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Boulez, Bartók et Debussy à la Maison de la Radio

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Paris. Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique. 23-I-2025. Pierre Boulez (1925-2016) : Le Soleil des eaux ; Béla Bartók (1881-1945) : Concerto pour piano n° 3, Sz 119, BB 127 ; Claude Debussy (1862-1918) : Nocturnes, L. 98. Sarah Aristidou, soprano ; Jean-Efflam Bavouzet, piano. Chœur de Radio France (chef de chœur : Lionel Sow). Orchestre national de France, direction : Juraj Valčuha

« Boulez et les siens », pourrait-on intituler les concerts du centenaire de sa naissance, qui convoquent les compositeurs appréciés par ce chantre de la modernité et dont il a dirigé les œuvres. Comme encore ce soir, avec, au côté du Soleil des eaux, le Concerto n° 3 pour piano de Béla Bartók et Nocturnes de .

Le Soleil des eaux (1947-1948) que nous entendons aujourd'hui est la quatrième et dernière version de ce qui était à l'origine une pièce radiophonique, que eut l'ambition de transformer en œuvre souveraine. Non seulement le compositeur en fit une pièce pour soprano, chœur mixte et orchestre, mais encore, il adjoignit à « La Complainte du lézard amoureux » de René Char, texte étant à la source de la partition initiale, un second poème du même auteur : « La Sorgue ». Le thème de la nature et de l'écologie semble unir les deux parties ; en fait, Boulez, musicien avant tout, juxtapose deux parties bien différentes de caractère et dont le seul lien, imperceptible d'ailleurs, est la série de six sons les inaugurant toutes les deux, mais transposée au demi-ton supérieur dans la seconde… « La Complainte du lézard amoureux » se caractérise par son atmosphère assez sensuelle et onirique, entretenue par un tempo modéré et un mezzo-piano entrecoupé de moments vifs et saccadés. Quant au chant, quasi parlando, très souple et dont les inflexions suivent de près le sens du texte, il est entendu en alternance avec les instruments. Si la justesse et l'intonation de sont parfaites, on peut reprocher à la soprano un manque de puissance (on ne l'entend plus sous les interventions du chœur dans « La Sorgue »), une diction imprécise et un certain détachement vis-à-vis du drame. Il est vrai que ce rôle est difficile et qu'Elizabeth Atherton l'a magnifiquement tenu en 2005 sous la direction du Maître… Après le lyrisme élégiaque du lézard transi, place à la violence naturelle d'une rivière à laquelle s'adressent directement ses pêcheurs tout au long des onze versets psalmodiés. C'est le chœur qui, tantôt divisé en pupitres, tantôt au complet, tantôt modulant bouche fermée, tantôt chantant avec beaucoup de fougue, a la première place ici. L'orchestre commente lorsqu'il est divisé et conclut s'il fonctionne par grands blocs ou en tutti. Sous la baguette de , les deux forces se complètent ou se mêlent excellemment .

Une ardeur plutôt joyeuse enflamme les trois mouvements du Concerto pour piano n° 3 (1945) de Béla Bartók, admirablement porté par un très investi et dont le jeu nuancé souligne la transparence. Partenaire idéal de l'orchestre, ce pianiste au jeu très percussif et ascétique épouse parfaitement une partition riche de réminiscences diverses mais qui va tout droit. Malgré le raffinement de son écriture, on peut souscrire au jugement de au sujet de cet ultime ouvrage, qu'il jugeait mineur et qui soulignait un « déclin de la pensée » chez le dernier Béla Bartók. Le bouillonnant pianiste a la bonne idée d'entretenir la flamme en offrant en bis le Prélude en la mineur (1913) de Maurice Ravel et la « Toccata » de son Tombeau de Couperin – qu'il enchaîne ! Une interprétation là encore tonique et ciselée qui réjouit l'auditoire.

Le programme du concert précise que dirigea plus de cent fois Nocturnes (1892-1899) de . Il faut effectivement un chef très précis, mais sans sécheresse métronomique, et un orchestre capable de rendre la limpidité cristalline de cette musique, inspirée du peintre américain James Whistler, pour que son raffinement extrême ne devienne un bain émollient. Songeons au flottement qu'entretiennent les quintes et les tierces parallèles, à la langueur de l'obsédant et statique cor anglais dans « Nuages », à l'ivresse joyeuse et légère de « Fêtes », à l'arabesque du motif des vagues de « Sirènes ». Songeons aussi aux thématiques impersonnelles, voire inhumaines : celles des éléments naturels, que ce soit le ciel ennuagé ou la mer ; celle de la séduction féminine des « Sirènes », voix sans paroles de l'Océan ; celle encore du chant populaire dans « Fêtes »… Bref, à tout cet univers gracieux et insaisissable au point d'avoir été qualifié d'androgyne. Mais ce soir, le pari est tenu par l' et  !

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