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Tatiana Nikolayeva : la magie et les aléas de la compilation

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« The Art of Tatiana Nikolayeva ». Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Suites anglaises n° 1 et 4. Suites françaises n° 1 à 6. Toccata et Fugue BWV 565. Gigue BWV 578. Chorals BWV 645, 659, 639. Cantate Jesu bleibet meine Freude BWV 147. Chaconne BWV 1004. Sicilienne BWV 1031. Concerto italien BWV 971. Le Clavier bien tempéré (Livres I et II). Préludes et fugues BWV 847, 848, 864, 865. Inventions et Sinfonias. Concerto pour deux pianos et cordes BWV 1060, 1062. Concerto pour piano et orchestre de chambre BWV 1055. Concerto pour trois pianos et cordes BWV 1064, 1065. Concerto pour quatre pianos et cordes BWV 1065. Variations Goldberg BWV 988. L’Art de la fugue BWV 1080. Partitas n° 1 à 6 BWV 825 à 830. Ouverture dans le style français BWV 831. Béla Bartok (1881-1945) : Concerto pour piano n° 3. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Intégrale des sonates pour piano. Variations Diabelli op. 120. Alexandre Borodine (1833-1887) : Petite Suite. Scherzo en la bémol majeur. Frédéric Chopin (1810-1849) : Introduction et Variations sur « Je vends des scapulaires ». Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Préludes et fugues op. 87. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Capriccio brillante op. 22. Evgeny Golubev (1910-1988) : Concerto pour piano n° 3 op. 40. Sonate n° 4 op. 22. Anatoli Liadov (1855-1914) : Variations sur un thème polonais op. 51. Barcarolle op. 44. Nikolaï Medtner (1880-1951) : Concerto pour piano n° 1 op. 33. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour piano n° 22 K. 482. Concerto pour deux pianos K. 242. Tatiana Nikolayeva (1924-1993) : Trois Etudes de concert op. 13. Serge Prokofiev (1891-1953) : Sonate n° 8. Pierre et Le Loup op. 67. Prélude op. 12 n° 7. Marche de l’Amour des trois Oranges op. 33. Serge Rachmaninov (1873-1943) : Concerto pour piano n° 2 op. 18. Robert Schumann (1810-1856) : Variations sur un thème original. Trois Romances op. 28. Intermezzi op. 4. Scènes d’enfants op. 15. Arabesque op. 18. Einfach de la Romance op. 28. Intermezzo du Carnaval de Vienne op. 26. Piotr Iliytch Tchaïkovski (1840-1893) : Concertos pour piano n° 1 op. 23, n° 2 op. 44. Fantaisie de concert op. 56. Grande Sonate op. 37. Valse op. 40 n° 8. Valse à cinq temps op. 72 n° 16.
Mikhail Petukhov, Sergeï Senkov, Maria Evseeva, Elisso Virsaladze, Nikolai Lugansky, pianos ; Orchestre de chambre de Lituanie, Saulius Sondeckis, direction ; Orchestre symphonique d’État d’URSS, Kirill Kondrachine, Nikolaï Anosov, direction ; Orchestre philharmonique de Vienne, Carl Schuricht, direction ; Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, Kurt Masur, direction ; Orchestre philharmonique Tchèque, Konstantin Ivanov, direction. Grand Orchestre symphonique de la radio d’URSS, Nikolaï Anosov, direction. Orchestre symphonique Académique d’État d’URSS, Evgeny Svetlanov, direction.
1 coffret de 40 CD Scribendum. Enregistrés à Moscou entre 1950 et 1991. Pas de notice. Durée totale : environ 40 heures

 

A l'occasion du 100e anniversaire de la naissance de la pianiste russe (1924-1993), Scribendum a compilé plus de quatre décennies d'enregistrements pour la plupart issus des catalogues soviétiques de Melodiya. L'occasion de saluer – et peut-être aussi de relativiser – le legs d'une artiste au répertoire gigantesque.

Rappelons quelques jalons de l'étonnante carrière de l'interprète et professeure. Au Conservatoire de Moscou, reçut l'enseignement d'Alexandre Goldenweiser en piano et d'Evgeni Golubev, en composition. En 1949, elle fut lauréate du Concours international de Prague. En 1950, lors du Concours international Bach de Leipzig qu'elle remporta, elle rencontra Chostakovitch. Deux ans plus tard, elle créait le cycle de ses Vingt-quatre Préludes et Fugues, qui lui sont dédiés. Douée de capacités de mémorisation hors du commun, elle jouait plus de cinquante concertos. Nommée à son tour professeur au Conservatoire de Moscou, en 1965, elle a enseigné à de nombreux élèves dont Nikolaï Lugansky.

