L’électrique Symphonie fantastique de Carlos Païta

Qui se souvient que Carlos Païta avait obtenu un Grand prix du disque pour sa Symphonie Fantastique gravée en 1978 avec le London Symphony Orchestra ? 

Disparu en 2015, le chef argentin Carlos Païta a longtemps occupé le fonds des bacs des disquaires à prix économique voir carrément soldé, dans la position peu enviable d'un chef prolifique et marginal. Mais voilà que le label Le Palais des Dégustateurs se lance dans une réédition en forme de début de réhabilitation, avec dernièrement un album avec deux Huitièmes symphonies de Chostakovitch et de Bruckner qui ont retenu autant l'attention des critiques que de nos lecteurs. Une réhabilitation pas totalement assumée par l'éditeur, car si le livret rédigé par notre collaborateur Stéphane Friédérich fait preuve d'une vraie vision originale sur la vie et le parcours artistiques de Berlioz et Moussorgski, il n'est pas dit un mot sur le chef, ni même mentionné que l'enregistrement de la Symphonie Fantastique avait obtenu en son temps le Grand prix du disque, une récompense qui ne manque pas de sel dans la patrie de Charles Munch.

Alors, quelle mouche a piqué nos critiques musicaux de l'Académie Charles-Cros de l'époque ? On se pose la question à l'écoute des Tableaux d'une exposition dans l'orchestration de Ravel qui ouvrent l'album, enregistrés en 1981 avec le National Philharmonic Orchestra, un orchestre limité aux enregistrements discographiques. Rien d'indigne, et même des moments qui éveillent l'intérêt, comme le Ballet des Poussins qui sonne comme la Reine Mab de Roméo et Juliette puis Casse-Noisette (pas sûr du tout que Ravel aurait apprécié !) et des Catacombes à l'atmosphère prenante, mais l'orchestre met du temps à se chauffer et la concurrence est trop rude, dominée par Karel Ančerl avec la Philharmonie Tchèque (Supraphon), Igor Markevitch avec le Philharmonique de Berlin (DG) ou plus près de nous François-Xavier Roth avec les Siècles (Harmonia Mundi).

Le contraste est frappant avec la Fantastique, enregistrée en 1978 dans le même lieu du Kingsway Hall de Londres avec le London Symphony Orchestra, c'est à dire l'orchestre avec lequel Colin Davis a enregistré à la même époque son fameux (à juste titre) Cycle Berlioz pour Philips. Bien malin qui saurait, à l'aveugle, reconnaître que c'est le même orchestre qui joue là ! D'emblée la tension qui manquait aux Tableaux se ressent, la musique est habitée, le sentiment d'urgence est là. Si les tempos sont parfois brusqués, c'est à bon escient, justifié par l'emportement du héros et ses souffrances. La Fantastique n'est pas une partie de plaisir ! La Scène aux champs marque – logiquement et nécessairement – un temps de respiration (mais pas de décontraction) avant que l'électricité saisisse à nouveaux les musiciens de la Marche au supplice au final de la nuit de sabbbat. Charles Munch nous avait quitté en 1968, dix ans exactement avant cet enregistrement, et il y a quelque chose de sa fougue dans cette captation marquée par l'urgence. Le LSO est en grande forme, et ne déraille pas sous la pression incessante du chef. Une Fantastique que les berlioziens ne sauraient ignorer.