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Lille. Opéra. 18-I-2025. Karlheinz Stockhausen (1928-2007) : Montag aus Licht, scènes des actes II et III. Musique, livret, action scénique et gestes : Karlheinz Stockhausen. Mise en scène, scénographie, costumes : Silvia Costa. Création vidéo : Nieto, Claire Pedot. Lumières : Bertrand Couderc, Lila Meynard. Projection sonore : Florent Derex. Réalisation informatique musicale : Étienne Démoulin, Aurélie Martin, Augustin Muller, Romain Vuillet. Avec : Iris Zerdoud, cœur de basset, cor de basset ; Claire Luquiens, ave, flûte ; Alice Caubit, busi, cor de basset ; Joséphine Besançon, busa, cor de basset ; Pia Davila, muschi, soprano ; Élise Daubié, Chloé Dufour, Coralie Hedouin, figurantes. Orchestre moderne (Bianca Chillemi, Sarah Kim, Alain Muller, claviers ; Akino Kamiya, percussions) ; Solistes du Trinity Boys Choir, direction : Nicholas Mulroy ; Jeune chœur des Hauts-de-France, direction : Pascale Diéval-Wils ; Chœur de l’Orchestre de Paris, direction : Richard Wilberforce. Le Balcon, compagnie en résidence à l’Opéra de Lille, direction musicale et artistique : Maxime Pascal
Première journée du cycle « de lumière » de Karlheinz Stockhausen, Montag aus licht, la plus ample et la plus polyphonique des sept, est créée partiellement à l'Opéra de Lille par les forces du Balcon et son chef Maxime Pascal.
Les délais sont tenus par la compagnie du Balcon qui aborde en 2025 le sixième opéra du cycle Licht. Sur la scène lilloise, les deuxième (scènes 3 et 4) et troisième actes du « Lundi de lumière » sont donnés en création (2h) avant l'intégralité de la Journée (près de 4h) prévue à la Philharmonie de Paris à l'automne prochain.
Le jour d'Ève
Amorçant la grande spirale de Licht en sept journées, Montag aus Licht est écrit par Stockhausen entre 1984 et 88, après le Jeudi et le Samedi de Lumière. Ces trois premiers opéras présentent les trois « principes » ou personnages surhumains de la cosmogonie Licht, Ève, Michaël et Lucifer. Montag aus Licht célèbre Ève, la mère cosmique de l'humanité, entre Marie, mère du Christ, et Inanna, déesse sumérienne de la sensualité et de la fertilité. Selon la codification attachée à chaque jour de la semaine par le compositeur, la couleur du Lundi est le vert, ses qualités spirituelles sont la cérémonie et la magie, son corps céleste la lune et l'élément associé à Ève est l'eau.
Ainsi en va-t-il du décor conçu par Silvia Costa qui signe également la mise en scène et les costumes. Selon les indications de Stockhausen, Montag se déroule sur une plage. Sur le plateau lillois sans fosse, une barrière de bois blanc cerne « l'aire de jeu » tandis qu'Ève, dans la position du bouddha et une lumière irradiante, trône au sommet d'un phare maritime, entre ciel et terre. Tout comme le symbole graphique du cercle qui s'inscrit sur le plateau, la lune sera omniprésente et le bleu de la mer signifié par l'image d'un petit aquarium flottant dans l'espace durant l'acte II.
Plus rituel que dramatique
Il n'y a pas véritablement de livret qui raconte une histoire dans le « Lundi de lumière » mais des mots-symboles, des chiffres (de 1 à 7) et des textes de prière (hymnes) chantés en allemand (avec les surtitres) par des chœurs qu'accompagne « l'orchestre moderne », soit trois claviers électroniques et un set de percussions résonnantes placées dans les loges attenantes au plateau.
L'opéra débute (scène 3 de l'acte II) par des cris de nouveau-né. Ève, enceinte, met au monde les sept enfants « de la semaine » fêtés joyeusement par le chœur (merveilleux solistes du Trinity Boys Choir) et la voix de la soprano Pia Davila. Avec leurs couleurs respectives, toutes dans des tons pastels, les garçons s'alignent progressivement en fond de scène avant de chanter chacun à leur tour l'hymne de leur jour. Un tulle a été placé en bord de plateau pour la projection d'images en 3D (celles de Nieto et Claire Pedot), couleurs et paysages luxuriants qui abondent le récit des enfants. Le tulle est relevé dans la scène 4 conduite par Cœur de basset, l'héroïne du « Lundi de lumière » et incarnation d'Ève (formidable Iris Zerdoud) avec son cor de basset, l'instrument correspondant au registre grave de la « formule d'Ève », selon le code génétique musical de Licht.