On mesure difficilement l'extraordinaire répertoire de l'artiste, un répertoire allant de l'intégrale de l'œuvre de Bach à la création contemporaine dont ses propres pièces (elle a composé deux concertos pour piano, plusieurs symphonies, un quintette pour piano ainsi que 24 Etudes de concert, des Variations sur la mémoire de Miaskovski, etc.). Ses enregistrements en studio et en public ont, pour certains, marqué l'histoire du disque à l'instar des gravures des Préludes et fugues de Chostakovitch, dans les deux captations de 1962 et 1987 (une troisième intégrale fut réalisée en 1990 pour Hyperion). Pour autant, la somme réunies par Scribendum n'est qu'une partie de son legs au disque, lequel comprend plus d'une centaine d'enregistrements.

Bach avant tout. Le coffret Scribendum reprend à l'identique l'édition (37 CD) que le label fit paraître en 2018. Trois CD ont été ajoutés pour cette nouvelle sortie. Ils comprennent les Six Partitas de Bach ainsi que l'Ouverture à la française, captées en 1980 et qui parurent chez Olympia. Belle prise de son pour cette version d'un dynamisme et d'un art du chant proprement saisissants. La respiration si ample, éloquente et sobre à la fois met superbement en valeur la polyphonie de l'écriture. Un must ! On ne songe ici à l'art d'un organiste, celui d'un Helmut Walcha, qui nous paraît complémentaire d'une telle approche pianistique. De cette somme immense consacrée à Bach, écoutons aussi en priorité les transcriptions que Nikolayeva illumine littéralement dans un style un peu passé de mode, mais d'une saveur toute particulière. L'Art de la fugue (1967) est tout aussi remarquable, joué avec une sûreté du toucher admirable. On lui préfèrera plus encore l'interprétation plus tardive d'un live de 1993 capté à Helsinki (First Hand Record). N'oublions pas non plus l'une des plus grandes versions des Suites Françaises et Anglaises, aussi inventives que personnelles. Les concertos de Bach avec divers solistes et chefs n'ont pas cette dimension intemporelle. Depuis un demi-siècle, les lectures « historiquement informées » ont creusé un fossé avec certaines conceptions antérieures. Un fossé stylistique que le temps n'a cessé d'élargir.

Pour Chostakovitch, le choix des Préludes et Fugues op.87 se fait entre les versions gravées en URSS en 1967 et 1987 et celle de 1990, en Angleterre, pour Hyperion. Avouons notre préférence pour cette dernière, aux nuances si creusées. En Russie, le toucher de Nikolaieva est à ce point délié, qu'elle se trouve parfois à la limite de la rupture de la phrase mélodique. Et pourtant, l'humour cinglant de certains numéros (6, 9, 13, 16, 24) demeure inégalé sous ses doigts. Quelques “perles” bien connues méritent aussi le détour, comme l'arrangement de Pierre et le Loup de Prokofiev réalisé par la pianiste et la Petite Suite de Borodine qu'elle programma régulièrement. N'omettons pas non plus des pièces de Tchaïkovski et de Schumann où tous les risques sont assumés. Les divers concertos russes ont, en revanche, bien mal vieilli (Tchaïkovski, Rachmaninov)

Les interprétations des concertos de Mozart – quand bien même la présence d'Elisso Virsaladze et de Nikolaï Lugansky – sont d'un choix secondaire. Aux orchestres hors-styles et techniquement passables notamment dans les pupitres des vents, s'ajoutent de retentissantes erreurs inhérentes au “live”. Tout aussi décevant est le Concerto n° 22 avec Carl Schuricht et le Philharmonique de Vienne, aussi dur et froid que le son est écrasé.

