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Boulez 100 : l’EIC lance les festivités à la Philharmonie de Paris

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Paris. Philharmonie. Grande salle Pierre Boulez. 6-I-2025. Pierre Boulez (1925-2016) : Mémoriale ( …explosante-fixe… Originel), pour flûte et petit ensemble ; Messagesquie, pour violoncelle solo et six violoncellistes ; Sonatine, pour flûte et piano ; Répons pour six solistes, ensemble, sons informatiques et électronique en temps réel. Claude Debussy (1862-1918) : En blanc et noir, pour deux pianos ; Charlotte Bray (née en 1982) : Nothing Ever Truly Ends, pour orchestre de chambre. Pierre-Laurent Aimard, Hidéki Nagano, Dimitri Vassilakis, piano ; Jean-Guihen Queyras, violoncelle ; Sophie Cherrier, Emmanuelle Ophèle, flûte ; Gilles Durot, Samuel Favre, percussions ; Aurélien Gignoux, cymbalum ; Valeria Kafelnikov, harpe ; Augustin Muller, électronique Ircam ; Jérémie Henrot, diffusion sonore Ircam ; Ensemble Intercontemporain ; direction : Pierre Bleuse

Il revenait à l' et à son chef de lancer les festivités autour du centenaire de Pierre Boulez dans la salle de la Philharmonie de Paris qui porte son nom : la soirée « EIC & Friends » qui affiche le mythique Répons invite également deux « anciens » de l'EIC ainsi que la compositrice britannique .

De , Mémoriale (… explosante-fixe… originel) est un bijou, une œuvre intimiste pour flûte solo et huit instrumentistes, soit six cordes frottées avec « sourdines lourdes » et deux cors. L'œuvre reprend le matériau d'…explosante-fixe… écrite en 1972 en hommage à Stravinsky qui venait de mourir. Le mib (eS dans le solfège anglo-saxon) y résonne au cor en continu. L'arabesque que dessine Emmanuelle Ophèle au fil des six sections est une manière d'incantation, ourlée par les instruments périphériques : un thrène émouvant aux lignes raffinées que Boulez compose en hommage au flûtiste Lawrence Beauregard et qui met l'oreille en alerte pour débuter le concert.

Ex-soliste de l'EIC, le violoncelliste , entouré de six violoncelles « satellites », joue ensuite Messagesquisse (1976-77), une commande de Mstislav Rostropovitch pour les soixante-dix ans du chef d'orchestre et mécène Paul Sacher. Boulez prend comme matériau de base les six lettres de son nom (mib la do si bécarre mi ré) qu'il soumet à la combinatoire sérielle ainsi que six séquences rythmiques (des messages en morse adressés au dédicataire !). Comme aurait pu le faire l'électronique, les six violoncellistes relaient et amplifient les sonorités du soliste, contribuant à son halo harmonique et spatial. L'aisance virtuose et l'archet magistral de Queyras (qui a enregistré l'œuvre chez DG en 1999) sont spectaculaires, servant l'écriture boulézienne dans ses moindres nuances d'attaque, de timbre, de dynamique et de phrasé. Le souffle donné dans la dernière section récapitulative par l'ensemble est prodigieux !

, autre ami et ex-soliste de l'EIC, est au côté de (cf. leur enregistrement chez Erato en 1991) dans la Sonatine pour flûte et piano (1946), l'opus 1 du compositeur de Répons. Le jeune Boulez prend exemple sur la Symphonie de chambre op.9 de Schönberg pour élaborer sa « forme intégrée » en un seul mouvement. Le discours y est resserré, la ligne escarpée, sans concession pour la flûtiste. Mais le côté agressif est gommé, les deux interprètes cherchant davantage la fluidité des lignes et la synergie du discours. On se demande toutefois pourquoi tourne le dos à son partenaire, au risque d'ailleurs de rater leur sortie !

« La flûte du Faune instaure une respiration nouvelle de l'art musical, disait Boulez, grand admirateur de . et Hidéki Nagano ont mis sur leur pupitre En blanc et noir (1915), chef d'œuvre de la maturité pour deux pianos. Œuvre de guerre, composée en 1915, elle oscille entre exaltation et désespoir, « presque aussi tragique qu'un Caprice de Goya », selon les mots du compositeur qui cite le choral de Luther, Ein feste Burg is unser Gott. L'interprétation des deux pianistes chemine librement au gré de cette musique qui se renouvelle à chaque instant.

