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Joli Joli. Un film de Diastème. Scénario : Emmanuel Courcol. Musique : Alex Beaupain, Diastème, Valentine Duteil. Avec : William Lebghil, Clara Lucciani, Laura Felpin, Vincent Dedienne, Grégoire Ludig, José Garcia, Victor Belmondo, Jeanne Rosa, Thomas VDB, Anne Serra, Carolina Jurczak, Alban Lenoir. Chorégraphie : Marion Motin. Distribution : Haut et Court. Sortie le 25 décembre 2024. Format: 2,35. Durée : 116:00
Joli Joli, le film de Diastème co-écrit avec Alex Beaupain, l'est effectivement, mais pas que, qui, sur le ton « léger léger » de la comédie musicale, tient aussi à dessiner les contours d'une belle utopie.
Joli Joli est un film d'époque. 1977, c'est la sortie d'Annie Hall de Woody Allen, c'est un temps où une cinquantaine de cinémas bordaient les Champs-Elysées, où les téléphones portables n'existaient pas, où tout le monde ne savait pas encore que les sexualités étaient multiples. Ces trois données historiques balisent Joli Joli. Joli Joli fait son miel de péripéties (une multiplicité de quiproquos sentimentaux tous azimuts dans le monde idéalisé sinon idéal du cinéma) tout bonnement inimaginables dans l'immédiateté impatiente d'un aujourd'hui où les portables auraient eu tôt fait de mettre bon ordre aux relations empêchées par le scénario co-imaginé par Diastème et Alex Beaupain : un écrivain (William Lebghil) en panne convoité par sa femme de ménage (Laura Felpin) et amoureux d'une actrice en devenir (Clara Lucciani), laquelle est aimée par le producteur d'un film (José Garcia), dont le réalisateur dans le placard (Grégoire Ludig) fond devant un acteur lassé de cacher sa sexualité (Vincent Dedienne), deux figurantes finissant par craquer l'une pour l'autre, et même un machiniste (Victor Belmondo) dont l'apparition, à tous les sens du terme, ne sera pas pour rien dans la résolution du quiproquo noué deux heures plus tôt par la femme de ménage.
Joli Joli est une opérette pop. Il était question pour Alex Beaupain, après les bouleversantes réussite des Chansons d'amour et des Bien-aimés de Christophe Honoré (une brévissime apparition salue la complicité des deux hommes) de développer au cinéma une certaine part lumineuse de sa personnalité, laquelle fait merveille lors de ses propres concerts dans le contrepoint qu'elle apporte à un corpus de chansons généralement mélancoliques. Bref, il s'agissait d'affronter, plutôt que le malheur, le bonheur : un défi autrement délicat. Alex Beaupain et Diastème ont accordé leur désir respectif d'un film sans cadavres, où l'on aimerait sans en mourir.
Joli Joli est un hommage. Si Les Chansons d'amour affichait un hommage appuyé aux Parapluies de Cherbourg, contrepoint dévasté du roboratif modèle Chantons sous la pluie, Joli Joli (dont l'affiche décline à son tour le motif du parapluie) préfère avouer sa filiation à l'opérette d'antan, avec ses quatre actes et sa fin heureuse obligée. La mélancolie s'y veut discrète mais, on ne se refait pas, elle est bien présente dans le filigrane de la grande beauté des compositions d'Alex Beaupain, classieusement arrangées pour grand orchestre par Valentine Duteil. Diastème, qui cumule également pléthore de talents, dont celui de compositeur, se lance dans quelques numéros de charme (La Chanson des éboueurs, La Chanson de Sacha…) et La Grande Sophie jazzifie la Habanera de Carmen dont l'oiseau rebelle résume parfaitement les chassés-croisés vertigineux de Joli Joli. Le film regorge de musique et tous les numéros sans exception font mouche. Nul (où Beaupain l'effronté assume comme d'habitude avec un chic intact les rimes les plus vertes) donne immédiatement le ton : on sait qu'on ne sera pas dans Violettes impériales. Pas davantage de clichés dans des situations dont le chromo voire le trivial sont toujours transcendés par le don de plume du compositeur, aussi attachant en solo dans ses propres albums que talentueux pour faire vraiment chanter les acteurs.
Joli Joli est un Grand Conservatoire de la Chanson. Après Catherine Deneuve, Chiara Mastroianni, Louis Garrel, Ludivine Sagnier, Grégoire Leprince-Ringuet, Clotilde Hesme, les nouveaux venus (à l'image de José Garcia en total contre-emploi dans le mélo) relèvent brillamment le défi : airs, duos, trios, quatuor, sextuor (superbe Le Cœur net), ensembles et grand finale se succèdent avec bonheur. On ne doutait guère de Clara Lucciani chanteuse : en actrice qui ne manque pas une occasion de trinquer « pour la paix dans le monde », elle révèle une comédienne subtile. Le plus spectaculaire est très certainement la voix de William Lebghil qu'à tort on jurerait mixée durant toute la projection avec celle d'Alex Beaupain soi-même ! Toutes et tous s'abandonnent également à des chorégraphies presque bricolées : ballet épileptique des huissiers, pas de deux sous la neige tenté par la lévitation façon La La Land, et le grand moment Oh boy avec ses rimes en Oh man et ses infirmières déchaînées menées par l'irrésistible Jeanne Rosa.
Joli Joli est un musée. Dialogues et cadre fourmillent de références cinéphiliques. Tourné en studio, le film s'aère pour sa scène finale, tournée au Bretagne, cinéma promis à la démolition et au fitness – en 2024 la culture du corps remplace celle de l'esprit de 1977 – dès la fin du tournage. Globalement craquant (malicieuse scène du doublage), Joli joli ne fait cependant pas suffisamment mystère de ses coutures scénaristiques. Pas plus que l'on est chez Christophe Honoré, dont le prenant générique début des Chansons d'amour embarquait d'emblée, on n'est chez Jacques Demy, dont même lorsqu'il avait décidé lui aussi d'escalader son versant lumineux (Les Demoiselles de Rochefort est LE film du bonheur) savait arborer une fluidité stylistique autrement miraculeuse. Plus appliquée qu'inspirée (on penche davantage vers le sympathique Golden Eighties de Chantal Akerman qu'à Chantons sous la pluie), la réalisation de Diastème, dont on tient à saluer l'ambition, après ses noirs Un Français et Le Monde d'hier, se situe quelque peu en-deçà de sa bande originale, et ne peut rivaliser tout à fait avec les géants d'un genre qui, bien que régulièrement moqué, a encore de beaux jours devant lui, comme vient de le prouver cette année le formidable Emilia Pérez de Jacques Audiard, récent exemple parfait d'un film dont les talents réunis sont plus à même de convaincre les rétifs, que la belle utopie enneigée de Joli Joli : « Rien n'est plus comme avant Tout commence aujourd'hui Car tout dorénavant Sera joli joli. »
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Joli Joli. Un film de Diastème. Scénario : Emmanuel Courcol. Musique : Alex Beaupain, Diastème, Valentine Duteil. Avec : William Lebghil, Clara Lucciani, Laura Felpin, Vincent Dedienne, Grégoire Ludig, José Garcia, Victor Belmondo, Jeanne Rosa, Thomas VDB, Anne Serra, Carolina Jurczak, Alban Lenoir. Chorégraphie : Marion Motin. Distribution : Haut et Court. Sortie le 25 décembre 2024. Format: 2,35. Durée : 116:00