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À l’Opéra Royal de Liège, reprise de La Périchole d’Offenbach selon Laurent Pelly

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Liège. Opéra Royal de Wallonie. 22-XII-2024. Jacques Offenbach (1819-1880) : La Périchole, opéra-bouffe en trois actes sur un livret de Henri Meilhac et de Ludovic Halévy, librement inspiré du Carrosse du Saint-Sacrement de Prosper Mérimée. Mise en scène et costumes : Laurent Pelly, assisté de Paul Higgins et de Jean-Jacques Delmotte. Adaptation des dialogues : Agathe Mélinand. Scénographie : Chantal Thomas. Lumières : Michel Le Borgne, reprises par Sarah Eger. Avec : Antoinette Dennefeld : la Périchole ; Pierre Derhet : Piquillo ; Lionel Lhote : Don Andrès de Ribeira ; Rodolphe Briand : le Comte Miguel de Panatellas ; Ivan Thirion : Don Pedro de Hinoyosa ; Julie Mossay : Guadalena/Manuelita ; Marie Kalinine : Berginella/Ninetta ; Aliénor Feix : Mastrilla/Brambilla ; Julie Bailly : Frasquinellla ; Eddy Letexier : le vieux prisonnier/le marquis de Tarapote ; Maxime Melnik et Brayan Avila Martinez : les deux notaires. Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie (chef de chœur : Denis Segond) ; Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie/Liège, direction musicale : Clelia Cafiero

En cette fin d'année plutôt morose, l'Opéra Royal de Wallonie fait le plein de  bonne humeur et reprend avec beaucoup d'à-propos La Périchole de , dans la mise en scène pétillante et caustique de Laurent Pelly, présentée voici deux ans au Théâtre des Champs-Élysées. 

Comme nos colonnes le soulignaient voici deux ans lors de la création parisienne de cette production, Laurent Pelly a choisi d'universaliser et de moderniser le propos de La Périchole, l'opéra-bouffe de . Du livret de Meilhac et Halévy, les dialogues ont été parfois crûment adaptés à la mode du jour et totalement réécrits par la percutante – avec çà et là quelques désopilantes allusions musicales obliques, comme par exemple à La Flûte enchantée.

L'action quitte donc le contexte de sa création, sous le Second Empire, et son Pérou de pacotille pour une époque ou un pays indéterminés : elle gagne en acuité, car miroir de notre époque marquée par le mouvement Metoo#. Les frasques et les pulsions sexuelles d'un « vice »-roi (le jeu de mots est souligné par les banderoles mal déployées du premier acte) cachent ainsi mal les velléités et frustrations d'un dictateur d'eau douce aux pouvoirs ridiculement limités.


La remarquable scénographie de , bien mise en valeur par les éclairages  de , caractérise à merveille chacun des trois actes : au premier, la Périchole et Piquillo apparaissent en chanteurs de rue dans un quartier populaire, au beau milieu d'une foule bigarrée, réunie près de la roulotte des trois cousines, pour trinquer à flots le meilleur riquiqui de la Cité à la seule santé dudit Vice-Roi. En total décalage se déploie après l'entracte un  luxe royal outré et rehaussé de chorégraphies décalées et parfois délibérément grotesques. Enfin, et malgré le happy end final quelque peu téléphoné, la prison du pénultième tableau souligne de manière grinçante les dérives autocratiques d'un potentat local imbu de sa minable personne.

Tout cela est habilement mené avec rythme et fantaisie sans une once de vulgarité par une conduite d'acteurs millimétrée. Seul petit bémol : dans cette réalisation liégeoise, eu égard au spectacle parisien d'origine, on peut reprocher un certain manque d'implication dans le jeu de la part de certains protagonistes – là où la répétition avec  amplification visuelle des gestes ou la rapidité de débit des répliques participent à l'illusion comique. Mais le résultat global est déjà ainsi fort probant.

