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Les Brahms et Schubert irrésistibles d’Alexandre Kantorow

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Johannes Brahms (1833-1897) : Sonate pour piano n° 1 op. 1. Franz Schubert (1797-1828) : Wanderer-Fantasie D. 760. Franz Schubert / Franz Liszt : Der Wanderer. Der Müller und der Bach. Frühlingsglaube. Die Stadt. Am Meer. Alexandre Kantorow, piano. 1 CD Bis Records. Enregistré à la Chaux-de-Fonds, en public et en studio entre février et mars 2023. Notice de présentation en français, anglais et allemand. Durée  : 60:12

 

La qualité artistique de chaque nouvel album d' sidère. Après deux premiers albums consacrés, entre autres, aux Sonates n° 2 et n° 3 de Brahms, le jeune pianiste français poursuit l'exploration de cet univers et il offre une nouvelle référence non seulement de la Sonate n° 1, mais aussi de la Wanderer-Fantasie de Schubert. Un disque à marquer d'une pierre blanche.

Ecoutons ce programme des plus étonnants par l'association des œuvres interprétées, mais dans l'ordre inverse des plages. La « Fantaisie du voyageur » qui emprunte au lied Der Wanderer (également proposé dans sa transcription lisztienne) est un monument non seulement technique – Schubert y renonça en public – mais aussi en termes d'endurance. Ce qui fascine d'emblée dans cette lecture, c'est avant tout la maîtrise des tensions, une vision impérieuse, mais plus encore totale de l'œuvre ainsi qu'un soin “minimaliste” réservé au moindre détail de la partition. Ce sont deux approches presque contradictoires et pourtant accomplies en un seul geste de plus de vingt minutes. Cela suppose non seulement une virtuosité transcendante, mais aussi une pensée si aboutie… que l'interprétation en devient naturelle. Traverser avec une telle éloquence et une si grande perfection dans l'équilibre des contrastes, l'Allegro con fuoco et nous emmener aux portes de l'Adagio sans que l'on perçoive une quelconque rupture narrative est stupéfiant. Pas une raideur dans le Presto, incisif et doucement amer à la fois jusque dans les réminiscences de valses… Quant au finale, Allegro, si souvent détourné vers un Beethoven caricatural, nous voici plongés dans une page quasi-orchestrale. Dans cette pièce, on pourrait citer quelques légendes du passé, mais à réécouter les références du côté de l'Autriche, de l'Allemagne, de la Russie et de l'Italie, aucune ne synthétise comme dans le présent enregistrement, cet ensemble de qualités portées jusque dans une prise de son d'une chaleur et d'une définition splendides.

Les cinq lieder transcrits par Liszt sont d'une hauteur de vue comparable. Liszt se trouva devant le défi de substituer à la voix, une amplification sonore du clavier sans en dénaturer le chant original. Tout en préservant les architectures de chaque lied, il les embellit par un volume sonore et des couleurs inattendues. A son tour, Kantorow fait oublier à l'auditeur le chant humain, mais nullement la vocalité de l'ouvrage. De son piano surgit alors toute une gamme subtile d'harmoniques, de résonances inédites, raffinées jusque dans le travail méticuleux de la pédale. Die Stadt (la Ville), par exemple, révèle l'attention portée à la plus infime respiration, à la réalisation d'un jeu tournoyant, ce roulement du tambour à la main gauche puis le clapotis de l'onde et, enfin, la quasi-obscurité qui porte un climat de résignation. On entendrait presque deux pianos.

L'immense Sonate n° 1 de Brahms s'ordonne dans un luxe de couleurs et une puissance sans pesanteur. L'organisation complexe des thèmes, l'enchevêtrement des digressions, l'expression de la tristesse et tout autant de la virilité… tout cela irrigue les quatre mouvements. Kantorow s'approprie le temps dès les premières mesures de l'Andante. Il capte l'attention, illustrant les paroles que Liszt recopia sous la partition : « Verstohlen geht der Mond auf, blau, blau Blümelein… ». Le pianiste entreprend un travail de conteur avant que n'explose le battement du scherzo dont on entend la palpitation de la pédale forte sur le feutre de la lyre. Maîtrise à nouveau totale, grandiose et sans la moindre dureté. Et que dire de la perfection de la pulsation rythmique du finale… Nous voici dans une ballade à part entière, projetée en un seul élan et d'une force irrésistible.

Alexandre Kantorow en enregistrement de nuit à La Chaux de Fonds

 

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Johannes Brahms (1833-1897) : Sonate pour piano n° 1 op. 1. Franz Schubert (1797-1828) : Wanderer-Fantasie D. 760. Franz Schubert / Franz Liszt : Der Wanderer. Der Müller und der Bach. Frühlingsglaube. Die Stadt. Am Meer. Alexandre Kantorow, piano. 1 CD Bis Records. Enregistré à la Chaux-de-Fonds, en public et en studio entre février et mars 2023. Notice de présentation en français, anglais et allemand. Durée  : 60:12

 
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