Philippe Fénelon : musique d’hier et d’aujourd’hui

Avec comme axe principal ses huit opéras, le catalogue de Philippe Fénelon compte aujourd'hui plus d'une centaine d'œuvres abordant tous les genres. Ce double CD consacré aux petites formations fait la part belle aux percussions.

Le premier CD de l'album est une réédition Radio France (assez rare au sein d'un même label) d'un enregistrement de 1997 réunissant, autour de sept œuvres allant du solo au trio, une pléiade d'artistes fabuleux. Ainsi l'immense et regrettée Maryvonne Le Dizès, alors soliste de l'EIC, qui interprète ici Omaggio (A Tiepolo), une pièce virtuose, magistralement conduite, qui ne manque ni d'éloquence ni de brillance, à l'image du tracé graphique du peintre italien. Autre soliste de l'EIC dans les années 90, le pianiste Florent Boffard est seul dans Halley (1986), nom d'une comète réapparue dans le ciel à cette même date. La technique sérielle imprime un style quelque peu daté, jouant sur l'alternance d'une écriture éruptive voire rageuse et de moments plus relâchés, au temps suspendu. On retrouve le pianiste dans Épilogue où la constellation sonore s'organise autour de notes polaires entretenues par la pédale et la répétition. Éblouissant, le jeu énergétique autant que contrôlé de Boffard confère à l'œuvre sa pleine envergure résonnante et harmonique. Florent Jodelet (soliste de l'Orchestre National de France) avait alors 25 ans et déjà une superbe maîtrise que laisse apprécier Zabak (« Terre » en langue nouba) de 1994. La matière y est granuleuse, entre sons secs et courts (hochets) et flux continu (bâton de pluie). La percussion est à mains nues sur les peaux (tambour sur cadre, congas, djembé) dont le percussionniste tire un riche panel de sonorités, avec finesse et musicalité. Florent Jodelet est en trio avec la harpiste Sylvie Beltrando et la contrebassiste Joëlle Léandre dans Deux Épigrammes. Le temps s'étire et la musique respire, au rythme de la contrebassiste, dans une musique qui réintroduit une certaine dimension mélodique. Si la harpe garde son autonomie, les alliages timbriques entre percussion et contrebasse sont savoureux. Notti (1990) sont écrits pour Joëlle Léandre sur des poèmes du compositeur dont elle prélève des mots ou des phrases qui nourrissent tout à la fois son imaginaire et son jeu. Un espace est laissé à l'interprète/performeuse qui donne de la voix, parlée mais aussi chantée (Notti III).

Anticipant le cycle Mythologie, Les combats nocturnes (1986-87) associant Florent Boffard et Florent Jodelet sont merveilles. Dans Dédale improvise la danse du labyrinntthe, le piano alerte et incisif est conducteur, doublé et amplifié par les percussions qui lui confère son aura de résonance. La dernière partie lente et rêveuse prend des allures de cérémonial. L'écriture est virtuose et les contrastes vertigineux dans Le sacrifice d'Icare : les sonorités du piano sont battues par la caisse claire et s'immergent dans la résonance des cloches tubes et autres crotales avant de fusionner dans l'espace bien sonnant d'une octave.

Beaucoup plus récentes, les deux pièces réunies dans le second CD mettent en vedette le percussionniste Florent Jodelet. Il s'entoure de trois autres percussionnistes de l'Orchestre National de France, Didier Benetti, Emmannuel Curt et Gilles Ranticelli dans Paléomusique de 2014. L'œuvre, écrite pour 22 lithophones et percussions, dispose sur un support rectangulaire des pierres polies oblongues de l'époque néolithique (provenant du Muséum national d'Histoire naturelle de Paris) que les interprètes percutent avec de petits marteaux de bois. Fénelon laisse aux interprètes le choix des hauteurs. La sonorité est claire et délicate, à résonance courte. D'autres percussions, comme ce géophone qui introduit l'œuvre, le bâton de pluie, les cloches et chimes divers sont entendus au cours de transition entre les sections. On cherche en vain une cohérence à cet assemblage curieux et ce foisonnement minéral, bien sonnant au demeurant.

L'idée d'associer les steel drums, l'instrument populaire des Caraïbes aux sonorités chaloupées, avec le quatuor à cordes ne va pas de soi. C'est pourtant ce que fait Philippe Fénelon dans Still Dream, une pièce récente créée en 2023 à Radio France, invitant au côté de Florent Jodelet et ses quatre steel-drums le Quatuor Diotima. Le voyage et le rêve président aux titres des sept séquences de l'œuvre où les steel drums en trémolos ourlent souvent la partie du quatuor à cordes (Canto sospeso, Blue light metal) ou jouent avec lui en doublure (Fragmented mirror). Fénelon sonde les graves de leur tessiture dans Cante jondo (Chant profond) et leur capacité à imiter le bruit d'un animal imaginaire (Roars). La confrontation des deux univers sonores est effective dans Recitativo jusqu'à la citation du thème de la promenade des Tableaux d'une exposition de Moussorgsky qui coupe court aux échanges musclés. L'hétérogénéité de l'écriture est à l'œuvre et l'errance du discours un rien déconcertante, assumée avec panache par le jeu toujours en phase des cinq interprètes.