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Claudia Chan fête avec panache les Italiens de notre temps

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« Toccare ». Gian Francesco Malipiero (1882-1973) : Bianchi e neri (1964) ; Sylvano Bussotti (1931-2021) : Musica per amici – frammenti al pianoforte per danza di carattere (1971) ; Francesco Filidei (né en 1973) : Preludio (2004), Suite (Toccata, Notturno, Garibaldi’s little rock [1997]), For Claudia (2023) ; Salvatore Sciarrino (né en 1947) : Piano Sonata n°2 (1979-1983) ; Giulia Lorusso (née en 1990) : kemò-vad (2021) ; Simone Cardini (né en 1986) : Restare non ha luogo (2020). Claudia Chan, piano. 1 CD b.records « collection Royaumont ». Enregistré en public le 2 octobre 2023 à la Evangelischen Erlöser-Kirchengemeinde Bad Godesberg, à Bonn. Notice de présentation en français et anglais, entretien avec Claudia Chan. Durée totale : 67:00

 

Bis repetita placent ! Toccare, le deuxième CD de Claudia Chan chez B-Records, aborde le répertoire italien pour piano solo, de la seconde moitié du XXe siècle jusqu'aujourd'hui. C'est encore ici un engagement total de la musicienne pour son instrument et pour la musique contemporaine dans sa diversité. Une séduction que relève la prise de son. Aussi Toccare ne peut-il que… toucher !

Dans un souci pédagogique et d'agrément, le disque, enregistré en public, suit une progression chronologique, commençant par deux créations d'« anciens », tout d'abord Bianchi e neri (1964) de (1882-1973). L'hommage à Debussy et son ouvrage pour deux pianos intitulé En blanc et noir (1915) semble évident. Mais tandis que ce dernier est alors en train d'inventer un nouveau langage, s'affranchissant de toute convention formelle, abandonnant le développement traditionnel, fragmentant les thèmes et valorisant la couleur et la sensation dans un dessin toujours bien découpé, Malipiero, compositeur hors temps, regarde vers le passé et compose en citant. D'ailleurs, ici se perçoivent plutôt des réminiscences de la Suite bergamasque. Délicatesse du motif qui s'avance en hésitant, agrégations complexes des masses harmoniques, climat de somnolence avec ses sons assourdis entrecoupés de brusques réveils ; objectivité, c'est-à-dire absence de médiation symbolique entre la nature et la sensibilité d'un moi romantique… : autant de traits communs aux deux musiciens. L'interprétation de magnifie par sa clarté en demi-teinte – dans une articulation qui n'exagère ni les contrastes ni les ruptures et qui ne noie pas les accords serrés – l'atmosphère brouillardeuse dans laquelle baigne ce « Blanc et Noir ».

Changement d'esthétique avec Musica per amici – frammenti al pianoforte per danza di carattere (1971) de (1931-2021), manifestement influencé par les recherches sérielles du monde germanique. Une musique plus énergique et moins dans la succession temporelle que celle de Malipiero, davantage tournée vers le surgissement fragmentaire de l'instant (le titre est éloquent), et en même temps vers une perception du morceau dans son ensemble, telle une mosaïque hantée par le silence ou bien l'espace qu'elle ouvre. Une musique qui s'écoute elle-même dans un dispositif question-réponse ou proposition-écho. L'art de la nuance de l'interprète fait merveille.

Preludio (2004), Suite for piano (1997), For Claudia (2023) : la pianiste témoigne dans la notice de ce que les créations de (né en 1973), l'ami et partenaire fidèle rencontré en 2018 au Festival de Royaumont, « forment le cœur de l'album ». Et ce qui est au cœur de ces pièces, c'est la perception d'un piano détourné des conventions et réduit aux crépitements et mugissements de sa mécanique. En dehors de rares touches enfoncées presque classiquement et qui permettent de reconnaître l'instrument, ne s'entendent plus en effet que des bruits sans hauteur identifiable provoqués par le toucher (toccare toujours) du clavier (avec les ongles semble-t-il), des cordes, du couvercle et du meuble, comme le résultat de l'activité aussi secrète qu'intense d'une source non reconnaissable à la simple audition. On peut se rappeler le cliquetis nerveux des doigts sur l'ordinateur ou bien le mouvement « Balancement 1 » des Variations pour une porte et un soupir de Pierre Henry. L'enjeu de ce geste radical est sans doute le renouvellement de l'écoute et aussi de la notion d'œuvre.

domine parfaitement l'étonnante Piano Sonata n°2 (1979-1983) de (né en 1947), dont l'énergie permanente et toute percussive est entretenue par la répétition d'une brutale affirmation : la saccade de sons aux deux extrêmes du clavier suivie d'un « commentaire » étouffé de deux-trois notes descendant jusqu'au plus grave. Surgissement brusquement interrompu par un long silence. Ni progression ni véritables développements ! Ici, ce ne sont qu'irruptions d'éléments à priori indépendants et fortuits, mais qui peuvent revenir dans une forme cyclique sans la « paix » d'une résolution : la saccade initiale clôt la pièce.

Dans kemò-vad (2021), « Danser dans le vent », de (née en 1990), l'exécutante fait sonner un tout autre piano, préparé il est vrai et beaucoup plus caressant. Ici encore, le toucher sculpte le son et cherche à exploiter dans un rapport physique très personnel certaines possibilités de l'instrument, dont l'énorme puissance est à l'évidence volontairement maîtrisée. Dans cette assez longue méditation orientalisante, ce sont plutôt les harmonies et leur résonance par sympathie qui sont mises en valeur et en scène.

Une autre confidence, un autre piano sensible, tremblant comme une flamme, économe et très résonant se font entendre dans Restare non ha luogo (2020) de (né en 1986). Le compositeur a précisé que cette œuvre, dont le titre signifie « Le séjour n'a pas eu lieu », interroge les contraires proximité-distance, mouvement-pause, similitude-différence… et le hiatus perpétuel qui ne nous offre pas de réponse, mais nous invite seulement à suivre notre désir. Celui d'entendre un très bel opus sous les doigts experts de est parfaitement comblé !

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« Toccare ». Gian Francesco Malipiero (1882-1973) : Bianchi e neri (1964) ; Sylvano Bussotti (1931-2021) : Musica per amici – frammenti al pianoforte per danza di carattere (1971) ; Francesco Filidei (né en 1973) : Preludio (2004), Suite (Toccata, Notturno, Garibaldi’s little rock [1997]), For Claudia (2023) ; Salvatore Sciarrino (né en 1947) : Piano Sonata n°2 (1979-1983) ; Giulia Lorusso (née en 1990) : kemò-vad (2021) ; Simone Cardini (né en 1986) : Restare non ha luogo (2020). Claudia Chan, piano. 1 CD b.records « collection Royaumont ». Enregistré en public le 2 octobre 2023 à la Evangelischen Erlöser-Kirchengemeinde Bad Godesberg, à Bonn. Notice de présentation en français et anglais, entretien avec Claudia Chan. Durée totale : 67:00

 
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