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Avignon. Opéra Grand Avignon. 27-XII-2024. Charles Lecocq (1832-1918) : La Fille de Madame Angot. Livret de Charles Clairville, Paul Siraudin et Victor Koning. Mise en scène : Richard Brunel. Décors et costumes : Bruno de Lavenère. Avec : Hélène Guilmette, soprano (Clairette) ; Valentine Lemercier, soprano (Mademoiselle Lange) ; Enguerrand de Hys, ténor (Pomponnet) ; Philippe-Nicolas Martin, baryton (Ange Pitou) ; Matthieu Lécroart, baryton (Larivaudière) ; Floriane Derthe, soprano (Amarante) ; Ludmilla Bouakkaz, soprano (Hersilie) ; Antoine Foulon, baryton (Louchard) ; Jean-François Baron, baryton (Cadet, un officier, Buteux, Guillaume) ; Geoffroy Carey (Trénitz). Chœur (chef de choeur : Alan Woodbrige) et Orchestre national Avignon-Provence, direction : Chloé Dufresne
Fraîchement accueilli à Paris en 2023, le spectacle réglé par Richard Brunel fait des étincelles dans la Cité des Papes.
Certes, comme pour les poissons des poissardes de la Halle prévues dans les didascalies originelles, il faut d'abord avaler la couleuvre d'une translation temporelle du Directoire (le décor du livret de Charles Clairville, Paul Siraudin et Victor Konig) vers Mai 68 (autre période de transition) mais le procédé n'est pas nouveau et les rétifs devraient depuis belle lurette en avoir reconnu l'intérêt. D'autant plus que, comme dans cette nouvelle Fille de Madame Angot, ce travelling vers le XXème siècle donne un sérieux coup de jeune à une œuvre dont la célébrité n'a d'égale que le désuet dans lequel on la cantonne généralement. Dans le droit fil de l'enregistrement du Palazzetto Bru Zane, Richard Brunel s'est penché sur l'opéra-comique de Charles Lecocq avec autant de sérieux que pour son Wozzeck de Berg qui a ouvert la saison de L'Opéra de Lyon. Montée avec un soin inédit (le très spectaculaire décor de Bruno de Lavenère !), La Fille de Madame Angot présenté, après Paris et Nice, à l'Opéra Grand Avignon se révèle un spectacle de bout en bout épatant.
« Prenez vos désirs pour des réalités », tague un homme sur le mur de certaine usine Renault de la fin des années soixante. Premier graffiti d'une série d'autres, destinés à ramener le spectateur vers un temps où, disait-on, la plage était sous les pavés : mai 1968. Larivaudière est le patron. Clairette une ouvrière à l'ascendance remuante (père inconnu, mère forte en gueule) et au destin de pasionaria. Mises à mal par l'énergie de la direction d'acteurs (Pomponnet en bélier humain !) et les idées de mises en scène (Clairette et Lange en Delphine et So-Lange des Demoiselles de Rochefort !), et par la nostalgie enclenchée d'un temps révolu, les barricades temporelles datées du livret tombent rapidement. Une poignée de secondes suffit à faire des Soldats d'Augereau les CRS qui se faisaient traiter de SS au Quartier Latin, du mot Directoire le substantif applicable à n'importe quel régime politique, la perche tendue par Clairette en fin d'Acte I (« C'n'était pas la peine assurément de changer de gouvernement ») applaudie à la création parisienne de 1873, l'étant tout autant, comme on l'imagine aisément, en cette année 2024, durant laquelle les citoyens français auront pris quelques surprenantes leçons de politique. La Fille de Madame Angot de Richard Brunel pourrait également se dérouler aujourd'hui.