L'EIC avait passé commande à la Britannique , une compositrice remarquée par en 2009 lors d'un atelier qu'il donnait au Royal Birmingham Conservatoire autour d'une de ses partitions. Nothing Ever Truly Ends (Rien ne finit jamais vraiment) pour orchestre de chambre donnée en création s'inscrit dans un temps long et les résonances récurrentes du bol chantant et du gong profond. Finement orchestrée, l'œuvre, qui entretient la tension de l'écoute, est superbement restituée par et ses musiciens et chaleureusement accueillie par le public.

Immersif et jubilatoire

Joué en seconde partie, Répons est le grand œuvre de Boulez, la pièce qu'il appelait de ses vœux, concrétisant un double désir : faire interagir en temps réel le son instrumental et l'électronique d'une part, repenser l'écoute en termes de spatialisation et de mouvement du son dans l'espace d'autre part. La configuration instrumentale est originale, qui envisage un groupe de 24 musiciens (l'EIC quasi complet avec les bois par 2) et le chef au centre du plateau ainsi que six solistes au pourtour de la salle (harpe, cymbalum, vibraphone, xylophone (avec glockenspiel) et deux pianos (avec clavier électronique pour l'un deux), six instruments résonnants traités en direct par l'électronique. L'œuvre est le résultat des forces combinées du compositeur et de l', avec, dans les années 1980, la machine 4X (aujourd'hui objet de musée) et la collaboration active du réalisateur en informatique musicale Andrew Gerzso. La Grand salle de la Philharmonie a été sensiblement remodelée de manière à ce que le public entoure le tutti et soit entouré par les solistes et les six haut-parleurs. Boulez emprunte son titre à l'un des genres vocaux du chant grégorien qui fait alterner un chantre soliste et le chœur. La partition s'apparente également au modèle baroque du concerto grosso avec le groupe des solistes (concertino) et le tutti (ripieno). Emblématique du « work in progress » boulézien, l'œuvre créée en 1981 (17′) subira de constants aménagements et agrandissements successifs. Une deuxième version voit le jour en 1982 (32′) et une troisième mouture, en onze séquences (la version actuelle de 44′) en 1984.

Augustin Müller et sont aux manettes, en charge de la diffusion sonore et de l'équilibre spatial tout comme , au centre de l'arène, dont la puissance du geste autant que sa souplesse font ce soir des merveilles. Jamais encore Répons n'avait sonné à nos oreilles avec autant de plénitude et de finesse dans les articulations. La page introductive, confiée au tutti acoustique, donne le ton : écriture pulsée et énergétique, texture transparente qui darde ses couleurs. La musique se déploie et respire à la faveur des silences que ménage le chef. Spectaculaire et très émotionnel est le début de la deuxième section avec ses projections lumineuses sur les six solistes qui apparaissent dans la salle, jouant en relais sur les mêmes figures d'arpège et leurs répliques électroniques : réverbération cristalline, duplication des formants (effet « gyrophare ») avant la réponse souvent musclée de l'ensemble instrumental. La section dite « Scriabine » (5), la plus longue, combine les trajectoires aux allures trillées dans un effet très immersif. Jubilatoire, la section « balinaise » (8) aux échos percutés semble laisser pour un temps cette « grosse machine » fonctionner d'elle-même, décrivant des spirales dans l'espace avec une volupté sonore inédite. La Coda, conçue dans le temps long et le miroitement des sonorités des six solistes constellant l'espace, est une des pages bouléziennes les plus poétiques et sensuelles de son catalogue. La réception est plus que chaleureuse, le public faisant un triomphe aux musiciens et à Pierre Bleuse qui rendait ce soir son premier hommage au génie de Montbrison.

Crédit photographique : © Mathias Benguigui

 

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Paris. Philharmonie. Grande salle Pierre Boulez. 6-I-2025. Pierre Boulez (1925-2016) : Mémoriale ( …explosante-fixe… Originel), pour flûte et petit ensemble ; Messagesquie, pour violoncelle solo et six violoncellistes ; Sonatine, pour flûte et piano ; Répons pour six solistes, ensemble, sons informatiques et électronique en temps réel. Claude Debussy (1862-1918) : En blanc et noir, pour deux pianos ; Charlotte Bray (née en 1982) : Nothing Ever Truly Ends, pour orchestre de chambre. Pierre-Laurent Aimard, Hidéki Nagano, Dimitri Vassilakis, piano ; Jean-Guihen Queyras, violoncelle ; Sophie Cherrier, Emmanuelle Ophèle, flûte ; Gilles Durot, Samuel Favre, percussions ; Aurélien Gignoux, cymbalum ; Valeria Kafelnikov, harpe ; Augustin Muller, électronique Ircam ; Jérémie Henrot, diffusion sonore Ircam ; Ensemble Intercontemporain ; direction : Pierre Bleuse

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