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Barbara Hannigan et Bertrand Chamayou convoquent anges et déesses à la Cité de la Musique

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Paris. Cité de la Musique. 18-I-2025. Olivier Messiaen (1908-1992) : Chants de Terre et de Ciel. Alexandre Scriabine (1872-1915) : Poème-Nocturne op.61 ; Vers la Flamme. John Zorn (né en 1953) : Jumalattaret (Déesses). Barbara Hannigan, soprano. Bertrand Chamayou, piano.

et ont immergé le public de la Cité de la Musique dans les univers spirituels et mystiques d', et . 

Chants de Terre et de Ciel sont six chants d'amour à dimension spirituelle dédiés par à sa femme Justine Delbos, surnommée « Mi » et à son fils Pascal, où il est question outre de terre et de ciel, de silence et d'anges, de mort et de résurrection. Évocations de l'épouse (Bail pour Mi) et de l'enfant nouveau-né (Danse du bébé-pilule et Arc-en-ciel d'innocence), le cycle, entre expressions de tendresse et d'exultation, porte les couleurs tantôt délicates, rêveuses et mystérieuses, tantôt éclatantes et jaillissantes des harmonies si particulières du compositeur que le piano de déploie avec splendeur. Dessus vient se poser la voix de , qui, gracile et presque blanche dans les deux premiers chants, s'épanouit dans les suivants, le timbre et la projection libérés, ouvrant son éventail de couleurs. La chanteuse va au bout de l'expressivité, démonstratrice dans toute l'étendue de ses nuances, notamment dans les longs mélismes de l'Alleluia où son engagement vocal est à son comble. On regrette seulement que le beau texte écrit par Messiaen soit si peu intelligible. 

Intermède pianistique ensuite avec deux pièces d' appartenant à sa période mystique, celle des ultimes années de sa vie, jouées par . Les nombreuses didascalies écrites par le compositeur sur la partition du Poème-Nocturne opus 61 (« avec une grâce capricieuse », « comme une ombre mouvante », « avec une volupté dormante »…etc) s'entendent dans le jeu du pianiste, sa façon d'en restituer les harmonies glissantes, les évanescences, les motifs fuyants telles des fumerolles vers le grave du piano « comme en un rêve »… créant une atmosphère des plus troublantes et étranges. Il sort de l'obscurité Vers la flamme, l'amenant progressivement jusqu'à son point d'incandescence extrême, jusqu'à ses trilles extatiques, jusqu'au sommet de  son « accord mystique » égrainé avec intensité. 

rejoint le pianiste sur scène, cette fois vêtue d'une robe aux couleurs de la Finlande (blanche et bleue) pour chanter le cycle de mélodies Jumalattaret (Déesses), composé par sur des textes de l'épopée finlandaise du Kalevala à la gloire de neuf déesses issues du chamanisme sami (peuple autochtone du nord du pays). Depuis sa rencontre avec le compositeur américain en 2015, qui lui avait adressé sa partition comme on lance un défi, la chanteuse n'en est pas à sa première interprétation de sa musique qui l'accompagne régulièrement – Zorn, depuis, a écrit pour elle cinq autres œuvres. Et il faut une artiste de son expérience et de sa trempe pour affronter et assumer vocalement ce cycle redoutable sollicitant une tessiture de grande étendue et dont la pyrotechnie spectaculaire et à la limite du réalisable suppose une certaine dose d'héroïsme de la part de l'interprète. Acrobaties en tous sens, voix parlée, chantée, criée, onomatopées, vocalises, participent d'une théâtralité omniprésente, voire envahissante. La sensualité toute en charme de la Déesse du Soleil (premier chant) est vite engloutie par elle. La musique de Zorn laisse dubitatif. Le compositeur fait feu de tous bois, usant de différents modes de jeu, convoquant différents genres empruntés à plusieurs esthétiques à la mode ostensiblement affichées ici au piano. Effet patchwork qui questionne sur l'unité du cycle, son rapport à sa source inspiratrice originelle, et surtout sur le style personnel du compositeur, qui, s'il existe, est bien difficile à cerner. On est certes impressionné par la performance, l'énergie, diverti par la théâtralité… mais au bout du compte, on reste sur notre faim quant à la profondeur et la force réelle du propos musical. 

Les deux artistes qui ont admirablement défendu ce programme par leur talent et leur complicité, reçoivent à juste titre du public des manifestations d'enthousiasme qui leurs valent de nombreux rappels sur scène. 

Crédit photographique © Vincent Beaume

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