Assez vertigineux, monté sur tournette, le dispositif scénographique janusien de Bruno de Lavenère fait alterner le labeur (l'usine Renault dirigée par Larivaudière avec ses 4L à la chaîne) et le divertissement (le cinéma L'Odéon dirigé par Mademoiselle Lange avec son bureau tapissé d'affiches de films). De subtils surlignages de néons permettent aux lumières de Laurent Castaingt d'atteindre une rare élégance dans le cinéma, où la si savoureuse scène des conspirateurs voit son ballet malicieusement remplacé par une tentative de séduction des CRS (« La Police avec nous ! » entendu sur les barricades d'alors) dans une pénombre de salle obscure seulement traversée par le faisceau du projecteur venant de lancer le film : probablement le moment le plus émouvant de la représentation. Car on ne fait pas que sourire dans cette Fille de Madame Angot au militantisme lisible jusqu'au terme de l'Acte III (savoureux Bal de Calypso en boîte de nuit) avec le judicieux pas de côté d'avec la doxa amoureuse de son ultime graffiti.
Chloé Dufresne est l'autre fontaine de jouvence du spectacle. Sa direction souriante et alerte, à peine déstabilisée par l'irruption des CRS d'Augereau, milite elle aussi avec beaucoup d'allant pour le délicat pot-pourri mélodique concocté par le compositeur. Préparé par l'excellent Alan Woodbridge, le choeur-maison impressionne par une cohésion que n'entrave jamais un investissement scénique aussi exigeant que dynamisant. Des comprimarii sans fausse note dont certains assurent plusieurs rôles mineurs : Antoine Foulon en Chef de la police, Floriane Derthe poissarde et Merveilleuse, Jean-François Baron, Rémi-Beer-Demander. Griffées par d'élégants costumes (Bruno de Lavenère encore), les Merveilleuses échappent au ridicule. L'acteur Geoffrey Carey (vu chez Luc Besson et Leos Carax) prend en charge l'exotisme des Incroyables, transformant l'Incroyable Trénitz en une sorte d'Américain à Paris bien décalé. Matthieu Lécroart est le parfait Larivaudière que le disque et les représentations précédentes ont révélé. Valeur toujours très sûre, et seul personnage à conserver son costume d'époque (traître en politique, traître en amour ?), Philippe-Nicolas Martin est un Ange Pitou d'autorité et de grande classe. Valentine Lemercier reprend à Véronique Gens le rôle de Mademoiselle Lange : d'une élégance naturelle, elle y est plus que parfaite. Richard Brunel charge beaucoup le Pomponnet d'Enguerrand de Hys, permettant au ténor de révéler en crescendo des trésors de vis comica jusqu'à l'hilarant duo de l'Acte III avec Larivaudière, vraiment déchaîné. Il faut le voir ensuite, comme dans un numéro de cabaret parfaitement huilé, relancer la tournette du pied avec la Clairette piquante et volontariste (désopilante façon de décliner son identité au porte-voix !) d'Hélène Guilmette.
La tournette ! Personnage à part entière du spectacle, elle était carrément restée grippée à Paris. A Nice, elle avait été privée d'une de ses interventions. A Avignon, le mécanisme tel que prévu à l'origine (comme un lent travelling de cinéma) par Richard Brunel est enfin parfaitement huilé. A l'image de ce spectacle qui, également co-produit par l'Opéra de Lyon, devrait y faire prochainement le tabac qu'il mérite.
Crédits photographiques : © Jean-Louis Fernandez
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Avignon. Opéra Grand Avignon. 27-XII-2024. Charles Lecocq (1832-1918) : La Fille de Madame Angot. Livret de Charles Clairville, Paul Siraudin et Victor Koning. Mise en scène : Richard Brunel. Décors et costumes : Bruno de Lavenère. Avec : Hélène Guilmette, soprano (Clairette) ; Valentine Lemercier, soprano (Mademoiselle Lange) ; Enguerrand de Hys, ténor (Pomponnet) ; Philippe-Nicolas Martin, baryton (Ange Pitou) ; Matthieu Lécroart, baryton (Larivaudière) ; Floriane Derthe, soprano (Amarante) ; Ludmilla Bouakkaz, soprano (Hersilie) ; Antoine Foulon, baryton (Louchard) ; Jean-François Baron, baryton (Cadet, un officier, Buteux, Guillaume) ; Geoffroy Carey (Trénitz). Chœur (chef de choeur : Alan Woodbrige) et Orchestre national Avignon-Provence, direction : Chloé Dufresne