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Paris. Opéra Bastille. 21-I-2025. Leoš Janáček (1854-1928) : La Petite renarde rusée, opéra en 3 actes sur un livret du compositeur d’après la fable de Rudolf Těsnohlídek. Reprise de la production : Dagmar Pischel. Décors : Nicky Rieti, Costumes : Elisabeth Neumuller. Lumières : André Diot. Chorégraphie : Françoise Grès. Avec : Elena Tsallagova, soprano (la Renarde) ; Paula Murrihy, mezzo-soprano (le Renard) ; Milan Siljanov, baryton-basse (le Garde-Chasse) ; Frédéric Caton, baryton (le Curé) ; Maria Warenberg, mezzo-soprano (le Chien) ; Eric Huchet, ténor (l’Instituteur/le Moustique) ; Slawomir Szychowiak, baryton (le Blaireau) ; Tadeáš Hoza, baryton (Le Vagabond) ; Se-Jin Hwang, ténor (l’Aubergiste) ; Anne-Sophie Ducret, soprano (la Femme de l’aubergiste) ; Irina Koplylova, soprano (une Poule) ; Marie Gauthrot, mezzo-soprano (la Femme du garde-chasse/la Chouette) ; Marie-Cécile Chevassus, mezzo-soprano (Le Pivert) ; Rocio Ruiz Cobarro, soprano(le Coq/le Geai). Prague Philharmonic Children’s Choir (chef de chœur : Petr Louženský), Chœur (chef de chœur : Alessandro di Stefano) et Orchestre de l’opéra national de Paris, direction : Juraj Valčuha
Une reprise ? Non, cette Petite Renarde rusée est une première. C'est effectivement la première fois qu'il nous est donné d'assister à un spectacle d'opéra sans metteur en scène. L'étonnement est d'autant plus grand que cette réalisation n'en figure pas moins au palmarès des belles réussites scéniques au répertoire de l'Opéra de Paris.
Parcouru à l'endroit, à l'envers, le copieux programme qui accompagne cette production reprise par Dagmar Pischel (mais reprise à qui ?) finit par livrer en creux le nom du metteur en scène de cette Petite Renarde rusée qui, après avoir vu le jour à l'Opéra de Lyon en l'an 2000, a été reprise au TCE en 2002, avant d'être présentée une première fois à Bastille en 2008. À l'hiver 2025, on se demande bien pourquoi il est fait mystère du concepteur de cette merveille…
Parlant à tous (réjouissant aréopage de têtes blondes à l'Opéra de Paris), La Petite Renarde rusée, composée au soir de sa vie, entre Katia Kabanova et L'Affaire Makropoulos, est le plus attachant des opus lyriques de Janáček. En un temps où l'humanité se fracture sur la question de sa supériorité sur la faune avec laquelle elle cohabite, nul doute que cet opéra qui, comme, plus tard, les géniaux Contes du chat perché de Marcel Aymé, donne la première place au règne animal (et le dernier mot à une minuscule grenouille !), est proprement visionnaire. Aussi sophistiquée que les grands titres du compositeur tchèque, la partition, adossée par tableaux très brefs aux épisodes du conte que Rudolf Těsnohlídek publia en 1920, possède un charme fou. Ses nombreux interludes sont au nombre des plus belles pages du compositeur qui les a par la suite réunis en une Suite d'orchestre. Déroulant en 90 minutes le fil des quatre saisons, La Petite Renarde rusée est une cure de jouvence. C'est ce que l'on ressent immédiatement à l'écoute de la direction de Juraj Valčuha dont le geste lumineux sait capter l'esprit d'une œuvre qui, sans donner de leçon, n'en est pas moins aussi une philosophie de vie : à l'évidence, le héros fatigué qui semblait ne pas se poser de questions au lever de rideau n'est plus le même au tomber d'icelui, presque lui aussi au soir de sa vie.