Dans le rôle-titre, s'impose par sa présence scénique irrésistible, sa fraîcheur vocale et son timbre pulpeux, outre un léger mais piquant et convaincant vibrato. Son incarnation est sise entre gouaille et classe, à l'image du personnage, et culmine avec ce fameux « air de la lettre » à l'admirable ligne de chant et mû par un sens éprouvé de la déclamation.

Habitué de la scène mosane et de plus en plus sollicité internationalement dans des répertoires très diversifiés le ténor belge incarne Piquillo. Par son timbre mordoré et suave ou son sens aigu du legato, ce comédien-né campe un personnage jaloux mais entier et frondeur avec toute la candeur naïve requise.

s'impose comme une évidence en vice-roi Don Andres de Ribeira. Par une justesse de ton sans pareil, un timbre vif-argent élégant et racé, la largeur de registre doublée d'une phénoménale santé vocale (sans oublier une diction française impeccable qui fait songer à un Gabriel Bacquier), le baryton belge campe un portrait tout en nuances d'un personnage aussi truculent potentat qu'obsédé foncièrement antipathique, tour à tour narquois, sibyllin ou bassement concupiscent, in extremis humainement rattrapé par sa soudaine clémence au final de l'ouvrage.


La distribution des rôles secondaires est pour le moins convaincante : on retrouve avec plaisir deux invités réguliers de la scène liégeoise, , ténor de demi-caractère doublé d'un authentique talent de comédien, habitué des rôles bouffes de composition, en intrigant compte de Panatellas, et le baryton , brillant vocalement mais scéniquement un rien plus amidonné dans le rôle du courtisan « cire-pompes » Don Pedro de Hinoyaosa.

Le trio infernal des trois cousines cabaretières est mené tambour battant par une  irrésistible , endiablée et goquenarde Guadalena, très en verve et en voix, biens secondée par les plus timorées (Mastrilla) et (Berginella). Par le jeu de changements de plateau et de costumes, ce trio « infernal » se mue au deuxième acte en intrigantes courtisanes (au sens premier du terme) rejointes par une pimpante et pulpeuse en Frasquinella. Mentionnons, pour être exhaustif, les courtes mais irréprochables apparitions en notaires grisés de et et les interventions purement théâtrales mais hautement hilarantes d' en marquis de Tarapote et surtout en vieux prisonnier.

Les chœurs, très présents et impliqués, admirablement préparés par Denis Segond participent avec toute la verve requise au succès scénique et vocal du spectacle. L'orchestre du cru n'est pas en reste, tour à tour encanaillé ou élégamment stylé, sous la baguette attentive, dynamique mais aussi à l'occasion tendre et lyrique de la Napolitaine , incontestablement une des baguettes féminines montantes dans le monde opératique et cheville ouvrière de cette réussite musicale et scénique.

Crédits photographiques © ORW-Liège/J.Berger

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Liège. Opéra Royal de Wallonie. 22-XII-2024. Jacques Offenbach (1819-1880) : La Périchole, opéra-bouffe en trois actes sur un livret de Henri Meilhac et de Ludovic Halévy, librement inspiré du Carrosse du Saint-Sacrement de Prosper Mérimée. Mise en scène et costumes : Laurent Pelly, assisté de Paul Higgins et de Jean-Jacques Delmotte. Adaptation des dialogues : Agathe Mélinand. Scénographie : Chantal Thomas. Lumières : Michel Le Borgne, reprises par Sarah Eger. Avec : Antoinette Dennefeld : la Périchole ; Pierre Derhet : Piquillo ; Lionel Lhote : Don Andrès de Ribeira ; Rodolphe Briand : le Comte Miguel de Panatellas ; Ivan Thirion : Don Pedro de Hinoyosa ; Julie Mossay : Guadalena/Manuelita ; Marie Kalinine : Berginella/Ninetta ; Aliénor Feix : Mastrilla/Brambilla ; Julie Bailly : Frasquinellla ; Eddy Letexier : le vieux prisonnier/le marquis de Tarapote ; Maxime Melnik et Brayan Avila Martinez : les deux notaires. Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie (chef de chœur : Denis Segond) ; Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie/Liège, direction musicale : Clelia Cafiero

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