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À Lausanne, Laurent Pelly étoile Le Songe d’une Nuit d’Été de Benjamin Britten

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Lausanne. Opéra. 22-XII-2024. Benjamin Britten (1913-1976) : A Midsummer Night’s Dream (Le Songe d’une nuit d’été), opéra en trois actes sur un livret du compositeur et de Peter Pears, d’après la pièce homonyme de William Shakespeare. Mise en scène, décors et costumes : Laurent Pelly. Co-scénographie : Massimo Troncanetti. Collaboration aux costumes : Jean-Charles Delmotte. Lumières : Michel Le Borgne. Avec Marie-Eve Munger, Tytania ; Christopher Lowrey, Oberon ; Faith Pendergast, Puck ; Damien Pass, Theseus ; Lucie Roche, Hippolyta ; Michael Porter, Lysander ; James Newbby, Demetrius ; Heather Lowe, Hermia ; Aoife Miskelly, Helena ; David Ireland, Bottom ; Barnaby Rea, Quince ; Antony Gregory, Flute ; Glen Cunningham, Snout ; Alex Otterburn, Starveling ; Thibault de Damas, Snug ; Calypso Balme, Anaïs Serey, Alicia De Royer, Vera Bernardi (Cobweb, Peaseblossom, Mustardseed, Moth). Maîtrise Opéra du Conservatoire de Lausanne (chef de choeur : Pierre-Louis Nanchen). Orchestre de Chambre de Lausanne. Direction musicale : Guillaume Tourniaire.

Formidable spectacle à l'Opéra de Lausanne avec Le Songe d'une Nuit d'Été de où la conjonction de l'œuvre, de la mise en scène, des décors, des costumes, des lumières, des chanteurs et de l'orchestre se rencontrent pour une idée commune : plaire et divertir.

Lorsqu'on raconte une histoire, un conte, il y a un début, un milieu et une fin. Pas forcément dans cet ordre-là. Dans Le Songe d'une Nuit d'Été, ce rêve imaginé par Shakespeare et revisité par le compositeur et le ténor Peter Pears, plusieurs histoires s'entrelacent mélangeant des figures du réel à des elfes, des dieux et des fées, tant et si bien qu'on fait bientôt face à un embrouillamini de personnages et de situations ayant que peu affaire les uns avec les autres. Résumer l'action est impossible. Quant à la mettre en scène… Et pourtant, tout ce spectacle tient debout. Pour arriver à un résultat aussi probant, il aura fallu un incroyable «alignement de planètes» selon l'expression consacrée.

En premier lieu, avec le talent de . Le metteur en scène français capte avec une rare sensibilité les ambiances qui entourent cette histoire. Là où Shakespeare imagine des bois avec leurs parts de mystères, Pelly s'accompagne d'un espace vide éclairé subtilement () de lumignons maintenant la pénombre d'un ciel étoilé. Dans ce sombre environnement, les mouvements de ses personnages sont suivis par des spots dosés pour qu'on ne décèle pas les machineries diaboliques qui, dès les premiers instants du spectacle, promènent quelques acteurs dans un ballet spatial scénique du plus inhabituel effet. Ainsi apparaissent Tytania et Oberon, maîtres de cérémonie aux costumes noirs, ordonnateurs des deux autres couples chamailleurs. Des dieux, des humains vivant un rêve, bientôt rejoints par une troupe d'individus bassement réels qui tenteront, au travers d'une pièce de théâtre follement burlesque, de s'introduire dans cet univers onirique, quand bien même les dieux poursuivent des aventures semblables à celles des humains. Pour démêler cet écheveau de folles situations, déploie ses incomparables capacités de direction d'acteurs mettant chacun de ses protagonistes pleinement à l'aise dans les actions qu'ils doivent accomplir.

Pour que la «sauce» scénique prenne, il fallait des chanteurs qui, outre d'indéniables qualités d'acteurs, aient une connaissance de l'idiome anglo-saxon afin que leur chant soit incarné. L'Opéra de Lausanne a réuni une brochette d'interprètes maitrisant le chant anglais à la perfection. La cohésion d'entre les chanteurs est telle qu'on peut penser qu'on a une troupe de comédiens ayant Le Songe d'une Nuit d'Été de dans son répertoire. Certes, la plupart des interprètes de cette production lausannoise avaient déjà abordé l'opéra de Britten dans le passé mais encore fallait-il les réunir à ces dates et qu'ils soient prêts à se lover dans une nouvelle mise en scène.

Enfin, à tenir cette partition des plus complexes, à favoriser ces timbres inédits, à jongler avec précision d'un soliste à l'autre et à diriger l'orchestre, la présence du chef français paraissait tout indiquée, lui qui avait déjà dirigé cette même production à l'Opéra de Lille en mai 2022.

