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Incursion inachevée de Sergei Redkin dans Prokofiev

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Sergueï Prokofiev (1891-1953) : « Invasion ». Sonates pour piano n° 6 et 7. Sarcasmes n° 1 à 3 op. 17. Sergei Redkin, piano. 1 CD Fuga Libera. Enregistré au Studio Teldex Berlin, en mars 2024. Notice de présentation en anglais et français. Durée totale : 58:00

 

Deuxième Prix du Concours Reine Elisabeth de Belgique en 2021, a choisi Prokofiev pour son premier disque qui paraît chez Fuga Libera. Un album en demi-teinte dans lequel le pianiste offre des lectures parfaitement appropriées pour un concours…

Les Sonates n°6, 7 et n° 8 de Prokofiev sont généralement dénommées “sonates de guerre” non seulement en raison de leurs dates de composition (entre 1939 et 1944) mais aussi par le message expressif qu'elles envoient à la face du monde et du régime soviétique. Marches, malaises, violences, « invasion» – excellent sous-titre pour cet album – s'empilent dans les trois sonates dont , natif de Sibérie, nous propose les opus 82 et 83 (en 2013, il enregistra la Sonate n° 8 en public pour le label Nohant).

Ecrivons-le d'emblée : l'interprétation des deux sonates nous laisse sur notre faim. Dissocier totalement ces œuvres de leur contexte historique et humain, contexte sans lequel elles n'auraient jamais vu le jour pose problème. Ces pages, comme nous le dit un jour un pianiste russe, sont “sales”. Par conséquent, elles peuvent et doivent être jouées “salement”, mais à la condition de respecter très exactement ce qui est écrit.

Dans la Sonate n °6, nous n'entendons que… du piano. Un piano souvent pesant et qui se perd dans un néoclassicisme étonnant dans le Tempo di valzer lentissimo. Les griffes et les menaces des formules rythmiques les plus lapidaires ont totalement disparu. Le jeu est presque “aimable” jusque dans le finale dont tout élan machiniste et déshumanisé est passé à la trappe. En somme, une sonate en “nœud papillon” pour public en tenue de soirée !

Barbarie et panique s'imposent en URSS au début de l'hiver 1942 durant lequel la situation des Russes est désespérée (sans oublier que Prokofiev est en plein divorce et subit une première alerte cardiaque). C'est de cela dont il s'agit dans la Sonate n° 7, dans laquelle la moindre mélodie est brisée (premier mouvement) ou tordue (deuxième mouvement). C'est un univers « à la Dostoïevski » transposé dans les désastres de la Grande Guerre patriotique dont l'issue paraît, alors, irréversible pour la plupart des Russes. L'intensité frénétique, les harmonies distendues, la férocité des cellules rythmiques dans la toccata finale, tout, en principe, s'enchevêtre dans une sorte d'hallucination. Existe-t-il deux manières d'attaquer un tel combat ? On peut en douter tant la partition enferme le pianiste dans un couloir terrifiant. Si l'Allegro inquieto interprété par possède une belle énergie, celle-ci est bien trop soucieuse d'équilibre, de jolis sons. Utilisation soyeuse de la pédale, teintes pastel : l'Andante n'a rien de caloroso. C'est une berceuse pour fin de soirée entre amis. Un vrai contresens ! Le Precipitato ressemble davantage à l'évocation d'une course de chevaux dans un hippodrome. On peut douter que les frissons de l'élégance aient un quelconque rapport avec la bestialité humaine.

Composés entre 1912 et 1914, les Sarcasmes furent pensés dans un temps révolutionnaire. Insupportable provocateur, maniant l'agressivité et l'insolence avec maestria, Prokofiev écrit ou plutôt jette à la figure de l'auditeur chaque sarcasme, dont nous sont proposés (et pourquoi seulement ?) trois des cinq numéros. Sergei Redkin songe peut-être davantage au piano de Stravinsky – Petrouchka – et offre une prestation parfaite pour un concours. Quant aux sonates, il paraît difficile d'oublier pour l'une ou l'autre et parfois les deux, Richter, Chiu, Kissin, Lugansky, Melnikov, Petrov, Pogorelich, Argerich, Pletnev, Pollini, Sofronitzky…

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Sergueï Prokofiev (1891-1953) : « Invasion ». Sonates pour piano n° 6 et 7. Sarcasmes n° 1 à 3 op. 17. Sergei Redkin, piano. 1 CD Fuga Libera. Enregistré au Studio Teldex Berlin, en mars 2024. Notice de présentation en anglais et français. Durée totale : 58:00

 
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