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Les Boréades par György Vashegyi avec Sabine Devieilhe

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Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Abaris ou Les Boréades, Tragédie en musique en cinq actes, sur un livret attribué à Louis de Cahusac. Avec Sabine Devieilhe, soprano (Alphise) ; Reinoud van Mechelen, ténor (Abaris) ; Benedikt Krist Jansson, ténor (Calsls) ; Philippe Estèphe, baryton (Borilée) ; Thomas Dolié, baryton (Borée) ; Tassis Christoyannis, baryton (Adamas/Apollon) ; Gwendoline Blondeel, soprano (Sémire/une nymphe/Polymnie). Purcell choir ; Orfeo Orchestra. Direction : György Vashegyi. 2 CD Erato. Enregistrés du 18 au 21 septembre 2023 au Béla Bartók National Concert Hall à Budapest. Notice de présentation en français, anglais et allemand. Durée totale : 146:65

 

Enfin une troisième version discographique de l'ultime chef-d'œuvre de Rameau, après la géniale recréation de Gardiner en 1982 au festival d'Aix en Provence, puis Vaclav Luks en 2020 à l'Opéra royal de Versailles.

Après Les Indes galantes, Les Fêtes de Polymnie, Naïs, Dardanus, Les Fêtes d'Hébé, c'est le sixième opéra de Rameau que enregistre avec son et son , doté d'une distribution éblouissante.

Prêt et sur le point d'être joué, l'opéra devait être créé en juin 1763 pour les festivités de la cour à Choisy afin de célébrer la fin de la Guerre de sept ans. Mais il fut retiré au profit de Ismène et Isménias de Jean-Benjamin de Laborde (1734-1794), lui-même ancien élève de Rameau. Outre une répétition, le compositeur n'entendra jamais son dernier ouvrage, qui n'a été créé qu'à la fin du XXe siècle.Il est surprenant qu'il ait fallu attendre aussi longtemps pour découvrir un tel chef-d'œuvre.

On s'étonne tout autant que, malgré une version scénique de 2019 disponible en DVD par les Arts Florissants de William Christie), les trois versions discographiques disponibles soient le fait d'ensembles et de chefs britannique, tchèque et hongrois pour servir le plus grand compositeur français.

La nouvelle édition de Sylvie Bouissou prend en compte plusieurs aspects musicologiques dans le traitement orchestral comme l'absence de clavecin dans les danses ou une contrebasse dans le continuo, tel que le précisent les sources, ainsi que l'usage de hautbois et non de clarinettes.

, à la fin de sa vie, compose Les Boréades, une tragédie lyrique censée célébrer la paix. Pourtant, l'œuvre connaît une destinée mouvementée. Son livret, qui dénonce l'injustice, la tyrannie et l'abus de pouvoir, est jugé trop subversif par la censure royale. Inspiré de la mythologie grecque, l'opéra raconte l'histoire d'amour impossible d'Orithye et de Borée, et met en scène une reine qui préfère l'abdication à la soumission. Les thèmes de la liberté individuelle et de la révolte contre l'autorité sont particulièrement choquants pour l'époque.

Malgré la qualité exceptionnelle de la musique de Rameau, qui mêle drame et moments de grande beauté, Les Boréades ne seront jamais représentées du vivant du compositeur. L'œuvre, longtemps oubliée a subi au XXe siècle de nouvelles péripéties: batailles juridiques de contrats de cession des droits entre la Bibliothèque Nationale de France, les éditions Stil et la Société ont fait traîner les choses entre 1976 et 2018.

Tiré de la mythologie gréco-romaine, l'argument des Boréades s'inspire des amours difficiles de la nymphe Orithye et de Borée, dieu du vent du nord, dans un cadre féérique. Empêché d'épouser Orithye, Borée l'enlève et la viole, donnant naissance à deux fils boréades, Borilée et Calisis. Ceux-ci prétendent épouser selon l'usage Alphise, reine de Bactriane, mais aimant Abaris, elle s'y oppose farouchement.

