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Bovary de Christian Spuck au Staatsballett Berlin, radiographie d’une femme

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Berlin. Deutsche Oper. 21-XII-2024. Bovary, ballet de Christian Spuck. Chorégraphie et mise en scène : Christian Spuck ; décors : Rufus Didwiszus ; costumes : Emma Ryott ; dramaturgie et livret : Claus Spahn. Musique : Saint-Saëns, Pécou, Ligeti… Avec Michelle Willems (Emma Bovary), Erick Swolkin (Charles Bovary), Jan Casier (Léon), Andrea Marino (Rodolphe), Julia Golitsina (Félicité), Loïck Pireaux (M. Lheureux), Matthew Knight (M. Homais), Dominic Whitbrook (Monsieur Guillaumin), Wolf Hoeyberghs (Monsieur Tuvache), Ross Martinson (Monsieur Hareng)… Staatsballett Berlin ; Adrian Oetiker, piano ; Orchester der Deutschen Oper Berlin ; direction : Jonathan Stockhammer.

Pour ses débuts dans le rôle central, livre le portrait d'une femme fragile et infiniment touchante.

Le a des jours difficiles derrière lui depuis le départ mouvementé de Vladimir Malakhov en 2014, les directions de Nacho Duato et surtout de Sasha Waltz s'étant aussi mal déroulées que finies ; il a sans doute aussi des jours difficiles devant lui, le gouvernement berlinois ayant décidé de saccager le budget de la culture avec aussi peu de discernement que de tact. En attendant, c'est qui en a pris la direction à la rentrée 2023, et son entrée en fonction a été marquée par une création, ce Bovary d'après le roman de Flaubert qui en est déjà à sa 17e représentation. On espère que son mandat ramènera la paix dans la troupe ; en tout cas, le public est au rendez-vous, avec une salle complète et des standing ovations au rideau.

est certainement le plus habile artisan du ballet narratif aujourd'hui – pourtant snobé en France, à commencer par le Ballet de l'Opéra de Paris. La virtuosité ébouriffante de sa Lulu à Stuttgart nous avait laissé sans voix ; cette fois encore, c'est un personnage féminin qui prend toute la lumière, avec pourtant des moyens et des modes narratifs bien différents. Spuck a fait le choix inhabituel de faire lire, par une voix féminine enregistrée, de courts extraits du roman de Flaubert : cela suffit pour l'essentiel à poser le cadre narratif. Pas besoin de pantomime, presque pas besoin d'accessoires ou de décors envahissants : la danse peut se concentrer sur le reste qui est l'essentiel, l'âme d'Emma. Les pas de deux du personnage féminin avec ses amours successifs, Léon, Rodolphe, et bien sûr son médiocre mari : Spuck laisse de côté tout le début du roman, la minable jeunesse de Charles, la rencontre avec Emma, sa carrière médicale, et nous montre Emma du mariage à la mort. Les hommes, dans ce parcours, ne sont que des figures de second plan, comme des silhouettes, singularisées seulement par quelques traits caractéristiques – sans parler de la troupe ambiguë des bourgeois de Yonville, Monsieur Homais et les autres en clones vêtus de noirs, mobiles et intrigants.

Spuck ne refuse pas entièrement le décorum du ballet historique, avec ces tricycles en forme de grand bi ou avec les costumes d'Emma, mais le tout garde une grande sobriété. Le bal de La Vaubyessard pourrait donner lieu à une grande scène de genre ; plutôt que de dérouler du tulle à l'infini, Spuck choisit de nous montrer le bal tel qu'Emma enivrée ne le voit pas. Le rôle central tenu par est donc écrasant, mais avec des exigences bien différentes de la vélocité du rôle-titre de Lulu. Venue avec du ballet de Zurich à celui de Berlin, formée à la fois au Bolchoi et à Rudra, elle unit une technique classique solide et une théâtralité à fleur de peau. Il y a dans son incarnation une fragilité, une douceur, une jeunesse à fleur de peau. On imagine facilement que d'autres danseuses ont dû donner une version plus immédiatement sombre du personnage, mais cette Emma qui concerne son innocence et sa naïveté jusqu'à la désolation finale, au milieu d'un monde trop insidieux et véloce pour elle, est une caractérisation puissante.

La soliste n'est pas seule en scène, et le chorégraphe entendait, pour cette création inaugurale, montrer l'ensemble de sa troupe : sans avoir besoin de support narratif ni de symbolisme, par la seule grâce de son écriture chorégraphique, Spuck construit autour d'Emma une image du monde tel qu'elle le voit, inquiétant, trop rapide, incompréhensible. La fiche de distribution mentionne bien des soldats, la société de Rouen, des servantes, mais ces assignations s'estompent derrière une tendance prononcée à l'abstraction qui n'amoindrit en aucune façon l'émotion et la puissance du roman de Flaubert. Avec des moyens chorégraphiques dans la droite lignée de l'inusable Dame aux Camélias de Neumeier, mais utilisés de façon bien différente, Bovary a tout pour devenir un classique, à la fois moderne et intemporel, du ballet narratif – il ne lui manquerait qu'une sélection musicale un peu plus convaincante pour parvenir tout à fait aux mêmes sphères. Mais peu importe : Spuck, avec son ancrage classique inébranlable et son inventivité parfaitement moderne, est bien parti pour redonner son lustre à la troupe berlinoise.

Crédits photographiques : Sergei Gherciu (photos de 2023 avec une autre distribution)

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Berlin. Deutsche Oper. 21-XII-2024. Bovary, ballet de Christian Spuck. Chorégraphie et mise en scène : Christian Spuck ; décors : Rufus Didwiszus ; costumes : Emma Ryott ; dramaturgie et livret : Claus Spahn. Musique : Saint-Saëns, Pécou, Ligeti… Avec Michelle Willems (Emma Bovary), Erick Swolkin (Charles Bovary), Jan Casier (Léon), Andrea Marino (Rodolphe), Julia Golitsina (Félicité), Loïck Pireaux (M. Lheureux), Matthew Knight (M. Homais), Dominic Whitbrook (Monsieur Guillaumin), Wolf Hoeyberghs (Monsieur Tuvache), Ross Martinson (Monsieur Hareng)… Staatsballett Berlin ; Adrian Oetiker, piano ; Orchester der Deutschen Oper Berlin ; direction : Jonathan Stockhammer.

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