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Nancy. Opéra national de Lorraine. 10-I-2025. Madrigaux et œuvres de Claudio Monteverdi (1567-1643), Guillaume Dufay (c.1400-1474), Sigismondo d’India (c.1582-1629), Luca Marenzio (1553-1599), Tiburtio Massaino (c.1550-c.1608), Antonio il Verso (1565-1621), Giovanni Boschetto Boschetti (c.1588-1622), Johann Sebastian Bach (1685-1750), Francesco Neri, Antonio Cifra (c.1584-1629). Spectacle musical d’après l’histoire de Tancrède et Clorinde dans La Jérusalem délivrée (La Gerusalemme liberata) de Torquato Tasso dit Le Tasse. Mise en scène : Jean-Yves Ruf. Décors : Laure Pichat. Costumes : Claudia Jenatsch Lumières : Victor Egéa. Perruques, maquillage et coiffure : Katrine Zingg. Avec : Mariana Flores, soprano ; Sofie Garcia, soprano ; Logan Lopez Gonzalez, contre-ténor ; Valerio Contaldo, ténor ; Andreas Wolf, basse ; Isabel Aimé González Sola, Clorinde ; Lucas Chérubin, Tancrède ; Margaux Le Mignan, Herminie ; Thierry Gibault, Godefroy. Ensemble Cappella Mediterranea, direction : Leonardo García-Alarcón.
Le travail conjoint de Leonardo García Alarcón pour la musique et Jean-Yves Ruf pour le texte et la mise en scène offre un spectacle original qui renouvelle l'intérêt et la compréhension du madrigal italien au tournant des années 1600 et à l'orée du baroque.
Après La Finta Pazza de Francesco Sacrati à Dijon en 2019 puis Elena de Francesco Cavalli à Aix-en-Provence en 2023, Jean-Yves Ruf et Leonardo García Alarcón se sont de nouveau associés pour un projet autour d'un monument de la littérature italienne (15.336 vers !), La Jérusalem délivrée de Torquato Tasso dit Le Tasse publié en 1581, en s'y concentrant sur l'épisode des amours contrariées de Tancrède, Clorinde et Herminie. Jean-Yves Ruf en a retravaillé le texte, y ajoutant un intermède de son cru sur la vanité de l'héroïsme et de la guerre puisque la Mort attend chacun et que seul l'Amour est un combat qui en vaille la peine.
Pour l'illustration musicale, Leonardo García Alarcón (Artiste de l'année ICMA 2025) n'a eu que l'embarras du choix, tant l'ouvrage du Tasse a inspiré de compositeurs (Monteverdi bien sûr, mais aussi Lully, Gluck, Vivaldi, Haendel, Haydn, Rossini, Dvořák pour ne citer que les plus célèbres), d'écrivains, de peintres et même de cinéastes. Autour du Combattimento di Tancredi e Clorinda de Monteverdi, donné in extenso en dernière partie, il a rassemblé un florilège surtout de madrigaux du baroque naissant, certains passés à la postérité comme « Si dolce è'l tormento » de Monteverdi, d'autres quasiment inconnus de compositeurs contemporains rarement joués, mais éclairant toujours le texte et l'enrichissant.
Créé en coproduction avec l'Opéra national de Lorraine en mai 2024 à La Cité Bleue de Genève, dont Leonardo García Alarcón est le directeur, ce spectacle de « théâtre musical » associe en un tout cohérent et idéalement fluide comédiens, chanteurs, musiciens de l'Ensemble Capella Mediterranea en scène, costumés et chorégraphiés, tout comme le chef Leonardo García Alarcón derrière son clavier et qui n'hésite pas à donner de la voix dans les ensembles. Le décor simple de trois grandes portes ornées de rideaux (Laure Pichat), les costumes de Claudia Jenatsch vaguement militaires (pantalons et chemises de toile, brodequins, discrètes cuirasses pour Tancrède et Clorinde), les lumières changeantes et évocatrices (Victor Egéa) rappellent par leur tonalité ocre sable le cadre moyen-oriental et désertique du récit.