Nous l'avons vu, le plateau vocal s'affirme des plus équilibrés et superbement préparé. De par la distribution des rôles, bien évidemment certains chanteurs sont particulièrement bien servis. Cependant, quelques personnalités brûlent les planches malgré la relative importance de leur rôle. En particulier, le ténor Anthony Gregory (Flute) qui, en dépit de ses études et de sa carrière, ou peut-être à cause de son expérience, se permet de détonner gravement pour accentuer l'esprit de son personnage maladivement timide et emprunté. D'ailleurs les scènes réunissant les artisans, le tisserand Bottom (), le charpentier Quince (Barnaby Rea), le menuisier Snug (Thibault De Damas), le chaudronnier Snout (Glen Cunnigham), le tailleur Starveling (Alex Otterburn) et le raccommodeur de soufflets Flute (Anthony Gregory) sont d'un comique burlesque des plus délirants comme est capable de montrer. On est aux limites de la vulgarité sans jamais en franchir sa frontière. Dans ce groupe, le baryton (Bottom) se détache non seulement par la qualité de son instrument vocal mais encore par son sens du théâtre. Quel entregent, quelle faconde, quelle présence ! Un rôle taillé pour lui qui, à Lille, se vêtait des habits moins spectaculaires de Quince.

Quant aux deux couples qui se querellent, se séparent pour se retrouver par les manipulations plus ou moins malheureuses d'un Puck (Faith Prenderkast) à la souplesse bondissante et à la voix aux aigres stridences, leur bonheur enfantin à sauter de rage ou de joie sur leurs lits n'a d'égal que la qualité de leur chant. S'il nous apparait que (Lysander) campe un parfait amoureux stupide et jaloux à volonté distillant un beau ténor, son adversaire temporaire James Newby (Demetrius) se voit plus «possédant» avec sa voix de baryton bien solide. Sa compagne (Helena) chante très agréablement avec des possibilités vocales étonnamment étendues lorsqu'il s'agit de s'affirmer alors qu'avec la mezzo-soprano Heater Lowe (Hermia), exprime la douceur amoureuse comme arme de charme.

Tout ce beau monde est sous la coupe du contre-ténor (Oberon) qui avait déjà chanté ce même rôle lors de représentations du Songe d'une Nuit d'Été au Grand Théâtre de Genève en novembre 2015. On retrouve ici les qualités d'émission que nous avions décelée alors avec un contre-ténor aux accents chaleureux, dans la lignée d'un James Bowman, que Benjamin Britten lui-même retenait comme idéal au rôle. A ses côtés, on apprécie la très belle voix de soprano de la canadienne (Tytania) reprenant le rôle qu'elle avait tenu dans la production lilloise de cet opéra. Le timbre éblouissant, le phrasé harmonieux, la clarté d'émission sont autant d'atouts qu'offrent la voix de cette artiste très à l'aise dans toute la tessiture de cet opéra.

A noter encore, la parfaite préparation (et prestation) de la Maîtrise Opéra du Conservatoire de Lausanne. Enfin, au pupitre d'un attentif et en pleine forme, parachève la réussite de cette production qui s'affirme comme l'un des grands moments de cette maison.

Crédit photographique : © Carole Parodi/Opéra de Lausanne

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Lausanne. Opéra. 22-XII-2024. Benjamin Britten (1913-1976) : A Midsummer Night’s Dream (Le Songe d’une nuit d’été), opéra en trois actes sur un livret du compositeur et de Peter Pears, d’après la pièce homonyme de William Shakespeare. Mise en scène, décors et costumes : Laurent Pelly. Co-scénographie : Massimo Troncanetti. Collaboration aux costumes : Jean-Charles Delmotte. Lumières : Michel Le Borgne. Avec Marie-Eve Munger, Tytania ; Christopher Lowrey, Oberon ; Faith Pendergast, Puck ; Damien Pass, Theseus ; Lucie Roche, Hippolyta ; Michael Porter, Lysander ; James Newbby, Demetrius ; Heather Lowe, Hermia ; Aoife Miskelly, Helena ; David Ireland, Bottom ; Barnaby Rea, Quince ; Antony Gregory, Flute ; Glen Cunningham, Snout ; Alex Otterburn, Starveling ; Thibault de Damas, Snug ; Calypso Balme, Anaïs Serey, Alicia De Royer, Vera Bernardi (Cobweb, Peaseblossom, Mustardseed, Moth). Maîtrise Opéra du Conservatoire de Lausanne (chef de choeur : Pierre-Louis Nanchen). Orchestre de Chambre de Lausanne. Direction musicale : Guillaume Tourniaire.

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