Davantage encore que sur les clichés de cette production inusée et inusable, l'on est émerveillé de voir en pétales et en tiges, bordant la voie ferrée qui sera le fil rouge de la représentation, la merveilleuse forêt de tournesols qui ouvre le premier tableau. Dans le sillage d'un escargot à la lenteur calculée, en sort tout un petit peuple grouillant : des libellules qui jouent du violon, une souris qui sort de terre, des moustiques qui aspirent à la seringue le sang d'un garde-chasse assoupi… Voici, au bout des rails, la ferme de ce dernier, veillée par un chien qu'on adopte sur le champ, de même que des poules désopilantes dans leur addiction à l'atavisme ménager, la palme revenant toutefois au coq « tous charmes dehors » exhibant ses attributs sans conscience du ridicule, et à la vache qui tient sa forêt de pis comme le plus précieux des sacs à main. L'œil a à peine le temps de détailler la mémorable garde-robe conçue par Elisabeth Neumuller que déjà tombe à nouveau le rideau de scène spécifique à cette production : illustré comme les albums du Père Castor de notre enfance, il rythme la succession des différents tableaux (on pousse jusqu'à l'auberge pour se rafraîchir et discuter le bout de gras) jusqu'à l'arrivée de l'hiver qui, dans une blancheur de linceul, scelle la mort soudaine de la renarde, aussi brutale que les deux coups de fusils assourdissants qui ébranlent jusqu'au second balcon de la salle.
Délicieusement mobile et gracieusement chantante, Elena Tsallagova, déjà présente sur le plateau en 2008, fait toujours figure de renarde idéale, Paula Murrihy lui donnant la plus vibrante des répliques dans le rôle du fringant Renard avec lequel elle croîtra et se multipliera. On ne perd pas au change avec le remplacement de Iain Paterson (il sera Wotan, suite à l'empêchement de Ludovic Tézier dans L'Or du Rhin version Calixto Bieito à venir) par Milan Siljanov, excellent baryton-basse qui fait ainsi ses débuts à l'Opéra de Paris. Eric Huchet est l'Instituteur, Frédéric Caton le Curé, Marie Gauthrot la Fermière et la Chouette, et Maria Warenberg un Chien qui sait se faire respecter. À l'Acte III, le Vagabond de Tadeas Hoza fait sensation par sa voix puissante et son jeu décidé. Les rôles les plus épisodiques permettent de mettre en avant quelques membres du chœur maison. Mêlé à celui-ci, le chœur d'enfants du Philharmonique de Prague achève de faire retomber en enfance même ceux venus en curieux découvrir le style du compositeur.
Si, pour rester en bonne compagnie animalière, une fourmi de dix-huit mètres ça n'existe pas, un opéra sans metteur en scène non plus. Et c'est heureux. C'est effectivement le providentiel curriculum vitæ de Nicky Rieti, l'imaginatif décorateur de ce superbe spectacle, qui vend la mèche en livrant (en creux, reprécisons-le) le nom du concepteur de cette petite merveille de Petite Renarde rusée fêtant son quart de siècle : André Engel.
Crédits photographiques : © Vincent Pontet
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Paris. Opéra Bastille. 21-I-2025. Leoš Janáček (1854-1928) : La Petite renarde rusée, opéra en 3 actes sur un livret du compositeur d’après la fable de Rudolf Těsnohlídek. Reprise de la production : Dagmar Pischel. Décors : Nicky Rieti, Costumes : Elisabeth Neumuller. Lumières : André Diot. Chorégraphie : Françoise Grès. Avec : Elena Tsallagova, soprano (la Renarde) ; Paula Murrihy, mezzo-soprano (le Renard) ; Milan Siljanov, baryton-basse (le Garde-Chasse) ; Frédéric Caton, baryton (le Curé) ; Maria Warenberg, mezzo-soprano (le Chien) ; Eric Huchet, ténor (l’Instituteur/le Moustique) ; Slawomir Szychowiak, baryton (le Blaireau) ; Tadeáš Hoza, baryton (Le Vagabond) ; Se-Jin Hwang, ténor (l’Aubergiste) ; Anne-Sophie Ducret, soprano (la Femme de l’aubergiste) ; Irina Koplylova, soprano (une Poule) ; Marie Gauthrot, mezzo-soprano (la Femme du garde-chasse/la Chouette) ; Marie-Cécile Chevassus, mezzo-soprano (Le Pivert) ; Rocio Ruiz Cobarro, soprano(le Coq/le Geai). Prague Philharmonic Children’s Choir (chef de chœur : Petr Louženský), Chœur (chef de chœur : Alessandro di Stefano) et Orchestre de l’opéra national de Paris, direction : Juraj Valčuha
Bien longtemps que je n’avais pas vu et entendu un spectacle aussi reussi à l’opéra de Paris