Par le voyage onirique d'Abaris à travers l'air, l'eau, le feu et la terre, introduit par l'extraordinaire entrée des « muses, des zéphirs, des saisons, des heures et des arts », l'opéra intègre des éléments maçonniques pour transformer le personnage faible en « héros humaniste au service du bonheur des humains afin de changer leurs destins ».

Tout au long de cette tragédie lyrique, Rameau joue avec les émotions, plongeant l'auditeur dans la plus profonde tristesse pour l'entraîner à la page suivante dans une lumineuse sérénité. Et comme un pied de nez insolent au destin, il termine l'ouvrage par une joyeuse contredanse endiablée.

Comme presque toujours chez Rameau, la musique est éblouissante, formant un remède à toute sorte de mélancolie, ainsi que l'écrivait le folliculaire Pierre-Louis d'Aquin de Château Louis : « Je connais des gens à qui un opéra de M. Rameau a valu les conseils de médecins célèbres ; ils étaient fort malades en entrant, ils en sortaient guéris ».

Collaborant avec le Centre de musique baroque de Versailles depuis de longues années, György Vashegyi est un fin connaisseur du répertoire lyrique français du XVIIIe siècle, qu'il s'attache à faire renaître (Isbé de Mondonville, Hypermnestre et des motets de Charles-Hubert Gervais…), ainsi qu'une série d'ouvrages de Rameau.

Avec son et , désormais aguerris au langage ramiste, le chef s'attache à restituer avec naturel la complexité des partitions du compositeur, tant à la lettre que dans l'esprit. Extrêmement difficile, l'ouvrage est d'une virtuosité de conception orchestrale inouïe pour l'époque, particulièrement dans le rythme, de nombreuses brisures qui surgissent partout et le traitement complexe des récitatifs accompagnés. Selon des articulations marquées et des cuivres somptueux, l'orchestre, qui s'en donne à cœur joie offre un régal absolu dans les danses et les intermèdes musicaux. Le chœur présente une prononciation du français précise et de toute beauté.

Le plateau soliste n'attire que des louanges avec une à son zénith en Alphise déterminée et révoltée. campe un Abaris tout en nuances, d'une grande finesse dans les ornements à la fois délicat et héroïque. Le Borilée de exprime une autorité parfois effrayante dans ses éclats de haine, mais fait preuve d'agilité par une touchante sincérité.

Dans les quatre petits rôles féminins de Sémyre, la Nymphe, l'Amour et Polymnie, Gwendoline Blondeel, dont la voix d'une belle légèreté complète harmonieusement celle de , nous ravit. En Adamas et Apollon, , tout en clarté et en énergie, fait montre d'une autorité à la fois bienveillante et sévère. Le Borée de incarne parfaitement la terreur du rôle.

Soigné et richement illustré, le livret présente une notice très complète et passionnante de Sylvie Bouissou, directrice de recherche au CNRS et rédactrice en chef des Opera Omnia de Rameau.

Si la version historique de Gardiner conserve des atouts, ces Boréades de György Vashegyi marquent un nouveau jalon discographique.

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Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Abaris ou Les Boréades, Tragédie en musique en cinq actes, sur un livret attribué à Louis de Cahusac. Avec Sabine Devieilhe, soprano (Alphise) ; Reinoud van Mechelen, ténor (Abaris) ; Benedikt Krist Jansson, ténor (Calsls) ; Philippe Estèphe, baryton (Borilée) ; Thomas Dolié, baryton (Borée) ; Tassis Christoyannis, baryton (Adamas/Apollon) ; Gwendoline Blondeel, soprano (Sémire/une nymphe/Polymnie). Purcell choir ; Orfeo Orchestra. Direction : György Vashegyi. 2 CD Erato. Enregistrés du 18 au 21 septembre 2023 au Béla Bartók National Concert Hall à Budapest. Notice de présentation en français, anglais et allemand. Durée totale : 146:65

 
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