De Beethoven, il faut d'abord retenir des Variations Diabelli d'une vie étonnante. Les sonates sont marquées par une volonté d'austérité, qui tourne parfois à la raideur. Les moyens techniques considérables de Nikolayeva sont au service de lectures âpres et finalement monochromes. Nikolaieva entre dans ses Beethoven avec un geste théâtral, dans le sentiment constant de l'urgence. Elle élague trop de détails. Les fausses notes inévitables en public, mais sur certaines sonates vraiment excessives, se cumulent à des baisses de tension. Les premiers et derniers opus possèdent un élan plus marquants et font oublier quelques loupés comme la Sonate “Hammerklavier” dont l'éloquence ne suffit pas masquer, en concert, des défaillances. Pour ne s'en tenir qu'à l'univers russe, comment oublier les références de Maria Yudina (Melodiya) et de Sviatoslav Richter (Philips) ?

Hormis trois CD ajoutés et déjà mentionnés, ce coffret “anniversaire” de Scribendum s'inscrit dans la politique de l'éditeur qui compile des masses d'archives sans les valoriser (le livret est indigent). A l'instar de bien d'autres parutions, cette “auberge espagnole” parfois fort agaçante sur la forme, recèle aussi de véritables trésors. A chacun d'y faire son miel.

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« The Art of Tatiana Nikolayeva ». Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Suites anglaises n° 1 et 4. Suites françaises n° 1 à 6. Toccata et Fugue BWV 565. Gigue BWV 578. Chorals BWV 645, 659, 639. Cantate Jesu bleibet meine Freude BWV 147. Chaconne BWV 1004. Sicilienne BWV 1031. Concerto italien BWV 971. Le Clavier bien tempéré (Livres I et II). Préludes et fugues BWV 847, 848, 864, 865. Inventions et Sinfonias. Concerto pour deux pianos et cordes BWV 1060, 1062. Concerto pour piano et orchestre de chambre BWV 1055. Concerto pour trois pianos et cordes BWV 1064, 1065. Concerto pour quatre pianos et cordes BWV 1065. Variations Goldberg BWV 988. L’Art de la fugue BWV 1080. Partitas n° 1 à 6 BWV 825 à 830. Ouverture dans le style français BWV 831. Béla Bartok (1881-1945) : Concerto pour piano n° 3. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Intégrale des sonates pour piano. Variations Diabelli op. 120. Alexandre Borodine (1833-1887) : Petite Suite. Scherzo en la bémol majeur. Frédéric Chopin (1810-1849) : Introduction et Variations sur « Je vends des scapulaires ». Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Préludes et fugues op. 87. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Capriccio brillante op. 22. Evgeny Golubev (1910-1988) : Concerto pour piano n° 3 op. 40. Sonate n° 4 op. 22. Anatoli Liadov (1855-1914) : Variations sur un thème polonais op. 51. Barcarolle op. 44. Nikolaï Medtner (1880-1951) : Concerto pour piano n° 1 op. 33. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour piano n° 22 K. 482. Concerto pour deux pianos K. 242. Tatiana Nikolayeva (1924-1993) : Trois Etudes de concert op. 13. Serge Prokofiev (1891-1953) : Sonate n° 8. Pierre et Le Loup op. 67. Prélude op. 12 n° 7. Marche de l’Amour des trois Oranges op. 33. Serge Rachmaninov (1873-1943) : Concerto pour piano n° 2 op. 18. Robert Schumann (1810-1856) : Variations sur un thème original. Trois Romances op. 28. Intermezzi op. 4. Scènes d’enfants op. 15. Arabesque op. 18. Einfach de la Romance op. 28. Intermezzo du Carnaval de Vienne op. 26. Piotr Iliytch Tchaïkovski (1840-1893) : Concertos pour piano n° 1 op. 23, n° 2 op. 44. Fantaisie de concert op. 56. Grande Sonate op. 37. Valse op. 40 n° 8. Valse à cinq temps op. 72 n° 16.
Mikhail Petukhov, Sergeï Senkov, Maria Evseeva, Elisso Virsaladze, Nikolai Lugansky, pianos ; Orchestre de chambre de Lituanie, Saulius Sondeckis, direction ; Orchestre symphonique d’État d’URSS, Kirill Kondrachine, Nikolaï Anosov, direction ; Orchestre philharmonique de Vienne, Carl Schuricht, direction ; Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, Kurt Masur, direction ; Orchestre philharmonique Tchèque, Konstantin Ivanov, direction. Grand Orchestre symphonique de la radio d’URSS, Nikolaï Anosov, direction. Orchestre symphonique Académique d’État d’URSS, Evgeny Svetlanov, direction.
1 coffret de 40 CD Scribendum. Enregistrés à Moscou entre 1950 et 1991. Pas de notice. Durée totale : environ 40 heures

 
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