Destins russes à Paris, un siècle au conservatoire Rachmaninoff
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Destins russes à Paris, un siècle au Conservatoire Rachmaninoff 1924-2024. Erwan Barillot et Arnaud Frilley. Avant-propos par Nikolaï Lugansky. Les Editions des Syrtes. 420 pages. 26 €. Octobre 2024
Au cours de la longue histoire des relations de la Russie et France, les périodes de fascination mutuelle, d'alliances et de conflits se sont succédé. Dans ce temps long, la renaissance depuis 2020 du Conservatoire Rachmaninoff à Paris est l'occasion de dresser un panorama de 100 ans de présence russe artistique (mais pas que) à Paris.
Si la guerre en Ukraine, qui devrait entamer sa quatrième (et dernière ?) année en février 2025, a jeté un froid sibérien sur les relations entre la Russie et le monde occidental, le conservatoire Rachmaninoff établi rive droite le long de la Seine avec vue sur la tour Eiffel, n'en affirme pas moins sa politique de renaissance, amorcée en 2020. L'ouvrage « Destins russes à Paris, un siècle au Conservatoire Rachmaninoff 1924-2024 » co-écrit par le directeur Arnaud Frilley et Erwan Barillot en est l'illustration concrète autant qu'elle est un outil de défense de la valeur de l'apport russe, sa communauté et sa culture. Après tout, le Conservatoire n'a-t-il pas été créé en 1924 par les Russes blancs ayant fui la jeune URSS ? Un ADN d'exilés qui aura été sa marque de fabrique, même si au fil des décennies les Russes « rouges » se mêleront progressivement aux activités du Conservatoire.
L'ouvrage de plus de 420 pages, soigneusement imprimé, est sans ambiguïté destiné à faire découvrir et défendre la diversité et la richesse d'une communauté expatriée russe et plus généralement de culture russe dans la France de la décennie 2020. C'est d'ailleurs l'objet même des Éditions des Syrtes. Comme promis par le titre, on peut suivre le rôle qu'ont eu des personnalités fameuses et directement impliquées : Serge Rachmaninoff dans les premières années (le Conservatoire qui s'appelait initialement le Conservatoire de l'Université populaire russe et avait été créé par Serge Volkinski, ancien directeur des Théâtres impériaux de Russie, prendra son nom en 1953) et Serge Lifar qui y crée une classe de ballet en 1951 et sera président de 1962 à 1967, mais aussi tout un monde d'artistes, de professeurs, de riches mécènes de culture russe (la princesse Varychkine, amie de Lifar, sauva le Conservatoire en 1951), mais pas que. Le haut fonctionnaire Marcel Paon sera dans les années 1920 et 30 un interlocuteur éminent des musiciens russes, leur attribuant via ses fonctions à la Société des Nations des subsides essentiels et légalisant les papiers des émigrés ; ou Jacques Chirac, qui, en tant que maire de Paris fit acheter en 1986 par la ville le bâtiment du Conservatoire pour qu'il n'en soit pas expulsé !
Autres destins : les musiciens juifs trouvèrent refuge au Conservatoire durant la Seconde Guerre mondiale. Ainsi Michel Tagrine, élève du Conservatoire, premier prix de violon du Conservatoire national : interdit de concert durant l'Occupation car « demi-juif », il put encore donner des concerts au Conservatoire avec sa sœur en 1942-43. Il s'engagea pour la résistance et tomba « Mort pour la France » au 17 rue du Faubourg-du-Temple après avoir fait dérailler un train allemand sur la petite ceinture près des Buttes-Chaumont. Durant toute la guerre, le Conservatoire abrita la famille Kalioujny, dont le fils Sandrik devint danseur étoile de l'Opéra de Paris en 1947, puis professeur des étoiles du ballet de 1970 à sa mort en 1986. Un DVD » La classe d'Alexandre Kalioujny » témoigne de son art et de son influence.
La réputation du Conservatoire tient aussi à sa cantine, qui proposait à prix modique des plats typiquement russes, et accueil à l'avenant… Si l'institution était focalisée sur l'art et était apolitique, l'ouvrage révèle ici ou là l'existence de tel espion, l'intérêt des agences états-uniennes pour le lieu et sa population, et ne fait pas mystère qu'encore aujourd'hui il peut se targuer d'avoir pu placer les événements de son centenaire sous le haut-patronage du président de la République Emmanuel Macron, ou de bénéficier de l'aide précieuse de personnalités telles que Thierry Dassault et le groupe industriel Marcel Dassault.
Le livre, richement illustré à partir des milliers de documents d'archives amassés au fil des décennies, a le mérite de lever un pan de voile sur une communauté musicale et de danse majeure et malgré tout relativement méconnue.
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Destins russes à Paris, un siècle au Conservatoire Rachmaninoff 1924-2024. Erwan Barillot et Arnaud Frilley. Avant-propos par Nikolaï Lugansky. Les Editions des Syrtes. 420 pages. 26 €. Octobre 2024
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