pascal Dusapin n'est pas très loin derrière. Capuçon, Widmann, Pala, ces trois versions sont comme une ascension, où l'on pourra selon ses goûts préférer l'approche plus humaine d'un Capuçon, ou se hasarder à des sensations plus fortes.

Ces 58 minutes de défense ardente de la musique de Dusapin seront pour beaucoup une révélation quant à la qualité de la scène musicale slovaque pour la musique d'aujourd'hui.