Le comédien Thierry Gibault assure en Godefroy la narration avec la force et l'emphase modérée nécessaires mais d'un débit souvent trop rapide pour qu'on puisse savourer toute la richesse du texte. Touchant dans son rôle de guerrier assez peu héroïque car frappé par l'amour et malheureux, Lucas Chérubin incarne Tancrède tandis que Isabel Aimé González Sola donne un subtil mélange de force et de mystère à sa Clorinde, y compris par son accent hispanique (elle est née en Argentine) qui s'accorde à l'altérité de cette combattante sarrasine. La noble et intense Herminie de Margaux Le Mignan vient compléter cette distribution d'acteurs que Jean-Yves Ruf mobilise finalement assez peu pour les concentrer sur la puissance et la poésie des mots. Monteverdi en aurait certainement été ravi. Seules les scènes de combat bénéficient d'un traitement spécifique en mouvements ralentis, les comédiens étant manipulés tels de marionnettes par leurs doubles chanteurs.
Et de ce côté musical, le niveau est également remarquable avec des chanteurs tous aguerris au style madrigalesque. L'expressivité et la fougue de Mariana Flores (également Clorinda dans Il Combattimento) contraste avec la douceur de Sofie Garcia aux aigus adamantins. Valerio Contaldo réitère la force, la vigueur, le dramatisme de son Orfeo, déjà sous la houlette de Leonardo García Alarcón. Tout aussi tranchant dans l'accent et décisif dans la puissance comme dans l'incarnation, Andreas Wolf campe un saisissant Tancredi. Du fait de sa projection moindre au sein d'un tel aréopage, le contre-ténor Logan Lopez Gonzalez semble plus en retrait jusqu'à sa mise en valeur finale dans la délicatesse et le lyrisme empli d'émotion de « Pietosa bocca » d'Antonio Cifra.
Participant à l'action, voire au chant à l‘occasion, les instrumentistes de l'Ensemble Capella Mediterranea et leur chef contribuent sans jamais se désunir à la théâtralité du spectacle. Ils y apportent, aux côtés des chanteurs, une variété magnifique d'affects, d'ambiances, de couleurs, de contrastes de rythme et de dynamique dans une interprétation très engagée et toujours musicalement parfaite. On y remarque à nouveau l'incroyable violoniste Yves Ytier, capable de jouer avec virtuosité dans toutes les positions, dansant, bondissant avec une folle énergie.
Après un spectacle d'ouverture intitulé « Héroïne » déjà conceptuel, Matthieu Dussouillez à la tête de l'Opéra national de Lorraine semble désireux d'en renouveler le répertoire et d'y intéresser de nouveaux publics. Avec cet « Amour à Mort », qui parvient à nous faire entrer dans l'univers parfois aride ou très intellectuel du madrigal italien, la réussite est totale. Et bien que la salle soit encore incomplètement remplie, l'accueil très chaleureux et les ovations du public présent démontrent que cette orientation pourrait porter ses fruits.
Crédits photographiques : Isabel Aimé González Sola (Clorinde), Mariana Flores (Soprano), Thierry Gibault (Godefroy) ©Francois de Maleissye
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Nancy. Opéra national de Lorraine. 10-I-2025. Madrigaux et œuvres de Claudio Monteverdi (1567-1643), Guillaume Dufay (c.1400-1474), Sigismondo d’India (c.1582-1629), Luca Marenzio (1553-1599), Tiburtio Massaino (c.1550-c.1608), Antonio il Verso (1565-1621), Giovanni Boschetto Boschetti (c.1588-1622), Johann Sebastian Bach (1685-1750), Francesco Neri, Antonio Cifra (c.1584-1629). Spectacle musical d’après l’histoire de Tancrède et Clorinde dans La Jérusalem délivrée (La Gerusalemme liberata) de Torquato Tasso dit Le Tasse. Mise en scène : Jean-Yves Ruf. Décors : Laure Pichat. Costumes : Claudia Jenatsch Lumières : Victor Egéa. Perruques, maquillage et coiffure : Katrine Zingg. Avec : Mariana Flores, soprano ; Sofie Garcia, soprano ; Logan Lopez Gonzalez, contre-ténor ; Valerio Contaldo, ténor ; Andreas Wolf, basse ; Isabel Aimé González Sola, Clorinde ; Lucas Chérubin, Tancrède ; Margaux Le Mignan, Herminie ; Thierry Gibault, Godefroy. Ensemble Cappella Mediterranea, direction : Leonardo García-Alarcón.