L'écriture est d'une liberté et d'une virtuosité folles, dont s'imprègne depuis fort longtemps la musicienne qui doit tout jouer par cœur ! La jeune femme « se démultiplie », comme par magie, en trois autres interprètes, partageant jeu et chorégraphie, sensualité sonore et habile polyphonie : autant de figures aussi élégantes qu'harmonieuses dessinées par les instruments et les corps dans la promesse d'une extase amoureuse…
Unité cosmique
Dans l'acte III, l'aquarium a disparu, remplacé par le sigle d'une planète mise à côté de la lune. Les garçons ont grandi et chantent avec leur partition (chœur de l'Orchestre de Paris), voix graves et litaniques en lien avec le cor de basset.
Plus fringante que jamais, Iris Zerdoud réapparaît en costume vert avec un miroir en forme de cœur au-dessus de la tête. Elle se donne en spectacle devant les chanteurs alors qu'une flûte alto, qu'on ne voit pas encore, s'interpose : dans la scène 1, Cœur de basset rencontre son reflet en la présence de Ave (miroir d'Eva). La flûtiste (non moins virtuose Claire Luquiens) est déguisée en jeune homme et engage avec sa partenaire un duo (entre souffle et son) applaudi par le chœur d'hommes. Ce dernier s'éclipse ainsi que Cœur de basset, laissant Ave et le Jeune Chœur des Hauts-de-France (superbement préparé par Pascale Diéval-Wils) occuper pleinement le plateau. Le rituel bascule alors dans le conte, avec l'emprunt au personnage de Hamelin des frères Grimm.
L'imagination du génie de Kürten opère dans la scène 2 (Le Ravisseur d'enfants) où voix et rires d'enfants, instances bruitées, souffle et énergie de la flûte, sonorités célestes des claviers électroniques et percussions-signaux convergent en une totalité qui subjugue. La scène est rehaussée par les images des deux vidéastes jouant avec des nuées d'oiseaux et leurs facétieuses métamorphoses. Emmenés par leur coryphée, les enfants chantent un hymne angélique qu'ils répètent à l'envi sous l'ornementation-oiseau du piccolo tandis que leurs voix fusionnent progressivement avec les bruits de nature et les cris des volatiles…
L'équipe est magnifique, l'équilibre sonore idéal et la participation des enfants radieuse dans l'écrin de la salle lilloise.
Crédit photographique : © Hervé Escario
Lire aussi : nos autres articles relatifs au cycle Licht de Karlheinz Stockhausen débuté en 2018 par Maxime Pascal et son orchestre Le Balcon
également les actes I et II de Donnerstag (jeudi) en 2020
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Lille. Opéra. 18-I-2025. Karlheinz Stockhausen (1928-2007) : Montag aus Licht, scènes des actes II et III. Musique, livret, action scénique et gestes : Karlheinz Stockhausen. Mise en scène, scénographie, costumes : Silvia Costa. Création vidéo : Nieto, Claire Pedot. Lumières : Bertrand Couderc, Lila Meynard. Projection sonore : Florent Derex. Réalisation informatique musicale : Étienne Démoulin, Aurélie Martin, Augustin Muller, Romain Vuillet. Avec : Iris Zerdoud, cœur de basset, cor de basset ; Claire Luquiens, ave, flûte ; Alice Caubit, busi, cor de basset ; Joséphine Besançon, busa, cor de basset ; Pia Davila, muschi, soprano ; Élise Daubié, Chloé Dufour, Coralie Hedouin, figurantes. Orchestre moderne (Bianca Chillemi, Sarah Kim, Alain Muller, claviers ; Akino Kamiya, percussions) ; Solistes du Trinity Boys Choir, direction : Nicholas Mulroy ; Jeune chœur des Hauts-de-France, direction : Pascale Diéval-Wils ; Chœur de l’Orchestre de Paris, direction : Richard Wilberforce. Le Balcon, compagnie en résidence à l’Opéra de Lille, direction musicale et artistique : Maxime Pascal